Le convoi de sel

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L’expédition se rassembla avant l’aube. Baptiste, au moment de monter en selle, regarda Yukiko debout à l’entrée du Pavillon Vert. Elle l’avait aidé à revêtir un uniforme un peu trop ajusté pour lui, le regard grave. Au moment du départ, ses seuls mots furent.

— Va maintenant et reviens !

Le Diable Blanc suivit son regard, coiffa sa toque et leva le bras, la colonne se mit en marche.

La jeune femme cueillit une fleur et s’assit dans la maison pour créer un ikebana. Debout près de la porte, Pondichéry la regardait en silence.

— C’est joli les fleurs que vous faites. J’ai déjà vu pareille chose à Nagasaki.

— Tu es allé dans mon pays ?

— J’étais marin. Trois ans déjà, mais jamais allé plus loin que le port. Les gens avaient peur de moi pour la couleur de ma peau. Ils disaient que je ressemblais à un démon, un « oni ».

— Yukiko sourit.

— C’est vrai, mais tu es un gentil « oni ». Pourquoi n’es-tu pas parti avec eux ?

— Je dois rester, j’ai mission de veiller sur vous.

— Que ferais-tu si on me faisait du mal ?

Le sourire de Pondichéry s’élargit tandis que son épée jaillissait en sifflant.

— Oui, vraiment ! Très jolie cette fleur.

Ils chevauchèrent jusqu’au début de l’après-midi avant de mettre pied à terre dans un petit bois. Un village aux maisons basses était niché à proximité d’une rizière. Baptiste aperçut des habitants qui s’enfuyaient. Le Diable Blanc haussa les épaules.

— Ils savent que je ne touche pas à leurs cahutes ni à leurs misérables biens, mais ce pays se déchire depuis trois mille ans, ça crée des habitudes.

Il inspecta les alentours avec ses jumelles de marine.

— Le convoi vient des mines du nord, il arrivera donc par ce chemin. Chung, tu te posteras avec tes hommes derrière le temple. Kim tu vas là-bas et tu nous couvres en cas de besoin mais je ne crois pas que tu auras à intervenir. Si mes renseignements sont bons, l’escorte n’est pas assez nombreuse pour nous poser de gros problèmes.

Il se tourna vers Baptiste.

— Qu’est-ce que c’est que cette façon de tenir ton fusil ? Tu n’as pas fait ton service militaire ?

— Je crois que je me débrouille mieux avec un pistolet.

— C’est ce qu’on m’a raconté. Tu as déjà tiré et tué deux fois. Je ne pensais pas que tu avais ce talent.

— Moi non plus. Je ne touche les carabines que pendant les fêtes foraines.

— C’est bien ! N’en prends pas l’habitude. Il y a assez d’un tueur dans la famille. Tu te posteras avec Kim. Ne tires que si ta vie est menacée. Je ne veux pas être responsable de ta mort, ma sœur ne me le pardonnerait pas.

— Je reste à l’abri pendant que vous vous battez. Vous allez descendre des gars qui ne se doutent de rien.

— C’est le principe de l’embuscade, mon garçon ! Je n’ai jamais vraiment aimé ça, même quand je me battais sous l’uniforme de la France éternelle mais quand tu as choisi un chemin, il faut le suivre jusqu’au bout.

Il donna d’autres ordres et les hommes se dissimulèrent dans les hautes herbes.

Allongé contre un arbre abattu, les narines emplies par l’odeur de terre boueuse. Baptiste attendait, les doigts crispés sur son arme.

Il entendit le convoi avant de l’apercevoir. Quatre charrettes grinçantes chargées de sacs recouverts d’une toile noire apparurent, encadrées par une troupe de cavaliers. Il ne voyait plus personne autour de lui et s’imagina un instant que les autres l’avaient abandonné.

Le crépitement de la fusillade se mêla brusquement aux cris et aux hennissements. Il tira à son tour sans vraiment viser tandis que des hommes tombaient autour de lui. Le combat cessa aussi vite qu’elle avait commencé. En se relevant, il accrocha maladroitement son fusil à une branche basse. Des chevaux sans cavalier se cabraient, une dizaine d’homme étaient debout sur la route, les bras levés. Les soldats du Diable Blanc les encerclaient, certains, adossés aux arbres pansaient leurs blessures. Quatre gisaient au sol, immobiles.

— Chung, tu mets les blessés sur une charrette et nos morts sur leurs chevaux, on les emmène. Pour les autres …

Il jeta une bourse à Kim, toujours impeccable dans son uniforme noir. Le coréen partit au galop vers le village. Il enleva sa toque et s’essuya le front.

— Tu vois, Baptiste, ce n’est pas plus compliqué que ça, la guerre ! Tu as un gars en face de toi, chacun veut la peau de l’autre. Tu tires le premier et tu restes seul debout.

On regroupa les prisonniers près d’un arbre. Kim revint quelques minutes plus tard.

— On rentre ! Envoyez des éclaireurs on ne sait jamais ! Pour une cargaison de sel, certains ont prêts à prendre tous les risques.

Baptiste regarda les cadavres dispersés sur la route.

— Tu les laisses là ?

— Kim a donné de l’argent aux villageois pour qu’ils les enterrent selon les rites. Les survivants n’ont qu’une hâte, s’enrôler dans ma troupe. D’après Kim ce sont de bons soldats et j’ai toujours besoin de compléter mes effectifs.

Il y en a pour une fortune là-dedans, qu’est-ce que tu vas en faire ?

— Je n’utiliserai pas tout pour la cuisine, rassure-toi.

Le retour fut plus lent, presqu’une promenade. Les hommes discutaient gaiement et le ciel était toujours aussi radieux. Lorsqu’ils arrivèrent à la ville, Baptiste la trouva plus banale et crasseuse que lors de son premier passage. Sur la place centrale, des marchands les attendaient. Après les courbettes d’usage, les négociations commencèrent dans un dialecte qu’il ne parvenait pas à comprendre.

— Que font-ils-là ? Qui les a prévenus ?

— Moi ! Nous avons l’habitude de travailler ensemble et de toute façon, quand il s’agit d’argent les nouvelles circulent vite. Je laisse mes hommes mener les négociations. Pour un occidental, marchander avec un chinois est un vrai cauchemar. Rentrons ! Je suis sûr que ta « musumé » doit s’inquiéter.

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