Chapitre 17. Aphrodite

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Les autres dieux s'étaient agglutinés autour du trône pour le voir de plus près. Apollon glissait ses doigts sur l’armature, envieux de tout cet or aussi étincelant que le soleil. Hestia, elle, se pencha pour mieux examiner les ombres humaines se prosternant aux pieds du siège. Quant à Poséidon, il tentait d’attraper les nuages qui entouraient le dossier. Aphrodite sourit devant la moue d’Hermès, peu rassuré, caressant les pattes de lion qui constituaient les accoudoirs. Le reste des divinités contemplait le trône ou complimentait le travail d’Héphaïstos.

Aphrodite avait vu le trône lors de sa construction. Elle avait déjà été impressionnée. Mais l'œuvre terminée la laissa sans voix. C’était son mari qui avait fait ça. Son cœur se gonfla de fierté. Et oui, elle était mariée au plus grand forgeron du monde ! Elle le rejoignit de sa démarche féline, passant sous le regard sévère d’Arès.

Héphaïstos discutait à l’écart du troupeau avec Artémis, Athéna et Hermès. Lorsqu’elle les rejoint, Héphaïstos lui sourit de toutes ses dents, creusant la fossette de sa joue gauche. Il semblait ravi de l’effet qu’avait donné sa surprise. Plus loin, ils entendaient Zeus, heureux comme un enfant à qui l’on venait d’offrir son premier glaive, se vanter auprès de ses deux frères.

  • Alors Aphrodite, demanda Athéna en tendant une coupe d’ambroisie à la déesse, ça fait quoi la vie de femme mariée ?
  • C’est plus agréable que ce que je pensais, avoua Aphrodite.

Elle accepta le verre poliment et but une gorgée. Elle faillit tout recracher en voyant l’expression d’Héphaïstos. Il était si surpris par sa réponse, qu’il la fixait avec de grands yeux ronds, la mâchoire décrochée. Avec ses bras ballants, il ressemblait à une poupée de chiffon.

  • Bah quoi ? C’est vrai, on s’entend plutôt bien tous les deux, répliqua-t-elle avec un clin d'œil.

Ce qui eut pour effet immédiat de le faire rougir. Il hocha tout de même la tête pour exprimer son accord.

  • Ça fait plaisir à voir, continua Artémis à son tour, un gloussement dans la voix. Tu as l’air épanouie, Aphrodite, on est heureuse pour toi. Tu avais l’air épuisée lors du dernier solstice.

La faute à qui, avait-elle envie de cracher aux deux déesses. J’ai demandé de l’aide et aucun de vous ne m’en a donné. Aucun, à part …

On lui frôlait la main. Héphaïstos avait changé de conversation, questionnant Athéna sur la solidité de sa dernière lance. Il tenait l’annulaire et l’auriculaire d’Aphrodite de son petit doigt. Elle sentait la chaleur du dieu se diffuser le long de son bras.

Aphrodite prit une profonde inspiration avant de revêtir son plus joli sourire. C’est ce moment que choisit Arès pour venir la saluer. Il poussa Hermès sans même un regard et empoigna le bras d’Aphrodite. Le dieu des messagers voleta en arrière, porté par ses sandales ailées.

  • On peut parler ?

Ce n’était pas une demande. C’était un ordre. Un ordre brutal et militaire, comme le dicterait un général d’armée. À travers les fentes de son casque à cimier rouge, elle distinguait ses iris rouges meurtriers, rongés par la jalousie.

Héphaïstos, qui n’avait pas encore lâché sa femme, se plaça devant elle, de sorte à bloquer le dieu. À son tour, il posa une main sur l’avant-bras du dieu de la guerre. Arès était bien plus grand que lui. Arès était bien plus grand que tout le monde. Pourtant, cela ne découragea pas Héphaïstos. Sous les œillades étonnées des trois déesses, il défiait Arès.

Aphrodite n’en était pas sûre, mais à en croire les muscles contractés de son dos et de son bras, il essayait de briser les os d’Arès. Ce dernier ne broncha pas, jusqu’à ce que de la fumée s’échappe de sous la main d’Héphaïstos. Ça sentait le sanglier grillé.

Avec un cri de douleur, Arès s’arracha aux griffes d’Héphaïstos. Une brûlure vive et fumante balafrait son poignet.

  • TOI ! hurla le blessé en armant son autre poing.

Aussi rapide qu’une brise, Aphrodite contourna Héphaïstos et se plaça face à Arès. Il stoppa son mouvement juste avant de toucher la déesse. L’arrêt fut si violent qu’il fit s'envoler ses cheveux blancs.

  • Arès, assez, ordonna-t-elle froidement. La prochaine fois, demande-moi poliment si tu veux me parler.

Les épaules du dieu s'affaissèrent devant la mine sévère d’Aphrodite. Il balbutia des mots incompréhensibles avant de se reprendre.

  • On peut parler ? demanda-t-il de façon moins virulente.

Aphrodite leva un sourcil. Les bras croisés, elle patientait.

  • S’il te plait ? finit-il par articuler avec difficulté.

