Charm, Jinx & Bob

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Cinq ans avaient passé depuis leur retrouvaille au port. Charm et Jinx ne s’étaient pas quittés. Ayant mis leur passé de côté, ils devinrent les meilleurs amis du monde. C’était un duo d’apparence bizarre et bon nombre avaient parié qu’ils étaient plutôt amants qu’amis. Mais ce n’était pas le cas. Non que cela n’eut traversé l’esprit de Charm. Mais Jinx était trop mentalement abimée et l’idée qu’un homme ne se rapproche d’elle, physiquement et émotionnellement, l’aurait rendue folle et créé potentiellement une rage destructrice et meutrière. Le kaméen chérissait tellement leur relation qu’il ne voulait surtout rien faire pour la ruiner.

Les deux compagnons avaient défini leur objectif : trouver un ancien trésor et vivre le reste de leur vie, ou au moins les cent années suivantes, riches et à l’aise. Mais ils étaient encore trop inexpérimentés ; en gros, ils n’avaient pas le niveau pour ce type de quête. De plus, ils n’étaient pas assez nombreux : à eux deux, il leur manquait des talents cruciaux à la réussite d’une telle entreprise. Donc, en attendant, ils firent des petits boulots : messagers, gardes, escortes de caravane et même porteurs de torche pour aventuriers plus chevronnés. Grâce à leur détermination et leur ingéniosité, ils eurent quelques victoires… parmi le reste des défaites !

Ce jour-là, Charm et Jinx étaient attablés dans une auberge au milieu d’une partie plus inhospitalière du pays. Ils venaient juste d’escorter un convoi de marchands qui commerçaient dans les terres plus au Nord. Fourbus de leur voyage, les deux compagnons sirotaient tranquillement une bière. Mais Jinx remarqua que Charm était préoccupé : même si le kaméen lui parlait, son attention était ailleurs. Ce qu’elle lui fit remarquer assez brutalement. Charm, penaud, lui répondit :

« Désolé… Dis-moi, as-tu remarqué les quatre aventuriers derrière nous ?

- Oui ! Qui ne l’aurait pas ? Avec leurs armures lourdes et leurs grosses épées ! Et le magicien, avec sa barbe rousse, des sourcils épais et un regard sadique !... Il me fait froid dans le dos quand il me regarde ! »

La description de Jinx fit sourire le kaméen. Il rapprocha sa tête de celle de son amie pour parler plus discrètement.

« Bon, j’ai entendu dire qu’ils étaient ici pour attaquer la tour du sorcier maléfique qui est à deux jours de cheval. Ils sont apparemment sur une sorte de quête. Non seulement ils veulent se débarrasser du méchant, mais en plus ils cherchent un artefact de pouvoir… »

Un grand sourire se dessina progressivement sur le visage de la cénéphir.

« Qui dit tour de sorcier maléfique dit trésor !, fit-elle. Et qui dit quête dit pas le temps de piller…

- Tu as tout compris ! Que dirais-tu de les suivre ? On les laisse rentrer dans le donjon et « nettoyer » l’étage. Une fois qu’ils commencent à monter, on entre et on se sert.

- Et on applique la procédure des moindres risques : on n’entre pas dans les pièces non-visitées, on prend les choses les plus légères et on n’engage aucun combat ! Excellent !, répondit la cénéphir avec excitation.

- Parfait ! J’ai déjà trouvé un gars à qui louer une mule pour porter les objets les plus lourds. Il faut aussi acheter des provisions.

- Et on part quand ?

- Demain matin à l’aube apparemment, répondit le kaméen. Une mission simple et lucrative !... »

Deux jours plus tard, Charm et Jinx virent la tour du sorcier se détacher sur le ciel bleu matinal. Celle-ci, perchée en haut d’une colline, avait l’air lugubre. Elle s’élevait droite, sans presqu’aucune ouverture, et son sommet était recouvert de créneaux. Tout autour volaient des nuées de corbeau dont le coassement retentissait dans toute la plaine. Une vraie caricature de tour maléfique !

Les deux compagnons avancèrent prudemment. Ils avaient laissé aux aventuriers une demi-journée d’avance et le terrain était assez encaissé pour ne pas être découverts. Les héros étaient normalement arrivés la veille et il était peu vraisemblable qu’ils aient envahi la tour de nuit. Ils étaient probablement encore à leur campement, prêts à commencer la journée par un bon petit déjeuner copieux suivi d’un massacre en règle. De loin, Charm et Jinx aperçurent leur feu de camp, preuve qu’ils ne faisaient aucun effort pour dissimuler leur présence. Tant mieux ! Ils détourneront l’attention d’ennemis éventuels. Les deux compagnons établirent leur stratégie : postés sur une colline voisine, ils regarderaient les héros pénétrer la tour et attendraient au moins deux heures. Charm avait acheté une longue vue, espérant avoir de loin un aperçu des événements.

Une heure plus tard, les aventuriers se dirigèrent à découvert vers la porte du donjon. Jinx pensa que soit ils étaient vraiment confidents, soit totalement fous. D’ores-et-déjà, les occupants de la tour devaient se préparer à les recevoir, et la cénéphir n’aurait pas été étonnée de voir une volée de flèches ou pire, un déluge de flammes, frapper la troupe avant même qu’elle pénètre dans l’édifice. Mais à sa grande déception, il n’en fut rien. Arrivé devant la grande porte, un des héros, probablement le voleur, crocheta la serrure et ils entrèrent dans le donjon.

