Leçon
— Je ne devrais pas vous féliciter d’avoir risqué vos vies, grommela le Professeur Schrödinger, une gazette entre les mains. Mais il faut reconnaitre que c’est une occasion unique d’étudier un spécimen…
Après avoir endormi l’animal, la bande des Cerveaux avait réquisitionné quelques curieux pour les aider à monter l’animal sur un charriot à roulettes. S’il grogna et s’agita un peu, l’ours resta endormi tout du long de l’opération. Sans perdre de temps, ils l’avaient conduit au laboratoire N°13, où il disposait d’une cage assez grande pour l’enfermer le temps de l’étudier avant de le remettre aux autorités compétentes. Ils avaient veillé sur place pour le surveiller et répondre brièvement aux questions d’un journaliste insomniaque.
— On ne cite pas votre nom, fit-il remarquer aux jumeaux. Vous, vous ne deviez pas être sur place, je me trompe ?
— On préférait éviter ce genre de publicité…
— Moui. Peu importe. Vous avez découvert des choses intéressantes ?
Le physicien touche-à-tout avait abandonné son journal pour s’approcher de la cage. L’ours était assis, à l’image d’un humain un peu pataud. A l’aide d’une pince rétractable, Amos lui avait donné quelques pièces de viande qu’il dégustait. L’animal ne semblait pas mal à l’aise malgré le peu d’espace à sa disposition, si bien que les jeunes avait supposé qu’il devait y être déjà habitué. Par sécurité, on lui avait tout de même administré quelques calmants.
— Nous avons fait passer des poils au séquenceur ADN dès que nous sommes arrivés ici, lança Aldebert. Nous avons eu les résultats il y a tout juste quelques minutes.
— Vous n’allez pas en revenir, Professeur ! s’exclama Dorothéa. C’est un ours polaire !
L’homme de science cligna des yeux, comme pour s’assurer qu’il avait bien compris. Sa bouche s’ouvrit, mais aucun son n’en sortit. Subitement, il s’approcha au plus près de la cage et en fit le tour pour détailler l’animal.
— La forme du museau… Les petites oreilles...Oui… mais ce manteau… seigneur… Ce serait vrai… ?
Son incompréhension trouvait deux explications. La première, c’était la fourrure de l’animal, loin d’être aussi blanche que ce à quoi on pouvait s’attendre. Mais elle était surtout sale, couverte de boue et de végétaux. La seconde raison, par contre suscitait beaucoup d’excitation. Depuis plus de 70 ans, l’espèce était censée être éteinte.
— Et dire qu’ils voulaient le tuer ! lança Aldebert. On a peut-être une chance de sauver l’espèce !
— Ce serait vraiment fabuleux.
Soudain, Schrödinger perdit le sourire. Il se tourna vers eux, l’air dépité.
— Amos, vous avez prévenu votre père, pas vrai ? Qu’est-ce qu’il a dit ?
— Qu’il nous faisait confiance pour le garder en sécurité le temps que des experts du gouvernement vienne, pourquoi ?
— Dans e cas, il faut immédiatem-
— Bonjour, Professeur Schrödinger ! Ravi de vous revoir !
Leur enseignant baissa les épaules, une expression d’horreur sur le visage. Ne comprenant pas bien sa réaction, ses étudiants se retournèrent. Un homme venait d’entrer dans le laboratoire, accompagnés de deux autres types droits comme des i. Un monocle sur l’œil droit, le premier était habillé de manière chic, comme s’il quittait tout juste une soirée mondaine. Ses deux accompagnateurs portaient tous les deux le même vieux chapeau et soutenaient chacun une valisette.
— Monsieur Hoffman…
Ce nom ne disait rien à Aldebert ou Amos, peu au fait des fonctions politiques. Par contre, les jumeaux et Dorothéa, eux, avaient reconnu le patronyme du Ministre de la Biodiversité européen.
— Cela faisait longtemps. Il est venu à mes oreilles que vos étudiants avaient attrapé l’ours qui a fait parler de lui ces derniers jours. Je n’étais pas loin, alors j’ai voulu le voir par moi-même.
Il se tourna vers les jeunes et leur adressa un clin d’œil complice.
— Félicitation, c’est une belle prise. Vous avez réussi à l’empêcher de causer plus de dégâts, et pas un blessé. Mes hommes n’auraient pas fait mieux.
— On avait de quoi l’endormir, répondit Aldebert, un peu gêné.
— Ce qu’on vient de découvrir devrait vous intéresser, monsieur le ministre, intervint Rémus. Figurez-vous que ce n’est pas n’importe quel ours. C’est un ours polaire !
— Vraiment ? Il faut que je vois ça…
Sans plus attendre, le ministre se déplaça et suivit le même trajet que le Professeur Schrödinger quelques minutes auparavant. Il examina l’animal en chuchotant quelques paroles inaudibles, sans perdre de son sourire.
— On lui a donné quelques calmants, précisa Oscha. Histoire qu’il soit moins agressif.
— Vous avez bien fait.
Il claqua des doigts deux fois et un de ses hommes lui apporta sa valisette. Il l’ouvrit, dévoilant un simple fruit qu’Hoffman saisit. Sans prendre la peine d’utiliser la pince, il le fit rouler aux pattes de l’ours. Ce dernier le renifla avant de mordre dedans.
— Croyez-le ou non, mais c’est le troisième spécimen que je rencontre. Mon métier est plein de surprises. Par contre, ce n’est que le deuxième que j’exécute.
Si les étudiants avaient observé la scène avec un grand sourire, ils le perdirent aussitôt. Exécuter ? Que voulait-il dire par là… ?
— Monsieur le ministre, l’interpella Oscha. Le fruit que vous venez de lui donner…
— Est empoisonné. Cet animal est un danger, et son ancien propriétaire ne souhaite pas le récupérer.
Il se tourna vers eux comme s’il venait de leur annoncer que Noël serait en avance cet année. Cependant, quelques traits de son visage trahissaient l’amusement qu’il ressentait à la vue des étudiants horrifiés par son acte.
— Cet animal était déclaré éteint, vous ne pouviez pas faire ça ! s’insurgea Rémus en faisant un pas en avant.
— Bien sûr que si. Je suis Ministre de la Biodiversité. C’est moi et moi seul qui décide du sort des animaux sauvages, en mon âme et conscience.
Si Rémus aurait souhaité se jeter sur lui, les deux hommes à la valisette se tenaient prêts à intervenir pour assurer la sécurité de leur patron, le visage grave. C’est le professeur Schrödinger qui vint poser une main sur l’épaule de son étudiant afin qu’il ne fasse pas de bêtise.
— Mon service fait don de la carcasse de cet animal à l’Université, apprit le Ministre en passant à côté d’eux pour sortir comme si de rien n’était. À vous de choisir si vous voulez l’étudier ou juste l’empailler. Ne me remerciez pas ! C’est toujours un plaisir.
Tandis qu’il disparaissait derrière la porte avec ses hommes, l’ours polaire émit un gémissement. D’assis, il se laissa tomber en arrière, l’air soudain très fatigué. Le poison faisait son effet. Il était condamné. Le cœur des étudiants battait la chamade face à cette injustice. Ils n’avaient rien pu faire et sauver l’animal semblait déjà peine perdue…
— Voilà une leçon qui vous sera plus utile que toutes celles que j’aurais pu vous donner, soupira le Professeur Schrödinger. Ne faites jamais confiance à un politicien.
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