Le Conseil (2/4)
Le retour à la verdure et à l'air de la forêt ne dissipèrent pas mes nombreuses questions. Je décidai cependant de les garder pour moi. Dans l'immédiat, mieux valait continuer de suivre cette femme. Bien que discrète, elle semblait doté d'une autorité naturelle et je soupçonnais le Conseil d'avoir peu d'influence sur elle.
Nous retournâmes en bordure de la clairière où se dressait la maison. Sa maison ?
Alors qu'elle s'asseyait sur une souche d'arbre mort, elle m'annonça :
– Je vais devoir vous expliquer quelques petits détails. Mais avant ça, j'ai moi-même deux ou trois questions.
Je m'assis à mon tour devant elle, à même le sol de la forêt. Ainsi, elle me dominait de sa hauteur et devait baisser les yeux pour me regarder.
– Vous ne restez pas pour rembourser votre dette.
Ce n'était pas une question.
– Vous comptez rester pour une raison plus personnelle. Y a-t-il un rapport avec l'artefact que vous cherchez ?
Avait-elle entendu ça ? Son ouïe était très développée.
– En partie, répondis-je.
En réalité, elle venait seulement de m'en donner l'idée. Si ce peuple était bien celui dont je pensais et si j'étais bien là où je pensais être, alors j'avais de grandes chances de trouver des indices ici.
– Et l'autre partie de cette raison ?
– Je me cache.
Elle fronça les sourcils. Réaction des plus normales.
– J'ai des ennemis, expliquai-je, et ma condition affaiblie ne me permet pas de leur faire face comme je le faisais jadis. En échange de mes... capacités et de mes services, j'aimerais demeurer en ces lieux jusqu'à ma complète guérison.
Lucilia replia ses jambes sur la souche, les entourant de ses bras. Elle posa son menton sur ses genoux.
– Vos capacités ?
Mon mensonge était tout trouvé. Une fois de plus, inspiré de ma vie de lumière.
– Je suis un chasseur d'araks.
Elle releva la tête, interloquée.
– Vous êtes humain ? Comment...
– Comment je guéris vite, c'est ça ? Et comment mes vêtements se refont d'eux-mêmes ?
Ses yeux devinrent accusateur.
– J'aimerais que ces questions restent en suspens pour le moment, voulez-vous ? Je ne vous fais pas encore confiance.
– C'est réciproque. Et il en va de même pour le Conseil. Savez-vous qui nous sommes ?
– Oui. Les azniens. Mais pas comme ceux que l'on peut rencontrer habituellement. Vous êtes les azniens originels. La branche pure de votre peuple qui n'a jamais croisé son sang avec un autre. Vous êtes la légende de ces terres. Certains vous croient morts, d'autres vous cherchent toute leur vie sans jamais vous trouver.
Elle sourit et ses yeux s'adoucirent :
– Bonjour.
– Oui, bonjour. Mais c'est tout de même un peu tard pour les civilités, vous ne trouvez pas ? Dans moins d'une heure vous allez me faire subir une sorte d'épreuve.
Lucilia ferma les yeux et anticipa ma question.
– C'est un duel. Vous allez vous battre contre l'un des nôtres.
– À mort ?
– Tout dépend pour qui.
Traduction : l'ennemi est redoutable et en a déjà tué certains.
– Je survivrai.
Elle soupira et me dévisagea :
– C'est un rôdeur.
– C'est à dire ?
– Un membre d'élite de notre peuple. Nul ne se bat mieux qu'eux.
Je compris.
– Vous ne devez pas garder beaucoup d'étrangers alors.
Son regard dans le vide me le confirma. J'ignorais ce qu'il s'était passé mais je doutais que cette politique lui plaisait.
– Venez, finit-elle par dire, la place est loin d'ici.
Nous nous levâmes.
– Oui, cela ferait désordre d'arriver en retard à mon exécution, souris-je.
Elle me lança un regard glacial avant de s'engouffrer sur un petit sentier qui s'enfonçait dans le forêt.
