Héphaïstos n’avait pas oublié. Disons qu’il était simplement très occupé.

Ils sont bien mignons ces dieux de l’Olympe de lui préparer une cérémonie de mariage, mais pendant ce temps-là, ils continuaient de lui refiler du travail par-dessus la tête. De nouvelles flèches solaires pour Apollon. Un arc plus léger et flexible pour Artémis. De nouveaux arrosoirs pour Déméter. Un chausse-pied rétractable pour Hermès. Un trône plus égocentr… plus grand pour Zeus.

Pas de repos pour les braves, se répétait-il en brandissant pour la énième fois le marteau au-dessus de sa tête. La chaleur brûlante des forges, Héphaïstos en avait l’habitude. Idem pour l’odeur de charbon et de métaux fondus. Les bruits de martèlement lourds étaient son quotidien. Tout comme la poussière et la fumée qui pénétraient chaque partie de son être. Heureusement qu’il n’était pas mortel, sinon cela ferait un bon siècle qu’il serait mort avec tout ce qu’il inhalait.

Ce qui était nouveau c’était ses braves cyclopes rechignant à travailler. D'ordinaire, ils étaient si assidus que le dieu était obligé de les menacer d’arrêter afin qu’ils aillent se reposer. Aujourd’hui, ils le regardaient de leur unique œil bovin, se triturant les doigts, prenant appui sur une jambe puis sur l’autre, en une danse gauche.

Héphaïstos avait beaucoup de mal avec les expressions, qu'elles soient corporelles ou bien littéraires. Et encore plus en ce qui concernaient celles des cyclopes. Comment peut-on déchiffrer une émotion quand notre interlocuteur n'a qu'un seul gros œil en plein milieu du visage ? Toujours est-il qu’après de longues secondes de réflexion, tout en énumérant les étranges manières de ses employés, le dieu en conclut qu’ils étaient gênés.

D’un mouvement expert, il immergea dans un bac d’eau le futur accoudoir pour le trône de Zeus. De son autre main, il essuya la sueur déferlant sur son front. Il en avait assez de ces yeux globuleux scrutant chacun de ses mouvements. Ils avaient déjà assez de retards comme ça.

Pour tout questionnement, il se retourna violemment vers eux et, menaçant, leva ses sourcils et ses épaules.

Le cyclope le plus proche de lui se raidit soudain. Il déglutit aussi bruyamment qu’il le pouvait dans une forge se trouvant dans le noyau d’un volcan. Un instant, Héphaïstos crut que le pauvre bougre allait tourner de l'œil. Certes, il n’était pas très beau, voire carrément laid d’après ceux de la surface, mais de là à s'évanouir… Il allait finir par être vexé.

Finalement, le cyclope reprit ses esprits et alors son corps se mit à se mouvoir dans des positions étranges. Ses mains touchaient sa tête chauve et descendaient en vague le long de son corps grand et gras, accentuant au passage ses courbes. Il répéta ce geste plusieurs fois, mais comme Héphaïstos ne semblait pas comprendre, il passa à un autre mime. Il pointa du doigt le dieu du feu puis le plafond avant de faire un cœur avec sa bouche. Toujours aucune réaction du patron. Il tenta le tout pour le tout. Empoignant un collègue à sa droite par le tablier, il lui plaqua un bon gros baiser sur les lèvres. C’est alors que tous les cyclopes, d’un même geste, levèrent leurs doigts vers le ciel.

Héphaïstos lâcha son marteau sous la surprise. Aujourd'hui n’était quand même pas aujourd'hui ? Non. Il lui restait plus de temps que ça normalement.

Pourtant, le regard pressé des cyclopes ne pouvait qu’affirmer que c’était le grand jour. Et qu’il était très en retard à son propre mariage.

Sans réfléchir une minute de plus, Héphaïstos récupéra sa canne et se précipita aussi vite que lui permettait sa patte folle vers la porte de sortie.

• Tu sais que tu aurais simplement pu lui dire ? déclara le cyclope fraîchement embrassé à son ami.
• Oui, bon, j’ai paniqué ! J’aurais bien aimé t’y voir, Kostas !