Révélations

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Lorsqu’ils se réveillèrent, le soleil était déjà haut dans un ciel dont le bleu profond écrasait le paysage. De longues files d’oiseaux ondulaient vers le sud. Les serviteurs firent couler un bain brûlant dans lequel Yukiko se laissa glisser avec un soupir d’aise alors que Baptiste s’y risqua avec méfiance.

— Ils veulent nous faire cuire pour le déjeuner ?

Peu à peu, il finit par s’habituer à la chaleur qui estompait ses courbatures.

— Mon oncle m’a proposé de l’accompagner demain pour attaquer un convoi de sel.

— Tu as accepté.

— Sauf si tu n’es pas d’accord.

— Je le suis.

— Tu ne m’en veux pas ?

— Je suis la fille d’un soldat. J’aurais aimé me battre comme lui et comme ces femmes qui se sont taillé des royaumes au cours des guerres civiles. Tu seras vite de retour. Pendant ce temps, j’irai au temple demander pardon à mes ancêtres pour avoir trahi ma famille.

— Je peux être tué.

— Ton oncle ne le permettrait pas.

Elle se laissa glisser au fond du bassin, ressortit et tordit ses cheveux mouillés.

— Tu ne mourras pas car aujourd’hui, mon destin suit une seule route. Celle qui me conduit dans ton pays, avec toi.

Ils déjeunèrent en tête à tête dans le pavillon. Tout était calme autour d’eux. Seuls le vent, les chants d’oiseaux et l’écho de voix lointaines troublaient le silence. Pondichéry vint les saluer, portant toujours sa longue épée courbe. Il s’inquiéta de leurs besoins puis s’assit sur un rocher qui dominait l’étang. Il y resta immobile, perdu dans une profonde méditation.

Ils se promenaient sous la véranda, tandis que les domestiques s’affairaient, silhouettes discrètes et efficaces. Yukiko posa la tête sur l’épaule de Baptiste, il lui caressa les cheveux.

— Tu as froid ?

— Un peu, dans mon cœur ! Bientôt, dans mon pays, viendra la saison où les érables deviennent rouges. Je ne les verrai plus.

— Il y en a aussi chez moi. Tu les verras, je te le promets Nous serons en France avant l’automne.

— La France doit être un curieux pays. Mon oncle qui n’a peur de rien ni de personne a été impressionné par les machines volantes et les véhicules automobiles.

— Je te montrerai bien d’autres choses encore.

Un groupe de soldats franchissait le pont, escortant deux cavaliers vêtus de noir. Quelques instants plus tard, Pondichéry accourut.

— Monsieur Baptiste, monsieur oncle demande vous voir tous le deux.

Il les conduisit dans la salle du banquet qui avait retrouvé son dépouillement et sa majesté froide. Le Diable Blanc les attendait en compagnie de deux visiteurs. Baptiste dévisagea la dame de compagnie dont le visage avait subtilement changé. Il paraissait brusquement moins disgracieux et énigmatique mais les paillettes d’or brillaient toujours dans son regard.

— Tu es la Rose Noire ! Et toi, Wang, que fais-tu ici ?

Yukiko s’approcha, le visage crispé de colère. Elles s’affrontèrent du regard, aucune ne baissa les yeux.

— Toi ! La seule en qui je faisais confiance ! Quel jeu joues-tu ? Et comment as-tu pu t’échapper.

— Je ne me suis pas évadée, dame Yukiko. Mon père, le commissaire Ling a fait semblant de m’emmener pour ne pas éveiller les soupçons de votre oncle, que j’avais pour mission d’espionner. La pauvre Noriko, elle, n’échappera pas à sa colère mais je crois qu’après votre départ, elle ne tenait plus beaucoup à la vie.

Baptiste la regarda plus attentivement.

— J’avais donc raison. Tu es Montagne Pourpre, je te reconnais maintenant.

Wang s’interposa.

— Nous sommes tous les deux les enfants du commissaire Ling, Il nous a envoyé voir le Diable blanc pour régler certaines affaires. Si vous voulez comprendre ce qui s’est passé, il vous faut écouter notre histoire.

Ils prirent place autour de la table. Le délicat parfum du thé se mêlait à l’odeur des bâtons d’encens. Pondichéry et Yu Hei se postèrent sur la terrasse. Wang reposa sa tasse.

— Ma sœur va vous raconter ce qu’elle a vécu.