Voilà qui était bien mieux. Elle opina et allait s’engager derrière lui quand les doigts d’Héphaïstos rencontrèrent les siens une nouvelle fois. Il ne parla pas, mais sa tête en disait long. Sa lèvre inférieure ne s’avançait de cette manière que lorsqu’il boudait. Était-il jaloux ? Possible. Ses yeux, en revanche, indiquaient clairement qu’il était inquiet pour elle.

  • Tout va bien, le rassura-t-elle en posant la paume de sa main contre sa joue. On doit juste régler quelques détails. Je vais revenir montrer à tout le monde à quel point je suis fier de mon cher époux.

Et elle ponctua la fin de sa phrase en déposant un baiser sur le bout de son nez. Elle eut tout juste le temps de voir les cicatrices de son visage s'embraser avant de se retourner vers Arès.

-§-

  • Je peux savoir ce que tu fais ?

Arès l’avait emmené dans un coin éloigné des autres. Le coin habituel qu’ils utilisaient pour leurs “moments intimes”. Il l’avait poussé contre une des colonnes de marbre, avait retiré son casque d’une main et embrassait déjà ses épaules en descendant vers la naissance de ses seins. Le poids et la force qu’il mettait dans ses baisers empêchait Aphrodite de respirer.

  • Bah quoi ? D’habitude, c'est à ce moment-là qu'on s’embrasse.
  • Je suis marié maintenant ! s’exclama-t-elle pour le faire cesser.
  • Et alors, tu l’étais au dernier solstice, pourtant ça t'a pas empêché.
  • C’était différent ! C’est… différent à présent.
  • Ah oui, et en quoi ? Tu as besoin de mon désir pour survivre, petite déesse. Tu vas pas me faire croire que ce lourdaud peut t’aider sur ce plan-là, dit-il en dirigeant sa main vers l’intérieur de la cuisse d’Aphrodite.
  • Tu le savais… murmura-t-elle, les yeux écarquillés.
  • Que tu m’utilisais pour que je mette fin aux guerres ? Pour que tu ne disparaisses pas ? Bien sûr. J’ai beau ne pas être aussi intelligent que ma chère sœur, Athéna, il n’empêche que je reste un stratège de guerre. Prévoir les coups de l’ennemi, c’est mon truc.
  • L’ennemi ?

Aphrodite plaqua ses deux mains contre Arès afin de mettre de la distance entre eux. C’est donc ainsi qu’il la voyait.

  • Je savais que tu n’éprouvais de l’amour pour personne, pas même pour moi. Mais me voir comme une ennemie…, elle n’arrivait même pas à terminer sa phrase.

La vérité la frappa au visage. Voilà la raison ! Aphrodite n’avait jamais compris pourquoi ses forces augmentaient si peu après ses ébats avec Arès. La haine et la possessivité du dieu surpassaient son désir. Il faisait passer ses besoins avant elle.

Et Aphrodite n’en menait pas large. Elle avait fait exactement la même chose avec Héphaïstos. Tout comme Arès, elle était à vomir.

Héphaïstos qui avait si doux avec elle. Si gentil. Lui qui l’avait aidé sans contrepartie. Qui lui offrait une nouvelle liberté. Qui la désirait réellement. Qui la regardait comme… comme on ne l’avait plus fait depuis longtemps.

Aphrodite posa une main sur le torse nu d’Arès. Elle la glissa jusqu’à sa nuque, caressant au passage les cheveux coupés court du dieu. Sa peau était sèche et rugueuse, tendue comme celle d’un lion ayant attrapé sa proie après une course effrénée et enivrante. D’un geste expert, Aphrodite planta ses ongles dans la seule partie tendre de son cou.

Athéna, en tant que bonne déesse guerrière, lui avait appris cette botte il y a plusieurs siècles de cela, lorsque les satyres ne comprenaient pas le refus. L’effet fut immédiat. Sous la pression de plus en plus forte de ses doigts pourtant si graciles, Arès se tordit de douleur jusqu’à tomber à genoux. Son expression était teintée de rage, de stupeur et d’une excitation malsaine. Il soufflait comme un animal enragé.

  • Je te remercie, murmura la déesse à son oreille. Mais mon mari comble le moindre de mes désirs. Tous mes désirs, ajouta-t-elle en relâchant enfin sa prise sur Arès. Et mieux que toi.

Arès resta à genoux, massant sa nuque douloureuse.

  • Moi au moins, je ne t’ai jamais menti, cracha-t-il, furieux. On savait à quoi s’en tenir tous les deux. Du physique et c’est tout. Ne t’attache pas trop à ton nouveau jouet. Tu pourrais tomber de haut avec lui. Sans mauvais jeu de mot, ricana-t-il méchamment.

Aphrodite défroissa sa robe du bout de ses doigts et recoiffa rapidement ses mèches rebelles. Sans plus attendre, elle s’en alla rejoindre les autres dieux. Au loin, elle vit Héphaïstos, sous le bras de Zeus cette fois-ci, le regard dans le vague. Le pauvre se faisait balader à droite à gauche par le roi des dieux. Son visage s’illumina lorsqu’il posa les yeux sur Aphrodite et il lui fit un signe de la main.

Aphrodite lui rendit son signe, amusée devant ce spectacle étrangement attendrissant. Elle essayait de faire abstraction des dernières paroles de son ex-amant. Pourtant, ses mots tournaient en boucle dans sa tête.

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