Le pavillon de thé
Le commissaire Ling réfléchissait. Les deux coolies agenouillés dans la cour du commissariat attendaient leur châtiment, tête basse.
Un policier lui apporta une liasse de faux billets.
— Détruisez-les ! Donnez cinq coups de bâtons à ces misérables et jetez-les à la rue. Ils ne méritent même pas qu’on salisse pour eux la lame d’un sabre. Les vrais chefs sont complices avec les membres du consulat anglais et ne seront jamais inquiétés. Il n’y a aucune raison pour que seuls les chinois soient châtiés.
Il revint dans son bureau, signa quelques papiers. Une lumière blanche éclairait la pièce austère. Il revêtit l’habit traditionnel avant d’aller se recueillir devant l’autel de ses ancêtres. Sur la tablette de bois noir, des noms étaient inscrits. Il regarda une photographie usée et alluma devant elle un bâtonnet d’encens.
On frappa à la porte, son visage redevint impassible.
— Entre Li Yin, qu’as-tu à m’apprendre ?
Le séide s’inclina avec respect.
— Le jeune diable blanc navigue toujours dans les eaux dangereuses.
— Continue de le surveiller. Dis-moi, aimerais-tu qu’on parle de toi dans un journal français ?
Li Yin haussa les épaules.
— J’ignore où est ce pays.
Comme pour l’aider dans son escapade, un orage brutal refoula les soldats vers le poste de garde et vida provisoirement les rues voisines. La tête dissimulée sous un large chapeau de paysan dont l’eau affaissait les bords, il s’éloigna d’un pas rapide, en essayant d’éviter les flaques. Au moment où les gouttes s’espaçaient, il se retourna une nouvelle fois pour vérifier qu’il n’était pas suivi et tourna dans la ruelle.
Une porte de bois s’ouvrit avant qu’il ait le temps de frapper. La dame de compagnie lui fit signe, enveloppée dans une cape noire qui masquait totalement sa silhouette. Sans un mot, elle referma derrière lui. Il n’eut pas le temps de s’interroger à nouveau. Elle regarda autour d’eux puis l’entraina à l’abri d’un bouquet d’arbres. . Rien ne semblait bouger dans le vaste parc. Elle marchait sans bruit au milieu des herbes mouillées. Le murmure d’une source remplaçait le crépitement des gouttes. A travers les branches, il apercevait les toits du consulat. La cape s’écarta par instant et il se dit qu’elle aurait pu figurer parmi les filles de madame Xue. Il secoua la tête comme pour se débarrasser de ses mauvaises pensées.
Ils arrivèrent devant un petit pavillon de thé dissimulé derrière un très vieil arbre. Au bord d’un ruisseau, la mousse avait des reflets de pierre précieuse. L’endroit paraissait désert, silencieux, comme coupé du monde. Une vieille femme était accroupie près de l’entrée. Toutes deux échangèrent des signes mystérieux puis la dame de compagnie lui fit signe d’entrer.
Dans la pièce dépouillée baignée par une lumière froide et blanche, Yukiko l’attendait, debout, dans son kimono couleur de ciel. De longues aiguilles aux reflets noirs brillaient dans ses cheveux relevés. Dans le coin éclairé par la petite fenêtre, une composition respectant les règles de l’ikebana. (*) se mariait avec la beauté simple de la jeune femme. Il se débarrassa de son manteau et avança sur le plancher couvert de nattes claires. Sur la table basse étaient une posés une bouilloire, un nécessaire pour le thé et un brûle-parfum. Baptiste, pour se donner contenance, sortit le billet.
— C’est elle qui l’a mis dans ma poche ?
— Elle est habile et connait toutes les ruses. Etant chinoise, elle peut passer inaperçue sous n’importe quel déguisement. Personne ne pouvait remarquer la mendiante assise dans la rue. Elle n’est à mon service que depuis quelques mois mais c’est la seule à qui je puisse faire confiance dans cette demeure où tout le monde espionne.
— Et la vieille femme ?
— C’est Noriko, ma nourrice. Elle a des yeux partout et personne ne fait attention à elle. Avec ces deux gardiennes, nous n’avons rien à craindre.
Elle lui fit signe de prendre place et versa l’eau chaude avec des gestes ancestraux, lents et cérémonieux. Son profil se découpait dans la lumière, lui rappelant les estampes que lui montrait parfois son vieil ami. Il oubliait le monde extérieur. Quelques gouttes attardées tombaient sur le toit et dans les flaques environnantes.
Ils burent en silence, mêlant leurs regards.
— Pourquoi fais-tu une chose aussi risquée ? Ton oncle …
— Toute chose est éphémère, Baptiste. J’ai eu envie de vivre ce moment. Je le vis et j’en accepterais les conséquences. Toi non plus, tu n’as pas eu peur du danger. C’était peut-être un piège, comment as-tu su que c’était moi ?
— Quand j’ai respiré le billet, j’ai reconnu ton parfum.
Il lui prit les mains.
— Tu es sûre que personne ne viendra ?
— Elles veillent. Mon oncle est parti pour quelques jours à Pékin. Tant que je ne sors pas du consulat, on me surveille moins.
Une fois de plus, ils voulurent arrêter le temps mais la suivante entra et s’inclina.
— Huai ! Huai
Elles échangèrent quelques phrases en japonais.
— Quelqu’un approche ! On ne doit pas te trouver ici. Pars, elle va te reconduire.
— Quand nous reverrons-nous ?
— Si ce jour doit arriver, je t’enverrai un message.
La suivante ouvrit la porte avec précaution, jeta un coup d’œil à l’extérieur. Il croisa à nouveau son regard et murmura en français.
— Tu es vraiment une drôle de fille. Je me demande…
Sans un mot, elle referma la porte.
Annotations
Versions