Sir Édouard

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Je ne compte plus le temps passé, esseulé dans le noir de cette cellule humide et froide, des cachots du château de Sir Édouard. Cet homme de pouvoir en voulait à mon don divinatoire et autre acuité pour l'art singulier des pratiques magiques. Je dormais d’un œil, j’entendis le bruit strident d’une porte que l’on déverrouillait suivi du boucan grinçant des gonds de l’entrée menant à cette cage. Je relevai la tête avec difficulté et vis un faisceau lumineux éclairer l’obscurité de cette prison, spécialement aménagée pour des mages comme moi. Des sons métalliques m’avaient annoncé que des personnes arrivaient, sûrement Sir Édouard et ses soldats. Je serrai les dents jusqu'à presque les faire grincer en tentant de me défaire de mes chaînes. Mais j’avais les bras bien trop écartés pour joindre les mains afin de développer un enchantement.

J’essayai de me lever, mais les boulets scellés à mes chevilles étaient bien trop lourds et moi, bien trop épuisé pour me débattre. Pendant ce temps j’aperçus deux gardes massifs, et cuirassés qui tenaient d’une poigne ferme leur épée, prêts à en user si nécessaire. Je ne pouvais voir leur visage dans la noirceur de ces lieux. Cependant, je reconnus la silhouette de ce malfrat, dont le ricanement m’avait jeté un froid, suivi du même discours. Le chantage qu’il avait coutume de me faire, et ce depuis le temps qu’il me tenait enfermé. Néanmoins, quelque chose avait changé. Cette fois-ci, j’avais ressenti une autre présence.

— J’ai de quoi, je pense, maître Dylan, faire revenir votre parole.

Et apparut sous mes yeux, Lady Méline.

— Sir Édouard, m’a tout révélé. Alors, je t’en prie, Raven, fait ce qu’il te demande.

Traîtresse, pensé-je en détournant mon regard de son visage. Mais elle avait raison sur un point, je devais obtempérer. Mais je n’avais pas d’autre choix que d’accepter, car je savais de source sûre qu’il allait s’en prendre à elle. Et cela, je ne me le serais jamais pardonné. Je soufflai à demi-voix :

— J’accepte.

Or, Sir Édouard était un homme qui aimait les affirmations et me fit répéter.

— Je valide votre requête, Sir ! prononcé-je en relevant ma tête d'un air et un regard rempli de détermination.

Puis il ricana haut et fort sa victoire sur mon mutisme. La grille s’ouvrit et Lady Méline se rua sur moi avec une gourde en main.

— Laissez-nous !

Son rire se fit sec et direct et il accéda ce qu’elle s’entretienne avec moi :

— Vous avez une heure ! Après, je devrais m’assurer que maître Dylan soit totalement coopératif.

— Merci Sir ! affirma-t-elle et me regarda d’un air et d'une mine désolé.

J’étais resté silencieux. Pas un mot et pas un son plus non plus ne s’échappait de la bouche de Lady Méline. J’étais fâché — je n’osais la regarder par pur égocentrisme, je voulais qu’elle s’aperçoive qu’il ne fallait pas jouer avec mes connaissances sur les portails d’Elvir — elle attristée de voir que je l’ignorais. Mais comment lui en tenir rigueur. Lady Méline ne désirait que mon bien et surtout pour m’aider dans cette passe obscure. Étais-je devenu sans cœur pour ne plus lui adresser un seul mot ? Probablement rancunier, mais certainement pas sans état d'âme quoi que, j’étais revenu sur ma pensée, non sans mal. Le temps défilait à une vitesse : le garde nous avait indiqué qu’il ne restait que dix minutes. Mon cœur se serra à cette idée. Elle était tout pour moi. Et donc, je rompis le silence. Elle allait tout de même me laisser, mais au son presque inaudible de ma voix, elle s’arrêta devant la grille et souffla de soulagement.

— Raven Dylan, tu es l’homme le plus obtus que je connaisse et tu as de la chance que je sois là. Et tu récoltes le fruit de ton vœu de silence. Je suis bien fort navré de te l'apprendre de la sorte mais les membres du conseil des mages, même de haut rang, t'ont tous rayé de leur liste. Le régent des consuls ne veut et ne peut t’aider… je suis désolé pour cette fois-ci, sache bien que, pour toi, j'ai enfreint le règlement. Mais la seule personne qui peut véritablement t'aider est Sir Édouard.

Le temps de pause qu’elle laissât entre nous lui noua la gorge prise soudain par l’émotion. Puis elle reprit la voix d'un timbre plus bas.

— Je t’en supplie fais-le et accepte de lui ouvrir l’un des portails d’Elvir. Et je me débrouillerais pour te faire gracier et t'éviter la peine de mort. Sir Édouard connait des gens haut placés ne l’oublie pas. Il m’a promis de t’aider pour cela.

