Chapitre 1- L'appel de Grey Woods

5 minutes de lecture

LAURENA

Snow Heaven

Les premiers rayons du soleil traversent la fenêtre de ma chambre, dissipant peu à peu l'obscurité. Allongée sur le dos, je ressasse les détails de mon rêve.

Nuit après nuit, ces yeux d'or me hantent, troublent mon âme.

Dans mes songes, l'animal n'a jamais montré d'agressivité, mais je ne peux pas lui faire confiance, à lui ou à aucun de son espèce.

Comment le pourrais-je, après ce qu'ils ont fait à ma famille ?

Il y a un an, ma mère a été tuée par Konur, l'Alpha de la meute de Grey Woods. Désormais, la peur qu'une nouvelle tragédie se reproduise plane sur notre petit village de Snow Heaven.

Un traité a été signé des décennies auparavant, interdisant aux lycanthropes de franchir les limites de leur territoire, mais il faut croire que l'instinct est plus fort que la raison. Un monstre reste un monstre, j'en suis désormais convaincue.

L'odeur des pancakes grillés me tire du lit. Avec un soupir, j'éteins mon réveil avant qu'il ne sonne et retire le petit sachet d'herbes magiques de sous mon oreiller. Je l'abandonne sur la table de nuit, enfile mes chaussons à tête de lapin, et jette un coup d'œil à la photo posée sur la commode. C'est une image de moi et ma mère, prise avant le drame. Je caresse doucement le cadre, sentant une vague de tristesse m'envahir, puis descends à la cuisine.

Comme je m'y attendais, Lucas est déjà attablé, dévorant tout ce qui se trouve à sa portée.

— Regardez qui se joint à moi dans son pilou-pilou ! Ne serait-ce pas ma petite sœur adorée ?

J'ai du mal à retenir mon sourire naissant. Mon frère et moi avons toujours eu une belle complicité. Après la tragédie qu'a subie notre famille, notre lien s'est renforcé. Parfois, j'ai l'impression que c'est nous deux contre le monde entier. Nous avons non seulement perdu notre mère, mais nous avons dû faire face à un père devenu plus que l'ombre de lui-même.

— On ne t'a jamais dit que c'était impoli de parler la bouche pleine ? répliqué-je en m'asseyant.

— Oh toi, tu n'es pas de bonne humeur ce matin !

Pour ma défense, c'est la faute à ce sommeil non réparateur. Je préférerais de loin faire des rêves passionnés plutôt que de courir après le grand méchant loup.

Installée auprès de mon frère, Féline, notre persan blanc, vient se frotter à mon mollet. Je la place sur mes genoux et me laisse aller à une séance de grattouilles. Elle ronronne de contentement, mais s'arrête brusquement lorsque Lucas approche la main. Son long feulement résonne, stoppant net le métamorphe dans son élan.

— Si cela peut te rassurer, je voulais juste attraper de quoi remplir mon estomac, réprimande-t-il le félin avec taquinerie.

— Entre vous deux, ce n'est toujours pas l'amour fou !

— Elle est seulement vexée que je lui pique toutes ses souris.

Choquée, je me penche en avant rétrécissant l'espace de mon chat.

— Tu n'es pas sérieux !

— Toi, tu n'as jamais dû assister à ma technique de chasse sous la neige, m'achève-t-il dans un clin d'œil.

Aussitôt, je le visualise dans sa fourrure fauve venant contraster un paysage blanc et épuré. Un haut-le-cœur me saisit lorsque j'imagine la queue d'un rongeur dépassant de sa gueule. Pour un renard, son animal Totem, c'est peut-être une chose naturelle, mais pour sa partie la plus humaine, je trouve que cela l'est beaucoup moins.

— Vas-tu manger tes pancakes ? me demande mon frère en lorgnant mon assiette.

Du bout des doigts, je la pousse dans sa direction. Il m'a coupé l'appétit.

C'est affolant de constater la quantité colossale de nourriture qu'un métamorphe est capable d'engloutir. Je suis ravie de ne pas avoir hérité de la nature surnaturelle de notre père.