— Notre mère était une très belle femme. La seule que notre père ait jamais aimée. Elle avait éveillé la convoitise d’une bande de jeunes dévoyés, de riches fils de famille. Un jour, notre père est parti en mission dans le Sinkiang, mon frère l’a accompagné. Les jeunes dévoyés en ont profité. J’étais encore une enfant. Ils sont entrés chez nous en tuant quelques domestiques. Ils ont violé et assassiné notre mère. Ensuite, ils m’ont cherché pour me tuer aussi. Une vieille servante m’avait caché dans une réserve de charbon. Lorsque j’en suis sorti, j’étais devenu le fantôme noir qui plus tard reviendrait porter la vengeance.

— Ces dévoyés c’étaient…

— Wang Jin et ses bande, les futurs maitres de la Guilde. Leur rang et leur fortune les ont protégés. On a décapité quelques misérables et oublié l’histoire. Ils n’ont pas osé s’en prendre à notre père, que l’impératrice protégeait, mais l’ont fait exiler dans une lointaine province.

Mon père a décidé de nous envoyer au loin pour nous protéger, car notre vie était menacée. Ils savaient que nous serions les instruments de la vengeance future. Les années ont passé, les jeunes dévoyés sont devenus à leur tour de puissants mandarins. Comme mon frère, dans notre exil, nous avons appris la science du combat et moi celle de la séduction. Je suis revenu à Tianjin sous les traits de Montagne Pourpre, ce qui m’a permis de tout savoir sur mes futures victimes. Madame Xue est des nôtres et me permettait de disparaitre dans la journée et certaines nuits pour devenir la Rose Noire mais aussi l’humble dame de compagnie qui pouvait entrer à se guise au consulat du Japon pour espionner.

— Quant à moi, je suis parti en Occident, comme beaucoup d’autres pour apprendre vos techniques afin de les utiliser un jour contre vous.

Il se tourna vers Yukiko et esquissa un sourire.

— Les japonais ont compris cela avant nous. Notre père et tous ceux qui partagent nos idées travaillent à renverser ce régime qui n’a apporté que défaites et humiliations. Cet empire était jadis le plus vaste que le monde ait jamais connu. Nous œuvrons pour que ce temps-là revienne.

— Mais votre père qu’est-il devenu ?

— Tout le monde l’avait oublié, il revenu. On le connait maintenant sous le nom de commissaire Ling.

Le silence revint tandis que le Diable Blanc observait la stupéfaction de son neveu d’un air amusé. Baptiste ne s’était jamais senti aussi stupide.

— C’est pour ça que vous tuez les mandarins ?

Le visage de Wong Ji s’assombrit.

— Au-delà de notre vengeance, Ils sont les représentants de l’ordre établi.

Baptiste reposa brutalement sa tasse.

— Et moi, dans toute cette histoire ?

— Tu étais le pion inattendu sur l’échiquier, le cavalier fou qui sème le trouble et bouscule les pièces. Tu nous as bien servi en tuant des fils de Wong Li et en semant la discorde entre les consulats.

Le silence revint. Le Diable Blanc contempla sa tasse vide.

— Il nous faut maintenant revenir au présent et aux affaires sérieuses. Ils ne sont pas revenus seulement pour le plaisir de vous dire au revoir. Je suis en affaire avec Ling. Il a organisé votre fuite, maintenant, je suis en dette avec lui. Dans un an, deux tout au plus, les pantins du Gouvernement Provisoire seront partis et lui sera toujours là.

Ils m’ont appris que le fils de Wong Ji s’est lancé à ta poursuite. Il sait que tu es ici. Son père avait des espions partout, les mêmes que Ling dans beaucoup de cas.

— Il n’osera pas venir jusqu’ici.

— Tu n’as aucune idée de ce que peut faire un chinois pour accomplir sa vengeance. Tant que vous resterez ici vous serez en danger, même dans ce palais. J’ai contacté un de mes agents à Yuntai. Vous y prendrez un bateau pour l’Indochine. On est en train de vous fabriquer des papiers et des passeports plus vrais que nature. Les tampons viennent de notre ambassade. Vous serez mari et femme, j’espère que vous n’y voyez pas d’inconvénient. Attendez quand même d’être en France pour reprendre vos identités… vous voyagerez en première classe et je vous donnerai assez d’argent pour jouer les grands seigneurs. Ne vous inquiétez pas non plus, les sterlings et les dollars sont authentiques. Ne me remercie pas, mon neveu, c’est tout ce que je te laisserai en héritage.

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