Face à sa révélation, j’avais baissé les yeux, gêné et honteux de savoir que malgré tout, elle me restait fidèle en tout point. J’avais tellement envie de lui répondre, mais mon cœur se resserrait davantage dans ma poitrine m'empêchait de lui répondre. Et quand je voulus... elle n’était déjà plus et le soldat rabattit le barreau du cachot et partit m’enfermant dans les ténèbres de ma vie. Le bruit atroce des verrous, m’avait encore glacé le sang, que je détestais les serrures — autant on peut ouvrir des portes — autant quand elles se referment — c’est toujours de cette manière-ci. Cela faisait écho en mon for intérieur. Bloqué dans les noirceurs de mon esprit en espérant y trouver une issue. Rien à faire je regrettais à présent de ne pas lui avoir parlé. Mais c’était sans aucun doute un mal pour un bien.

Je le savais à présent.

Le silence entre deux êtres qui s’apprécient plus que de mesure pourrait s’avérer bien plus salvateur que destructeur, et ce même si les remords semblaient me tourmenter et faire monter la culpabilité en moi, je ne pouvais me soustraire de l’émotion qui m’avait soudain envahi tout mon corps et nouai ma gorge de cette manière. Submergé par l’envie de lui avouer mes sentiments mais encore une fois c'était bien trop tard, sans parler de l'impossibilité du moment. Or, je me l’étais interdit.

— L’amitié, avais-je lâché dans un soupir et à entendre le timbre de ma voix, j’en ressentais toute l’amertume et pourtant…

Je me perdis dans la noirceur omniprésente de cette prison à m’évader à notre première rencontre, marquée, sous un jour je me rappelle infernal, alors que je chevauchais en direction de l’académie des Ordres.

J’étais alors seulement âgé de vingt ans, le vent soufflait si fort accentuait ce flot diluvien que je peinais à voir à dix mètres. L'horizon était obstrué comme en plein brouillard. Même protégé par ma cape, j’étais trempé de la tête aux pieds et mon animal avait du mal à avancer. Je dus stopper mon élan pour me mettre à l’abri et sous un chêne millénaire qui m’avait indiqué que j’étais à seulement dix minutes de marche de l'académie. Le temps se gâtait de plus en plus, la grêle commençait à tomber sur ma monture, je le rapprochai du tronc de l’énorme feuillu pour qu’elle soit le plus épargnée.

Ce temps ne me disait rien qui vaille.

C’était bien trop puissant, surtout en cette saison des pluies. L’intempérie était bien trop dense afin que cela soit mère nature qui se déchaînait dans la région, mais avec du recul, j’avais appris pourquoi. Je vis au loin un autre destrier arriver au grand galop. Et dès qu’il approcha, le cheval cabra en hennissant apeuré par les éléments. L’inconnu perdit le contrôle et tomba contre le sol, mais sa monture affolée ruait allant presque l’écraser avec ses sabots voyant cela, j’avais aussitôt susurré une incantation :

A prima luce usque ad vesperam

Ut animam tuam ad ultimum instat*

Ce sortilège projeté contre ce cheval furieux, avait étourdi la bête un instant qui trotta en titubant sous les grêlons qui avait, maintenant la taille de gros galets et la monture finit par s’écrouler morte. Dans le même instant, je récupérai aussi vite que possible cet inconnu visiblement assommé par un morceau de glace. Je le pris sur mon épaule, la légèreté de son corps m'avait indiqué que c’était une femme. Je l’avais posée dans le creux naturel du tronc pour la protéger au mieux et j’avais attendu. Je me souviens, une bonne demi-heure, avant que la tempête ne se calme. Ses bottes, son uniforme, je parvins à la conclusion qu’elle aussi allait rejoindre les Ordres, mais sa large capuche m’avait empêché de voir son visage. Mais je ne mettais pas permis de l’accoster au risque de la réveiller subitement et comme je détestais cela, je l’avais laissée tranquille. Le vent soufflait plus fort, mais la grêle avait cessé pour laisser place à de la pluie. Pendant que je regardais cette cellule nuageuse, je l’avais entendue gémir… Je m'approchai d’elle, sans pour autant la coller. Main sur la tête, elle se plaignait de son mal. Visiblement rien de grave, car elle se releva en se tenant contre le chêne. Ce moment, j’avais attendu dos appuyé contre l’arbre en observant la tourmente puis je sentis une tape sur mon épaule.

— Merci… j’ai cru que j’allais y passer cette fois, avait-elle dit en retirant sa large capuche carmin, puis elle se présenta sous le nom de Méline de Larose.

Son visage était rayonnant et la couleur de ses yeux était de même que ses cheveux, dorés. J’avais là fait la rencontre de Méline de Larose était une prêtresse enchanteresse de troisième rang. Soit le dernier avant de devenir maître dans ces débuts. Dès son jeune âge elle était très douée pour les enchantements.

Actuellement, elle faisait partie des membres supérieurs des Ordres. Malgré mes souvenirs, je gardais cette rancœur en moi… je n’avais pas le choix que de capituler. J’avais enfreint mes propres codes, par un sentiment que je refoulais depuis bien trop longtemps, au point qu’il était en train de me ronger le cœur. Et j’avais hurlé pour que le garde revienne. Il fallait que je la revoie à n’importe quel prix, pour m’assurer qu’elle allait bien.

******************

*De l’aube au crépuscule

*Que ta vie prenne fin à l'instant

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