La porte d'entrée émet son perpétuel grincement. Des bottes martèlent le sol. Notre père entre, son fusil en bandoulière, le visage exténué. Son désir de vengeance le ronge à un point qu'il n'est plus que son principal moteur.

Aujourd'hui, aucune queue de loup n'est accrochée à sa ceinture, j'en conclus donc que la chasse n'a pas été à la hauteur de ses espérances. En même temps, la quantité de ses hommes n'est pas conséquente. Même si notre famille possède des dons particuliers, ce n'est pas le cas de tous. Les personnes courageuses, prêtes à affronter des créatures aux crocs acérés se font rares.

Il ne nous accorde pas un regard et monte directement dans sa chambre. À ses yeux, j'ai comme la désagréable sensation d'être devenue invisible et chaque jour qui passe, la douleur de son ignorance me blesse davantage. Elle s'insinue partout dans ma chair ne me laissant aucun répit. Elle est aussi un rappel conscient de cette famille brisée.

— Crois-tu qu'il redeviendra comme avant ?

Lucas s'arrête de manger et me regarde avec douceur.

— Je l'ignore, Laurena. La seule chose que je sais c'est qu'il ne restera qu'une pâle copie de notre père tant que Konur sera vivant.

Malheureusement, même si je n'en dis rien, nous en sommes arrivés au point où je ne suis pas convaincue que la mort de notre adversaire lui suffise.

Comment le blâmer ? Comment continuer à vivre après ça ?

— Au fait, il est huit heures quinze.

— Quoi ?

Mon frère pointe l'horloge du doigt.

Et merde ! Je vais être en retard !

Je bondis de ma chaise et monte deux par deux les marches de l'escalier. Le bois usé craque sous mes pas. Il est à l'image de ce qui était autrefois notre cocon familial. Aujourd'hui, tout est fatigué.

Je redescends une dizaine de minutes plus tard, habillée d'un jean slim et d'un pull blanc à imprimés jacquard. Pas le temps de dompter ma longue chevelure aux boucles brunes, je suis déjà suffisamment en retard. J'attrape ma doudoune, mon bonnet puis me chausse de mes après-skis avant de sortir.

À l'extérieur, le paysage pourrait ressembler à nos rêves d'enfant. Un véritable paradis hivernal, où seuls les sons que l'on perçoit sont ceux de mon souffle et du craquement de la poudreuse sous mes pas. Sous cet épais manteau de neige, toutes les maisons se confondent les unes aux autres. De nombreuses cheminées sont allumées. J'imagine des familles blotties, en recherche de sa chaleur tout en appréciant l'odeur du bois consumé par les flammes.

Cette sensation me manque. Je regrette tellement que la nôtre ne soit plus en état de marche. Les hivers à Snow Heaven ont tendance à être rudes et il l'est particulièrement cette année.

Je presse le pas, jetant un coup d'œil aux enfants qui attendent le bus scolaire. Ce n'est plus mon quotidien. À la mort de notre mère, j'ai dû abandonner mes études pour aider Lucas à subvenir à nos besoins. Je travaille désormais comme serveuse au seul restaurant du village, tenu par Hateya, une vieille amie de maman.

Alors que je continue mon périple à travers cette vaste étendue blanche, mon regard bascule sur la forêt de Grey Woods. Ce lieu m'attire inexorablement. Bien qu'à des kilomètres de ma position, je distingue sans difficulté, les sapins saupoudrés d'une épaisse couche de neige. Les images de mon rêve refont surface en une vague de flashs successifs. J'y retrouve le loup au pelage gris. Toujours cette profonde intensité dans ses yeux ambrés. Je me souviens de sa présence à mes côtés alors que nous regardions tous les deux dans la même direction.

Quelle est la signification de ce rêve ? Je ne le comprends pas.

Nous sommes deux êtres ennemis. Impossible pour nous d'agiter le drapeau blanc. Je ne le ferais pas non plus. Comme tous les membres de ma famille, je trouverai la paix lorsque l'alpha de la meute aura rendu son dernier souffle.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire SandElina AntoWan ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0