Charm et Jinx, accompagnés de leur mule, se mirent en route à peine une heure plus tard. Les héros n’avaient vraiment pas perdu de temps et semblaient avoir ratissé le premier étage en un temps record ! Même de loin, les deux compagnons avaient pu entendre les explosions et les hurlements provenant de l’intérieur. Le kaméen venait d’apercevoir une langue de flammes à travers une des meurtrières à quelques mètres de hauteur. Les héros avaient apparemment déjà monté les escaliers et il était temps d’intervenir.

Sans bruit, Jinx pénétra par la grande porte et regarda autour d’elle : le vestibule était dans un état chaotique ! De la suie zébrait le sol, les murs et même le plafond, certaines tuiles du sol avaient disparu, révélant quelque piège mortel, etc… La cénéphir ne put s’empêcher de siffler d’admiration. Elle fit signe à Charm de venir.

Méthodiquement, ils fouillèrent les lieux, retraçant les pas des héros. A un endroit, ils virent une dizaine de cadavres d’orcs.

« Vraiment très amochés ! », pensa Charm.

Il les plaignait presque. Certains étaient brûlés ou criblés de flèches, d’autres gisaient dans une mare de leur propre sang qui avait giclé de blessures géantes. Il y en avait même un dont la tête avait été coupée nette. Jinx s’en réjouit ! La cotte de mailles du cadavre était intacte et valait son bon pesant d’or. Ils commencèrent à piller les cadavres, récupérant tous les objets qu’ils pourraient revendre incluant les armes et armures. En passant, Jinx lança à son ami :

« Charm, les orcs gardent généralement leurs objets de valeur dans leur pagne. N’oublie pas de les défroquer et de chercher à cet endroit ! »

Le kaméen la regarda avec étonnement et dégoût.

« Comment tu sais ça ?

- Demande pas !, répliqua-t-elle d’un ton insolent. »

Une demi-heure après, ils avaient tout récupéré. La mule était déjà à moitié chargée. Souriants, ils remontèrent le couloir.

Quelques minutes plus tard, Jinx appela son compagnon :

« Charm ! Il y a une porte fermée ! Les crétins l’ont ignorée ! On y va !

- Non !, cria le kaméen. Souviens-toi de la règle : "On n’entre pas dans les pièces non-visitées". On en a déjà parlé !

- Mais si ça se trouve, il y a un vrai trésor derrière ! On ne peut pas passer à côté ! »

Charm n’eut même pas le temps de répondre que la cénéphir était déjà en train de crocheter la serrure. Mais soudain, un grognement lugubre retentit derrière la porte. Jinx figea tout net ! Une lourde goutte de sueur coula de son visage.

« Recule-toi tout doucement de la porte », fit le kaméen d’un chuchotement empli de fermeté. La cénéphir s’exécuta, heureuse de n’avoir pas réussi à ouvrir le verrou. A pas de loup, ils s'éloignèrent.

Refroidis par leur expérience qui aurait pu tourner au désastre, les deux compagnons se firent plus prudents. Remontant les couloirs, ils purent récupérer quelques vases et autres bibelots de valeur, incluant une belle tapisserie brodée. Ils passèrent même par une pièce où une sorte de monstre-plante avait été découpée et brûlée. Jinx s’était exclamée que les fleurs étaient très nocives et qu’elle en ferait un très bon poison. Délicatement, elle en cueillit quelques-unes et les rangèrent dans son sac. Au-dessus, les bruits de combat avaient cessé, ce qui n’augurait rien de bon : soit les héros avaient vaincus le sorcier, soit ils étaient morts. Dans les deux cas, les deux compagnons devaient se dépêcher ! D’ailleurs, la mule était presque à capacité maximale et leurs sacs étaient eux aussi presque pleins. Ils avaient presque fini de fouiller ce niveau. Il ne restait qu’une pièce à visiter : une sorte de salle de garde. Une fois celle-ci faite, ils partiraient avec leur butin.

Jinx et Charm arrivèrent sur le seuil de la pièce et furent frappés par une odeur horrible : de la chair grillée ! Le visuel n’était pas mieux : l’ensemble avait brûlé, les quelques meubles étaient maintenant des morceaux de charbon et c’était presque pareil pour les cadavres d’orcs au sol… Pauvres créatures ! Mais soudain, Jinx entendit un râle ! Elle fit signe à Charm de cesser de bouger et écouta attentivement. Derrière un des piliers, quelqu’un était vivant. Probablement un orc ! Elle demanda à Charm par signe quoi faire et celui-ci passa son doigt le long de son cou… Le tuer, voilà ce qu’elle allait faire. Une poussée d’adrénaline la traversa et elle sentit l’excitation monter. Sans faire aucun bruit, malgré les décombres qui jonchaient le sol, lame en main, elle s’avança dans la pièce. Charm avait sorti son arbalète de poing et se préparait à intervenir. Il était tendu comme la corde de son arme. Arrivée au niveau du pilier, la cénéphir leva sa lame et regarda. Charm la vit s’élancer et soudain se figer ! Sans réfléchir, il se rua vers son amie : elle devait être en difficulté ! Mais grande fut sa surprise lorsqu’il vit Jinx, genou au sol, tenant dans ses bras le corps brûlé mais vivant d’un orc. Son visage était déformé et une large crevasse parcourait sa joue gauche. Son amie le regarda alors et prononça ces quelques mots : « Ceri-ú-anír…»

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