Le grand départ

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L’Autrichien n’eut pas besoin de les réveiller malgré une courte nuit entrecoupée par de violentes averses. Il leur servit un copieux petit déjeuner occidental que Yukiko regarda avec de grands yeux étonnés. Baptiste lui tendit un croissant en souriant.

— Dans mon pays, il faudra t’y habituer.

Le guide entra et leur fit signe. Ils se dirigèrent vers la porte.

— Ponne janze ! Si un chour, fous fenez tans mon pays, passez me foir.

Ils se figèrent en voyant entrer l’inspecteur Ling suivi de son adjoint et d’un escouade de policiers. L’Autrichien était retourné derrière son comptoir où il s’affairait, indifférent. Ils se prirent par la main.

— Bonjour, je vois que vous êtes prêt. C’est une belle journée pour voyager.

Il fit un signe aux policiers qui allèrent se poster dans la rue. Les mains dans le dos, Ling arpentait la grande salle déserte.

— Vous n’avez pas l’air surpris, monsieur Martineau ?...

— Pourquoi le serais-je ? Depuis mon arrivée, tout le monde m’a vanté votre efficacité et j’ai pu personnellement la vérifier. Vous ne pouviez pas ignorer l’existence d’une filière aussi organisée. J’ai aussi acquis la certitude que la Rose Noire est votre complice et qu’elle agit selon vos ordres. C’est sans doute pour masquer sa véritable identité que vous avez arrêté cette pauvre fille. La Rose noire ! L’ombre mystérieuse et insaisissable qui est toujours là au bon moment et qui connait si bien les secrets du consulat de France, qui sait où monsieur Lin laisse si aimablement sa cape et son chapeau de. Est-il lui aussi un de vos indicateurs ?

— Je trouve assez vulgaire ce mot occidental. C’est avant tout un chinois qui travaille pour restaurer la grandeur de son pays.

Il les invita à s’asseoir à une table. L’Autrichien et le guide, au bout du comptoir, parlaient à voix basse.

— Je vous avais bien jugé, vous êtes intelligent. Vous avez raison, je connais tout ou presque. Les trafics, les évasions, les détournements d’argent, les malversations au sein de votre Gouvernement Provisoire. Je maintiens votre ordre occidental mais les principaux voleurs sont à chercher dans vos rangs, donc intouchables. Il me reste les petits criminels et de temps en temps, un fauteur de trouble amusant comme vous. Grâce à la Rose Noire, j’ai détruit la Guilde du Sel, la seule puissance organisée à Tianjin opposée à nos projets. Lorsque j’ai su que vous étiez disposé à partir, je lui ai dit de venir vous voir.

— Qui est-elle ?

— Vous le saurez en temps utile.

— Je le sais déjà. Ses gestes, ses attitudes, son regard. Je pense qu’il s’agit de Montagne Pourpre.

Le commissaire Ling sourit.

— La vérité a souvent plusieurs visages, ne l’oubliez jamais !

— Vous saviez, pour le fils de Wong Li, pourquoi avez-vous menti ?

— Plus vous restiez dans l’incertitude. Je ne pensais pas que vous étiez si bon tireur mais cela a servi mes plans. Ensuite, votre romance avec la nièce du consul m’a inspiré un autre plan. Elle ne tardera pas à être découverte et la situation deviendra irréversible. Votre fuite va rompre durablement la bonne entente entre les consulats de France et du Japon. Tout ce qui affaiblit le Gouvernement sert nos intérêts.

— Je ne comprends pas. Si vous voulez nous tuer ou nous empêcher de partir, à quoi rime cette mise en scène ? Vous pouvez nous liquider discrètement, je sais que vous êtes doué pour ça.

La lumière de l’aube commençait à éclaircir les fenêtres.

— Tout vous sera expliqué en temps utile. Vos compagnons de voyage vous attendent.

— Pourquoi faites-vous ça ?

— Je pourrais vous répondre que vous m’êtes sympathique, que j’ai scrupule à tuer un européen qui connait et respecte à ce point notre culture et nos traditions, que votre compagne me rappelle une femme que j’ai connu autrefois. Ce ne serait qu’une parcelle de vérité, une vérité qui ne m’appartient pas.

Il fit signe au guide et se leva.

— Je vous laisse accomplir votre destin. Partez maintenant, mais n’oubliez pas que le danger est partout.

— Le vice-consul a raison. Nous sommes des pions sur votre échiquier. Je me demande quel jeu vous jouez vraiment et quels sont ces mystérieux intérêts.

Le commissaire se retourna, ses yeux brillaient.

— Vos pays ont envahi le mien avec leurs armes, leurs machines, leur science et leur religion. Nous sommes de bons élèves, Monsieur Martineau. Un jour le monde occidental s’en apercevra. Partez maintenant !

Lorsqu’ils sortirent, la rue était déserte. Li Yin fit un signe de la tête et le guide se mit en marche.

— Bon voyage !

— Ling ?... Merci.

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