Chapitre 4- Un étrange visiteur

7 minutes de lecture

LAURENA

Snow Heaven

Aussitôt arrivée, je me précipite au vestiaire.

Ici, hormis Hateya, nous portons tous le même uniforme. Ainsi, nous sommes plus facilement repérables par les clients bien qu'à Snow Heaven, tout le monde se connaît.

J'enfile la robe bleu ciel, serre la ceinture blanche au maximum pour souligner ma taille puis pars à la recherche d'un élastique qui traîne au fond de mon casier. Le chapeau ridicule que je vais devoir porter aura au moins la décence de dissimuler mes cheveux qui n'ont pas été coiffés ce matin par manque de temps.

J'attrape mon badge, l'accroche à ma poitrine puis prends une profonde inspiration, laissant les effluves de pain frais et de café me guider vers la salle du restaurant. J'aime particulièrement travailler ici. La chaleur qui émane de cet endroit apaise mes blessures, ne serait-ce que pour quelques heures. Pourtant, aujourd'hui, mes pensées sont troublées.

En entrant dans la salle, mon regard est immédiatement attiré par Hateya, la chamane du village mais aussi propriétaire du restaurant. Elle est assise à sa table habituelle, près de la grande fenêtre. Devant elle, une tasse de thé fumant émet une vapeur délicate. Son visage est serein, encadré par quelques mèches de ses cheveux argentés.

— Désolée Hateya, je suis en retard.

— Ce n'est pas grave, mon petit. Comme tu vois, c'est assez calme aujourd'hui.

Je jette un coup d'œil autour de moi, réalisant que le restaurant est désert. J'étais tellement accaparée par mes pensées que je n'avais même pas remarqué le silence qui règne dans la salle.

— Lili a appelé, elle aussi sera en retard ! Le mauvais temps qui s'est accumulé ces derniers jours a rendu l'accès difficile, ajoute-t-elle.

Je hoche la tête, consciente que toute cette neige est devenue un obstacle pour les habitants du village. D'ailleurs, je ne me souviens pas d'avoir connu un hiver si rude. J'ignore comment elle fait pour supporter un tel froid en étant habillée de ses robes bohèmes à manches courtes. En même temps, Hateya est une personne semblable à aucune autre. Ses connaissances hors du commun ont fait d'elle cette excellente chamane avec laquelle j'adore apprendre.

Hateya lève les yeux de sa tasse et me sourit, son expression se fige légèrement en me voyant de plus près.

— Tu sembles épuisée, dit-elle d'une voix inquiète. Utilises-tu toujours les herbes que je t'ai données pour améliorer ton sommeil ?

— Oui, mais mon rêve est de plus en plus intense. Je le revis chaque nuit.

Hateya plisse les yeux, une ride se formant sur son front.

— Peut-être est-il temps de ne plus le prendre à la légère.

Je m'assois en face d'elle, rassemblant mon courage.

— Dans mon rêve, je vois ma mère ! Je crois qu'elle se trouve sur les terres de Grey Woods. Puis un loup surgit d'un buisson. Au début, j'ai peur mais ensuite... il y a quelque chose en lui qui m'attire. Nos regards se croisent et c'est comme si un lien invisible se formait entre nous, un lien que je ne peux expliquer.

Hateya écoute en silence, ses yeux perçants ancrés dans les miens.

— Continue, Laurena.

Je prends une profonde inspiration, sentant ma poitrine se serrer sous le poids de ce que je dois dire.

— Le cri de ma mère résonne et le loup se lance à sa poursuite. J'ai tellement peur pour elle que je le suis sans hésiter. Puis finalement, je la retrouve, dis-je d'un ton brisé, luttant contre l'émotion qui m'assaille.

Ma voix s'étouffe alors que je prononce les mots suivants. Ceux que je redoutais de prononcer.

— Elle est dans les bras d'un homme... et ce n'est pas mon père !

Alors que la cloche du restaurant signale l'arrivée des premiers clients, Hateya ne bouge pas, ses pensées tournées vers mes paroles. Elle réfléchit un moment, puis son regard se pose sur moi.

— Les rêves sont souvent des messages, Laurena. Lucinda, bien qu'elle soit partie, essaye peut-être de te dire quelque chose. Malgré ce que l'on croit, le loup est un symbole de protection. Il n'est pas toujours un ennemi. Il peut être aussi un guide.

Je hoche la tête, absorbant ses paroles.

— Ce loup me donne cette impression ! Dans mon rêve, il n'a aucun comportement agressif. C'est lui qui m'a permis de retrouver maman.

Hateya me sourit doucement, ses yeux brillants d'une lueur que je ne parviens pas à comprendre totalement.

— Peut-être que ce loup a encore des secrets à te révéler, Laurena. Ne ferme pas ton cœur à ce qu'il pourrait t'apporter.

Je sens mon trouble se calmer, comme si ses mots avaient le pouvoir de dissiper mes doutes et mes craintes. Une chaleur réconfortante s'empare de moi.

