Le jour du solstice d’été arriva. Cela faisait bien longtemps qu’Héphaïstos n’avait pas mis un pied sur le mont Olympe. En général, il évitait de s’y rendre, mais là, il avait un colis à livrer. Et surtout, Aphrodite lui avait proposé d’y aller ensemble. Comment refuser ?

Il donna ses instructions aux cyclopes et alla retrouver sa femme dehors. Elle était vêtue d’un long chiton vert sauge, cintré à la taille par un entrecroisement de fil d’or. Héphaïstos remarqua qu’elle ne portait pas sa célèbre ceinture. De toute façon, elle n’en avait pas besoin. Elle était déjà la perfection incarnée.

Appuyé sur sa canne, le dieu ajusta son vêtement de drapés rouge sombre. Heureusement qu’il n’avait pas à porter lui-même le trône de Zeus, sinon, il serait mort de fatigue avant même d’avoir atteint la dernière marche du volcan. Il pouvait compter sur les pouvoirs d’Hermès, le dieu des messagers, pour acheminer le gros paquet jusqu'à sa destination.

• Tu es prêt ? demanda Aphrodite, un sourire sur les lèvres.

Il prit une grande inspiration et opina du chef. Dans un éclat de lumière, ils disparurent tous deux de la surface de la Terre.

Le voyage jusqu’à l’Olympe n’était jamais bien long. Le plus difficile, c'était de ne pas chuter à l’arrivée, en particulier lorsque l’on avait des jambes aussi instables que celles d’Héphaïstos.

Ils arrivèrent directement dans la salle de conseil, entourés de quelques dieux déjà présents. Les Olympiens ne passaient pas par la porte d’entrée tels de vulgaires demi-dieux, ils étaient directement envoyés au cœur de l’assemblée.

Cette salle, où se déroulaient les solstices et autres grandes réceptions, avait la forme d’un cercle. Sur une plateforme surélevée par des marches en marbre blanc et or, trônaient les sièges de Zeus et d'Héra. En bas de l’escalier, cinq sièges étaient positionnés à la gauche de la reine et cinq autres à la droite du roi. Tous avaient une particularité ou un signe distinctif qui indiquait leur propriétaire. Par exemple, le trône de Poséidon était incrusté de coraux et avait un trou dans l’un des accoudoirs pour poser son trident. Celui d'Athéna était surmonté d’une chouette en bronze et possédait une tablette intégrée afin qu’elle puisse prendre des notes confortablement. Celui d’Héphaïstos était principalement constitué de rouages et de boulons, ce qui lui permettait de s’occuper les mains lorsqu’il s’ennuyait.

Le mont Olympe avait la particularité de ne pas posséder de plafond. Cette salle ne faisait pas exception. Bien que des colonnes composites, entourées de lierre et de chèvrefeuilles, encerclaient les trônes, rien, si ce n’est le ciel, ne reposait dessus. Ce qui n’était pas bien pratique lorsque Zeus piquait sa crise de colère et invoquait la pluie et la foudre.

Le sol pavé était décoré ici et là de mosaïques représentant les plus grands exploits de leurs progénitures à moitié divines. On y retrouvait Jason et sa quête de la Toison d’Or. Achille, plongeant dans le Styx. Chiron entraînant un demi-dieu. Et même le chouchou de papa Zeus, Héraclès, combattant le lion de Némée.

Il ne faut pas croire que les dieux étaient fiers de leur rejeton et avaient décidé de littéralement graver leurs épopées dans le marbre. Ils étaient fiers d’eux-mêmes, de les avoir créés.

Héphaïstos fit abstraction des œillades curieuses et étonnées de ses frères et sœurs. Ce qui lui importait le plus actuellement, c’est si son chef-d’œuvre n’avait pas été endommagé pendant la livraison.

Le trône était dissimulé sous un baldaquin aux lourds rideaux fermés, au milieu de la pièce. Héphaïstos s'excusa auprès d’Aphrodite et s’engouffra dans la tente. Au moins, ça lui fera moins de conversation avec les autres. Il testa la solidité, plia et déplia les ailes, fit quelques réglages de dernière minute, mais tout semblait parfait. Ce n’est pas qu’il n’avait pas confiance en Hermès, mais le dieu des messagers n’était pas connu pour sa délicatesse.

