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Liam freina brusquement, il n'avait pas vu l'arbre en travers de la piste. Les mains crispées sur le volant, les yeux plissés, il tentait d'adapter sa myopie au déluge qui sévissait hors de son 4x4, puis remonta ses lunettes.
Mais pourquoi j'ai dit oui ?
Questionnement inutile, il savait pourquoi.
Bonne poire un jour, bonne poire toujours…
Une constatation qui ne changeait pas grand-chose à sa situation. Il soupira, massa ses tempes, cela lui rappela la raison principale de son acceptation : une matinée au grand air susceptible de faire cesser les coups de marteau qui pulsaient sous ses cheveux. Ainsi supportait-il les conséquences d'une nuit blanche passée en voc sur discord, avec quelques potes.
Il fixa l'écran de son GPS et réalisa que le site de prélèvements dédié au laboratoire se situait à plus de trois kilomètres. Pas une distance phénoménale, faisable « pedibus jambus ». Mais sous cette averse conséquente, sans compter le matériel qu'il faudrait emporter, Liam n'était pas très chaud. Alors que la pluie tambourinait sur le toit du véhicule, il tentait de réfléchir. Finalement, il décida de descendre dans l'espoir de déplacer l'obstacle.
Il ouvrit la portière, glissa avec précaution hors de l'habitacle et s'enfonça dans une fange collante, ruinant ainsi ses superbes mocassins en cuir.
Merde ! Fait chier !
Mauvais choix du matin. En fait, son esprit embrumé avait juste casé ses pieds dans la première paire de chaussures venue.
Combien de verres (de bouteilles ?) la veille au soir ?
Sa conscience l'interpella, il l'ignora, la repoussa.
De quoi j'me mêle ?
Il maugréait entre ses dents, en avançant dans le bourbier spongieux. La pluie clapotait avec un bruit d'enfer sur la capuche de son imperméable et malmenait sa cervelle en marmelade.
La journée va être longue !
Son jean se constella de boue, ses pieds s'imbibèrent définitivement. Il toucha le tronc abattu et réalisa qu'il pulvérulait sous ses doigts.
Liam sentit une sorte de malaise croitre ; il ôta ses lunettes inondées, laissant ses prunelles claires examiner les alentours. Les contours de la forêt lui apparaissaient voilés et inquiétants. Des effluves puantes le submergèrent, provoquant chez lui un tel écœurement qu'il faillit vomir. Sous la pluie battante, la panique, et une irrépressible envie de décamper lui tordit les entrailles ; son être tout entier se plaça en mode : instinct de conservation. Au diable les prélèvements et les remontrances du chef. L'urgence de quitter les lieux s'imposa. Volte-face donc. Le visage de Liam se décomposa puis se figea d'une terreur indicible : de son véhicule, plus une trace !
Son intelligence, relativement cartésienne, refusait cette évidence. Il s'empressa là où le Rifter aurait dû se trouver. Examina le sol détrempé et constata qu'il n'y avait même pas une trace de pneu.
Ok ! Hier, j'ai bu, mais pas fumé. C'est quoi ce cauchemar ?!
Cette pensée qui se voulait rassurante, le plongeait, au contraire, dans une peur primale. Celle qu'il ressentait lorsque enfant, la terreur du « Monstre sous le lit » le submergeait. Un hurlement ; il sursauta. Sur sa gauche, il entendit un craquement.
Une branche sous un pas lourd ?
L'affolement de son cœur s'ajoutait à celui de son crâne. Et la terreur, anéantissant sa raison, lui susurrait : cours donc ! Il la laissa prendre les commandes. Son regard cherchait une échappatoire. Où aller ? Le layon ne se confondait-il pas avec les arbres ? Noyés de pluie crasseuse, leurs branches semblaient être autant de bras et de mains crochues, prêts à l'agripper.
"... Cours donc..."
Un murmure, pas dans sa tête cette fois ; à côté ! Il s'élança droit devant, l'averse s'associait à l'effroi.