Durant tout le trajet je m'interrogeais sur les raisons de sa mise en garde. Car c'en était une. Elle insistait trop sur le danger de mort qui planait au dessus de moi. Cela cachait quelque chose. Et sa façon de se tenir avec le Conseil, pas de doute, elle désapprouvait les méthodes en place. Je n'étais pas le premier à passer ce test mais j'en serais peut-être le premier à y survivre.
Le Conseil allait jugé si j'étais digne de rester parmi eux comme ils avaient dit. Il fallait mériter sa place en ces lieux mais le duel n'était pas à mort. Pourtant l'adversaire que j'allais rencontré en avait tué plus d'un.
Je commençais à comprendre. Leur insistance sur ma magie supposée, cette décision si rapide, le duel censé me tuer, les azniens purs. Tout cela réuni était logique.
Je m'arrêtai de marcher.
– C'était inévitable.
Lucilia se retourna et me dévisagea.
– Votre Conseil n'a pas pris de décisions me concernant. Pas encore. Ils attendent. Ils veulent voir.
Elle semblait gênée.
– Vous êtes les azniens purs. Vous vouez une haine aux araks et êtes prêts à les tuer à la première occasion. Cependant vous voulez aussi préserver le mystère qui plane sur votre existence. Donc, si une personne vous découvre, vous lui faîtes passer ce test du duel avec l'un de vos meilleurs guerriers. Un humain mourra à coup sûr, un arak devra utiliser ces pouvoirs et alors il sera exécuté. Et si c'est un aznien, il y a de fortes chances qu'il reste avec vous. Mais même s'il part, il ne dira rien.
Elle me regardait maintenant avec méfiance, comme si elle s'attendait à ce que je réagisse suite à mes découvertes.
– L'empreinte d'un magicien ne permet pas de savoir de quelle race il est. C'est pour ça que vous lui faites montrer ces capacités. Et vous...
C'était à mon tour de lui lancer un regard froid.
– Vous. Malgré votre désaprobation de ce système que je sens sincères, vous en faîtes néanmoins partie. Vos questions. Vos observations. Vous m'évaluez depuis le début, vous me jaugez. Vous voulez savoir de quel race je suis. Voilà pourquoi vous avez eut l'air étonnée voire effrayée lorsque je vous ai dit que j'étais humain. Vous espériez que je sois aznien.
Elle sourcilla légèrement.
– Oui, moi aussi je sais observer. À chaque fois que j'évoquais la mort dans ce duel, vous réagissiez bizarrement. Vous êtes contre ce système. Vous ne voulez pas voir une mort de plus, je me trompe ?
La réponse se fit attendre. J'ignorais totalement ce qu'elle pouvait penser à ce moment. À dire vrai je n'avais pas tellement réfléchit avant de dire cela. Ou plutôt j'avais réfléchit à voix haute. Un long cheminement qui avait sans doute étonné ma doctoresse. Je ne l'avais pas habitué à être aussi loquace.
– Non. Vous avez raison, me dit-elle de sa voix chaleureuse, presque un murmure. Vous allez sans doute mourir et cela ne me plaît pas plus qu'à vous.
Je ne pus m'empêcher de rire. Un rire sincère pour une fois. Cette situation m'apparaissait comme grotesque.
– Vous êtes fou, me lança-t-elle.
Je me tins la poitrine.
– Ahah, rire me fait mal. Satanée blessure.
Je me redressai et redevins sérieux devant le visage mi dégoûté mi inquiet de Lucilia.
– Vous croyez réellement que je n'ai aucune chance ?
– Vous êtes humain !
Sa réplique me coupa le souffle. C'était une plainte. Douloureuse à la fois pour elle et pour moi. Je ressentais à travers ces mots les sentiments qu'elle éprouvait. Tristesse. Fatalité. Impuissance. Dégoût. Peur.
– Vous allez mourir, répéta-t-elle en continuant de marcher.
Je la suivis et me mis à sa hauteur.
– Désolé de vous décevoir mais une seule personne peut me tuer.
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