De plus en plus de voix s'élevaient à l’extérieur du cocon fait de rideaux. Ils devaient presque être au complet.

• Alors Aphrodite, ton cher mari ne s’est toujours pas joint à nous ? ricana un dieu.

Héphaïstos reconnut immédiatement le ton narquois et lent de quelqu’un un peu trop porté sur la bouteille. Il n’eut pas le temps d’entendre la réponse de sa femme, qu’il sortit de derrière son rideau, boitant jusqu’à Dionysos.

• Désolé de te décevoir, répliqua-t-il. Mais que veux-tu, Dionysos, il y a de vrais dieux qui ont beaucoup de travail.

Héphaïstos ne su si Dionysos était trop surpris de le voir, trop vexé par l'allusion à sa moitié humaine ou à son manque de travail, toujours est-il qu’il resta bouche bée.

Aphrodite glissa son bras sous celui d’Héphaïstos et posa sa tête sur son épaule.

• Comme tu peux le voir. Mon cher mari est là, répéta-t-elle en appuyant volontairement sur le “cher mari”.

Tous les regards se posèrent sur le couple plus qu’étrange, rapidement détournés par l’arrivée du couple royale. Héphaïstos ne prêta pas la moindre attention à ses parents, trop troublé par la proximité d’Aphrodite et trop heureux qu’elle se revendique haut et fort comme sa femme.

Pour être honnête, il ne savait pas comment elle allait réagir face à leur famille. Ils avaient beau s’être rapprochés ces derniers mois, Aphrodite était aussi changeante que la marée. Elle pouvait se montrer adorable lorsqu’ils étaient seuls, mais peut-être distante et froide lorsqu’ils seraient sur l’Olympe. Allait-elle avoir honte de lui ?

Il n’avait jamais été aussi ravi de s’être trompé.

Elle l'accompagna jusqu’à son siège et ne lui lâcha le bras qu’une fois qu’il s'était assis. Le dos droit, le port de tête d’une reine, aussi divine que si elle avait porté sa ceinture. D’ici, Héphaïstos pouvait voir Arès fulminer de colère. Aphrodite se pencha à l’oreille de son mari et lui murmura un “Courage” avant de retourner à sa place en souriant.

L’assemblée des dieux pouvait commencer.

Et lorsque Héphaïstos rouvrit les yeux, elle était terminée.

Il s’était endormi, bercé par les plaintes d’Hadès qui demandait un hiver plus long et donc plus de temps avec sa femme. Héphaïstos n’avait pas vu le temps passé. Avec tout ce travail sur le trône de Zeus, il avait manqué de sommeil.

Il lui fallut quelques secondes pour se rendre compte que tous étaient tournés vers lui.

• Héphaïstos, tonna la voix de Zeus. Ça va ? On ne te dérange pas ?

Héphaïstos papillonna des yeux, pas tout à fait réveillé.

• Humm… Oui ?
• Je crois que tu as quelque chose pour moi, déclara Zeus, l’impatience montant dans sa voix.
• Ah oui ! s’exclama le forgeron, enfin conscient d'où il se trouvait.

Il se releva précipitamment, la jambe mécanique claquant pour se mettre droite. Traversant le centre de la salle, il se positionna à côté de la tente et, sous un ordre muet de Zeus, tira sur la corde, faisant ainsi glisser les rideaux.

Des exclamations accueillir le trône de Zeus. Le roi des dieux se leva de son ancien trône, il descendit les marches une à une jusqu’à aller à côté de son fils. Il passa une main sur les imposantes ailes d’aigles qui frémirent sous les crépitements électriques de ses doigts. Lorsqu’il s’assit sur le couffin de velours, des éclairs d’un blanc pur se dessinèrent sur les pieds et les accoudoirs dorés. Zeus poussa un rire tonitruant et claqua la paume de sa main contre son genou.

• Ça, c'est un trône digne d’un roi ! Ah ah ! Joli travail, Héphaïstos. Et au moins cette fois, personne ne s'est transformé en statue, pas vrai, Héra ? taquina le roi des dieux.

Plaisanterie qui n’était pas au goût de la reine. S’il y a bien une émotion qu’Héphaïstos parvenait à lire, c'était la haine. Et le regard d’Héra était noir de haine. Et il était dirigé vers Héphaïstos.