Liam se voulait rapide, il se révélait lourd. Ses pieds s'enfonçaient dans la terre, s'en arrachaient avec peine. Son souffle s'essoufflait, sa vue s'aveuglait, ses espérances s'amenuisaient. Les odeurs de pourriture, des évolutions dans la végétation, des cris inhumains et impatients le maintenaient en alerte. Cet adversaire invisible le plongeait dans le désarroi et une certitude : on le chassait.
Liam s'arrêta soudain, hors d'haleine, tourna sur lui-même, tentant de percer de ses yeux troubles la végétation liquéfiée. Un coup de tonnerre ; il sursauta. La peur le cisailla.
POURQUOI ?
Son hurlement se répercuta en écho sous la sylve détrempée. Un ricanement lui répondit. Un second suivit.
QUI ÊTES-VOUS ?
Les feuillaisons s'agitèrent, il pivota et distingua de cruelles prunelles jaunes qui disparurent aussitôt.
Fuis !
Un chuchotement assourdissant pour lui. L'instinct décida ; le pas de course, il prit.
Les arbres se muaient en opposants, le frôlaient, le harpaient, il s'en dégageait épouvanté ; il voulait trouver un lieu salvateur pour s'y terrer. On l'effleura brusquement, une ligne de sang apparut sur sa peau, une seconde se dessina sur son bras. Une vive douleur à son pied droit. Il trébucha ; ses lunettes glissèrent de son nez à la boue.
Fébrile, il les chercha à tâtons. Ses yeux, assombris de pluie, ne remarquaient pas qu'elles s'engluaient peu à peu : il ne les récupérerait plus. Son horizon flouté définitivement, il devait chercher le salut en se trainant, laissant ainsi sur le sol une trace molle et continue. Il rampait en gémissant.
Piètre proie !
Il sursauta.
Décevant gibier !
Là, il était presque vexé.
Non, il ne se laisserait pas insulter et encore moins capturer sans combattre. Mieux, il sauverait sa vie. Ainsi s'arracha-t-il à la lie. Sa peur, présente, mais au second plan, il se remit debout et repartit, chancelant. Animal déterminé, il quitta le sentier, zigzagua entre les arbres.
Des cris résonnèrent, on se réjouissait de son espoir retrouvé. Lui n'entendait plus que le son de l'eau percuter son ciré, son cœur tambouriner, son sang galoper dans ses veines, sa respiration se précipiter. D'estafilades en déchirements, de griffes en crocs, de coups violents en croche-pieds, bientôt son corps fut constellé d'éclats sanglants sans qu'il ait vraiment aperçu un seul de ses assaillants. Entre les murs végétaux, il fuyait, mais ne retardait-il pas le moment où, épuisé, il s'effondrerait ?
Une racine, Liam trébucha, tomba à genoux, les vêtements lacérés, la peau sinuée de rigoles vermeilles, le regard éperdu. Un ultime sursaut de révolte ; vite réprimé. L'animal trop blessé se laissa aller. Son regard se tourna vers la canopée inondée. Un camaïeu de verts fondu, de gris et de nuées s'imposa. Un calme étonnant l'enveloppa et une constatation.
Tiens ? Ma migraine s'est envolée.
Ses yeux se fermèrent, il sourit.
Les chasseurs se révélèrent, prêts à mettre fin à l’agonie : pour saluer le courage de la proie, ils entonnèrent le chant de l'hallali.
L'esprit de Liam s'envola, s'échappa : il était sauf !
Deux doigts aux griffes noires se saisirent d'une fine escarbille d'os. Elle fut glissée avec délicatesse entre des crocs jaunâtres, des morceaux de chair se délogèrent. Des rots peu ragoutants retentirent, deux paires d'yeux ambrés fixèrent le ciel. Les nuages se déchiraient et la pluie, complice, cessait. Ils comprirent que le soleil brûlerait bientôt l'atmosphère, estompant la magie. Ils soulevèrent leurs carcasses aux relents putrescents, rassemblèrent les restes de leur repas et rentrèrent dans la grotte. Peu à peu, ils se délitèrent dans les ténèbres.
La lumière embrasait l'éther, éclairant la forêt. Les rayons solaires ricochèrent sur la carrosserie d'un véhicule déserté.
À l'intérieur, un iPhone solitaire sonnait depuis des heures sans discontinuer.
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