Chapitre 12. Héphaïstos

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Qu’est-ce qu’il venait de se passer ?

Il n'avait quand même pas… Lui ? Avec elle ? Par le Tartare et tout ce qui le constitue !

Et elle avait dit que c’était bien ! Enfin non, elle avait employé le mot mignon : Ce baiser était bien mignon, avait-elle déclaré. C’était positif, non ? Difficile à dire pour Héphaïstos. Personne n’avait jamais rien qualifier le concernant de “mignon”. C’était son premier baiser, alors ça signifiait qu’il ne s’en était pas si mal sorti ? Il l’espérait en tout cas.

Le voilà, faisant les cent pas dans sa chambre. Seul le grincement de sa jambe mécanique et le cliquetis de sa canne répondaient à ses interrogations intérieures. Il hésitait entre sauter de joie et se réfugier sous sa couette. Elle a dit qu’elle en voulait plus. Est-ce que c'était bien ce à quoi il pensait ? Aphrodite était également la déesse de la sexualité alors, oui, ça devait être bien ça. Allez plus loin… Il vira au rouge cramoisi en imaginant ce que « allez plus loin » impliquait. Rah ! Tout ça était trop nouveau pour lui.

Lui qui était destiné à vivre seul à jamais, voilà qu’il ressentait des émotions et des sensations encore inconnues jusqu’ici. Qu’est-ce qu’il lui avait pris de demander de… Tout ça, c'était à cause de Dionysos. Maintenant, il ne restait plus qu’à juger s'il devait l’embrasser ou le frapper la prochaine fois qu’il le verrait.

Et Aphrodite. Devait-il lui dire la vérité ? Ils commençaient tout juste à se rapprocher. Et puis ça ne changerait rien. Ils étaient mariés après tout… Toutes ses questions lui donnaient mal au crâne.

Il devait aller dormir. Ça lui ferait du bien. C’est ça. Un bon gros dodo et demain, il ne penserait plus qu’à continuer le trône de Zeus. Voilà. Bonne idée, Héphaïstos. Hop, au lit !

Une fois couché, il se tourna une fois. Deux fois. Trois fois. Peu importe dans quelle position il se trouvait, il ne pensait qu’à la chevelure d’écume d’Aphrodite. À la transcendance de son regard abyssal. À sa peau aussi douce que le lait. À son parfum de jasmin et de sable chaud. Au contact de son corps contre le sien. À ses lèvres. La courbure de ses hanches. Ses seins…

STOP ! lui hurla son cerveau.

Ça ne servait à rien de fermer les yeux, il ne voyait qu’elle de toute façon. Mais qu’est-ce qu’elle lui avait fait bon sang ! Plus cerné que d’ordinaire, il se leva et enfila un simple chiton brun. Il devait se changer les esprits.

De retour dans la forge, il se pencha sur le trône de Zeus. Quitte à rester éveillé, autant travailler. Et il travailla. Quinze minutes à tout casser. Tout ce qu’il entreprenait l’exaspérait. Les courbes n'étaient pas assez courbées. Les dorures pas assez dorées. L’éther pas assez maniable. Et les éclairs, trop électriques.

Un bloc de marbre attira son attention dans un coin de la pièce. Les teintes chaudes de la lave glissaient sur les aspérités de la pierre blanche. Il retourna à son aile d’aigle qui, malgré tous ses efforts, ne voulait pas se plier. Son regard continuait de glisser vers le bloc. Inlassablement. Jusqu’à ce qu’il se sente vaincu. Dans un souffle exaspéré, il se releva. Empoigna scies, pinces et burin et se dirigea vers l’objet dont il ne pouvait se détourner.

Il savait ce qu’il allait sculpter. Dès l’instant où ses yeux s'étaient posés dessus, il l’avait su. Alors le travail commença. Il dégrossit la pierre, martela, souffla et recommença. Ses mains, toujours noires comme la suie, se recouvraient peu à peu de poussière blanche, comme un cataplasme.

Il ne sut combien de temps il travaillait la pierre quand un cyclope vint le retrouver. Mélyopé, le cyclope à la dentition parfaite. Il racontait à tous qu’il était le rejeton d'Apollon. Bien sûr, personne ne le croyait, mais ça lui faisait plaisir, alors ils ne le contredisaient pas. Et pour sa défense, il se défendait assez bien au bouzouki*. Visiblement, l’heure n’était pas à la musique, car le cyclope arriva essoufflé et transpirant.

  • Patron, déglutit-il. Dame Aphrodite. On ne la trouve pas. Nulle part.
  • Ce n’est rien. Elle peut venir et partir comme elle le souhaite, répondit Héphaïstos sans détourner les yeux, concentré sur son œuvre. C’est chez elle à présent. Arrêtez de l’espionner vous autres, et retournez travailler.
  • Mais elle a laissé un mot.

En réalité, elle avait laissé une lettre, avec tout plein de mots écrits les un à la suite des autres. Héphaïstos dû s’y reprendre plusieurs fois pour la relire. Pas qu’elle était mal écrite. Comme tout ce que faisait Aphrodite, c’était beau. Tant par les boucles élégantes de sa calligraphie que par les mots qu’elle avait minutieusement choisie. Il l’a relu plusieurs fois parce qu’il avait besoin de prendre conscience de ce qu’il se passait.

Dans sa lettre, elle le remerciait pour son “service”. Grâce à lui, elle avait repris assez de force pour retourner auprès des humains et essayer de retrouver leur adoration. Sinon, elle irait défier Arès et Athéna pour faire cesser les combats, ou au moins une partie. Elle ne savait pas combien de temps ça durerait. Des mois, des années. Elle reviendrait chez Héphaïstos le moment venu.

Elle était partie. Et le dieu ne comprenait pas quelle partie le blessait le plus. Celle où elle voyait leur premier baiser comme une simple contribution ? Celle où elle ne se sentait pas chez elle, mais chez Héphaïstos ? Ou bien tout simplement le fait d’avoir disparu sans lui dire au revoir après avoir rechargé ses batteries ?

Le cœur lourd, il retourna à son travail. De toute façon, heureux comme triste, il ne savait faire que ça : travailler. Il recouvra le bloc de marbre sous un large tissu. Il ne voulait plus voir ça.

C’était ridicule de se sentir pitoyable pour une déesse qu’il ne connaissait même pas. Ils n’étaient mariés que sur papier. Et avant leur mariage, ils ne s’étaient jamais adressés la parole. Ils n'avaient échangé qu’un seul baiser. Rien de plus. Qu’est-ce qu’il croyait ?

Les mois sont passés. Tout comme les saisons. Au début, Héphaïstos comptait inconsciemment les jours sans Aphrodite, puis le quotidien l’avait rattrapé. Les cyclopes, au départ curieux de l’absence de la femme de leur patron, finirent vite par se lasser et retrouver leurs occupations. L’échéance pour le trône de Zeus approchait. Ils avaient du pain sur la planche.

La vie dans le volcan redevint terriblement normale.


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*Le bouzouki est un luth avec un long manche très répandu en Grèce.

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