Chapitre 13. Aphrodite

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Ce n’est pas que cet endroit lui avait manqué, elle n’irait pas jusque-là, mais c’était agréable de retrouver un lieu familier.

L’été avait laissé la place à l’automne puis à l’hiver. Les branches du figuier, près du volcan, étaient complètement nues. Les arbres voisins étaient rabougris et mornes. L’herbe avait perdu de sa brillance. Le soleil de décembre ne réchauffait en rien le ciel gris et nuageux. Un paysage hivernal, figé dans le temps.

Aphrodite se dirigea vers le flanc Est de la montagne. Il était toujours difficile de croire que cet amas de terre cachait le palais d’une divinité. Pas de porte, pas de fenêtre, juste des pierres. Elle passa sa main dans une petite cavité. Dans son souvenir, c'est ici qu’Héphaïstos avait posé la sienne pour leur ouvrir le passage… la dernière fois qu’elle l'avait vue. Rien ne se passa. Avaient-ils encore changé l’entrée de place, depuis son départ ?

Finalement, elle entendit un clic qui actionna le mécanisme. Il faut dire que cette porte n’était pas souvent utilisée alors, il lui fallait un peu de temps pour qu’elle se remette en marche. Tout doucement, un pan de la roche coulissa sur le côté pour la laisser passer. Elle fit un pas et son nez se fronça. Elle retrouvait l’odeur âpre et lourde du volcan. Ça, c'est sûr, ça ne lui avait pas manqué.

Tout en descendant le long escalier circulaire, elle se demanda quelle tête ferait Héphaïstos en la voyant. Il serait ravi, c’était certain. D’autant plus qu’elle avait prévu une longue séance de bisous. Il devait attendre son retour avec impatience.

Sa virée chez les humains n’avait pas été aussi productive qu’elle le voulait. Elle avait réussi à en charmer quelques-uns, mais c’était difficile d'embraser la flamme sans pour autant être infidèle à son mari. La suite du programme, c'était reprendre assez de force pour parler à Arès et Athéna. Surtout que le solstice d’hiver approchait à grands pas et qu’Aphrodite n’était pas prête à revivre l'humiliation de celui de l’été dernier.

Elle arrivait enfin au cœur du volcan, là où se trouvait la forge d’Héphaïstos, et déjà, elle entendait le martèlement des outils sur les enclumes, le vrombissement des machines et les chaînes s'entrechoquant.

Elle se glissa dans l’atelier sans un bruit. Pour autant, elle ne voulait pas passer inaperçue, alors elle descendit les marches et se dirigea vers le centre de la pièce. Devant chaque établi où elle passait, les cyclopes arrêtaient leurs travaux et la fixaient de leur grand œil. La forge devint de moins en moins bruyante, jusqu’à ne plus entendre que l'écoulement de la lave dans les bassins et les jurons d’Héphaïstos, pestant contre une roue du char d’Apollon. Il lui tournait le dos, assis à la dernière table, la plus encombrée, entouré de prototypes, d’automates et de maquettes en fer. Ce n’était pas étonnant du dieu des forgerons. Lorsqu’il travaillait, tout ce qui était autour de lui disparaissait.

Le corps d’Aphrodite fut pris d’un élan soudain. Ses pieds avancèrent plus vite. En approchant de lui, elle distinguait plus clairement les cicatrices striant son dos. Il devait être énervé, car elles s'illuminaient d’une faible lueur rougeâtre.

Elle resta derrière lui et souffla dans son cou.

Héphaïstos tressaillit. Aphrodite aurait parié que les boucles d’un gris sombre, presque noires, du dieu s'étaient soulevées sous la surprise. Tout en passant une main sur sa nuque, il se retourna vers l’importun.

  • Aphrodite ? Tu es déjà rentrée ?

Ce n’était pas exactement la réaction qu’elle attendait. De la joie. De l’excitation. Voire de la colère, à la limite.

  • On est quel jour ? demanda-t-il à un cyclope proche de lui.

Ce dernier leva les épaules en signe d’ignorance.

  • Je suis rentrée, Héphaïstos.
  • Oui, c'est bien. Je suis content, dit-il placidement.
  • Oh, vraiment ? Tu n’en as pas l’air pourtant.

Héphaïstos se leva, appuyé contre la table pour rester droit. Son visage était d’une neutralité effrayante.

  • On devrait discuter ailleurs, proposa-t-il en lui emboîtant le pas. Allez les gars, remettez-vous au boulot, je reviens, ordonna-t-il aux cyclopes.

Aucun des deux ne prononça un mot de tout le trajet. Aphrodite essaya de rester digne, mais elle avait envie de hurler. Très bien, elle n’avait pas eu l’air de lui manquer. Qu’elle soit présente ou non, visiblement, cela ne changeait rien pour Monsieur Héphaïstos. Tant mieux. La prochaine fois, elle partirait plus longtemps. Non, mieux, elle ne reviendrait jamais.

Alors qu’intérieurement, elle bouillonnait, Héphaïstos la guida dans une grande pièce circulaire. Soutenue par d’imposantes colonnes ioniques, le plafond et les murs étaient recouverts de voile rouge carmin. Des morceaux de parchemins et de croquis griffonnés au fusain jonchaient le sol pavé. Au centre, un brasero, où s'échappait une fumée grise, illuminait la pièce. Aphrodite ne comprenait pas bien l'utilité de la salle, jusqu’à ce qu’elle voie, dans un coin dissimulé par une des colonnes, un matelas, des oreillers, des draps. Un lit.

C’était la chambre d’Héphaïstos.

Il ne perdait pas de temps. À peine rentrée, il la voulait déjà dans son lit. Finalement, il était comme les autres. Étonnamment, cette pensée déçue la déesse. Elle souffla d’énervement. Au moins, elle aurait rapidement ce qu’elle voulait.

Toujours silencieux, Héphaïstos remit du bois dans le feu pour le raviver. Enfin, s'il voulait vraiment d’elle, il ne le montrait pas. Si seulement il pouvait lui parler !

Aphrodite continua son examen de la chambre. Un éclat doré sous une pile de coussin attira son attention. Héphaïstos était encore occupé avec le feu, alors en deux enjambées, elle traversa la pièce. Sans demander au maître des lieux, elle en souleva quelques-uns.

Des tortues.

Il y avait des tonnes de tortues cachées en dessous.

Des grandes, des petites, des moyennes. Des duveteuses, des en bronzes, en argent, en or ou en émeraudes. Pleins de fausses tortues. Et à bien regarder les croquis au sol, certains représentaient des modèles de construction de tortues.

Aphrodite en prit une dans ses mains. Incroyable. La petite bête était d’une vraisemblance hors du commun. La déesse avait vu peu de tortues au long de sa vie, mais elle était persuadée qu’elles étaient identiques à celles qu’elle tenait actuellement. Seule la matière indiquait qu’elle n’était pas faite de chair, de sang et de carapace.

Les petits yeux humides de l’animal, probablement taillé dans de l’onyx, la fixaient avec gentillesse. Trop mignonne, pensa Aphrodite, qui avait oublié la raison de son énervement.

Les mains d’Héphaïstos récupérèrent la fausse tortue précipitamment. Il la cacha dans son dos et recouvra les autres avec les coussins.

  • Qu’est-ce que… Non… Tu n’as rien vu ! s’exclama-t-il, les joues et les oreilles rouges de honte.
  • Désolée de te décevoir, mais si. J’ai vu tes tortues. Tu en as vraiment beaucoup, fit-elle remarquer avec un sourire espiègle.

Héphaïstos s’accroupit, les mains couvrant son visage.

  • Non, se lamenta-t-il. Pourquoi il a fallu que tu vois ça ?
  • Pourquoi tu m’as amené ici alors ?

Elle se rappela. La chambre d’Héphaïstos. Le lit d’Héphaïstos. Et la dernière fois, elle lui avait dit qu’ils pouvaient aller plus loin. C’était pour ça qu’il l’avait amené ici. Il ne lui avait fallu que quelques mois pour qu’il craque. Il était plus faible qu’elle ne le pensait.

  • Enfin, je pense savoir ce que tu veux, déclara-t-elle en s’agenouillant près de lui.

Elle passa une main sur la joue du dieu, de sorte à l’obliger à la regarder. Et elle frôla ses lèvres, contre les siennes.

Héphaïstos recula violemment, tomba sur les fesses et emmena Aphrodite dans sa chute.

  • Mais qu’est-ce que tu fais ? demanda-t-il, la voix étranglée.
  • Ben… heu… je t’embrasse. C’est pour ça que tu m’as fait venir dans ta chambre.

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