— Si tu veux bien, je vais te laisser prendre la commande des Garryson. Ils commencent à s'impatienter, je crois ! ajoute Hateya en se levant, emportant sa tasse vide vers les cuisines.

Reconnaissante de son aide, je hoche la tête avec un sourire. Je saisis carnet et stylo sur le comptoir et me dirige vers mes clients.

À cet instant, Lili, ma collègue, fait irruption dans la salle en s'excusant de son retard. Ses cheveux sont couverts de neige, et je la vois s'agiter pour essayer de la faire disparaître. Un éclat de rire m'échappe. Lili est ce genre de femme qui cherche toujours à être impeccable, même dans les moments les plus imprévisibles.

Je salue mes clients habituels, notant leur concentration sur la carte, bien qu'ils la connaissent par cœur.

— Alors, Monsieur et Madame Garryson, qu'est-ce qui vous ferait plaisir aujourd'hui ?

Alors que j'attends patiemment qu'ils m'annoncent leur commande habituelle, la cloche du restaurant se manifeste. Mon regard se détourne de mes clients pour se poser sur l'homme qui vient d'entrer. Mes yeux étudient son profil, suivent chacune des courbes de son corps avec une attention presque obsessionnelle.

Il est impossible de ne pas noter son allure imposante, le mystère qui semble l'entourer. Ses iris foncés portent en eux un éclat ténébreux tout en demeurant légèrement fuyants.

Sous une capuche, ses cheveux y sont dissimulés. Ses traits, virils sont adoucit par une barbe soignée mettant en valeur la ligne délicate de ses lèvres pulpeuses, d'un rose contrastant avec le reste de son visage.

Tout de noir vêtu, son magnétisme accapare tout l'espace. Cet homme est à la fois fascinant et troublant.

Il n'est visiblement pas d'ici, cela ne fait aucun doute. À Snow Heaven, les nouveaux visages sont devenus rares. La beauté tranquille de notre petite ville ne suffit plus et on comprend pourquoi.

Qui viendrait dans un village où une meute de loups réside à quelques kilomètres ?

Sans compter que la mort de ma mère a longtemps fait la une des journaux. De quoi en dissuader plus d'un.

Mais cet homme, par sa seule présence, défie cette tendance, apportant une touche d'inconnu, qui éveille en moi une certaine curiosité.

Sentant sûrement mon regard sur lui, ses prunelles d'un brun chocolat profond accrochent les miennes, et tout autour de moi semblent s'arrêter. L'instant est bref. Il aura suffi de quelques secondes. Assez pour en être troublée. Mon cœur en a raté un battement. Une chaleur inconnue gagnant ma poitrine.

Le petit Poméranien des Garryson, qui jusque-là jouait au chien de concierge est parti se réfugier au fond du sac de ses maîtres, comme s'il désirait se soustraire à une force invisible.

— Est-ce que tout va bien, Laurena ? demande Georges Garryson, inquiet.

— Oui, bien sûr ! dis-je en balbutiant. Je vais chercher vos muffins.

— Mais nous n'avons pas encore commandé, proteste sa femme.

Oups ! Le rouge me monte aux joues.

— Excusez-moi, Marie ! Je suis quelque peu distraite ce matin.

Je sens le regard de cet inconnu sur moi, lourd et insistant. Mes pommettes me brûlent à un point que cela en devient insupportable. Ma main tremble légèrement, trahissant mon trouble intérieur. Mon cœur bat la chamade, et je lutte pour retrouver mon calme, mais rien n'y fait. Cet homme a provoqué quelque chose en moi.

— Finalement, on va prendre les muffins, conclut Marie Garryson.

Bah, voyons !

Je me force à sourire et retourne au comptoir afin de préparer leur commande. J'essaie de ne pas me laisser déstabiliser par la présence de cet inconnu qui continue de hanter mes pensées, mais mes yeux, eux, se révèlent indisciplinés. Ces traites sont partis à sa recherche pour le trouver installé à la table la plus éloignée.

Il semble s'être fondu dans l'ombre, son visage à peine visible sous la capuche de son hoodie. Il scrute attentivement la carte, totalement indifférent aux regards braqués sur lui.

— Est-ce que tu le connais ? me demande Lili d'un air curieux.

Je ne peux m'empêcher de rire intérieurement. Comme si j'avais le physique pour côtoyer un homme tel que celui-ci.

— Non ! C'est la première fois que je le vois.

— Je crois que je vais me sacrifier pour prendre sa commande, dit-elle en ouvrant quelques boutons de sa robe.

Je roule des yeux. Pourquoi certaines femmes ressentent-elles le besoin de séduire ainsi ?

Avec Trevor, mon petit ami depuis trois ans, tout a été différent. Je n'ai jamais cherché à user de quelconque stratagème pour le séduire. Je suis restée fidèle à moi-même, et notre relation s'est construite naturellement. Elle est simple, sans prétention. Pas parfaite, mais qui peut prétendre l'être ? Depuis la mort de ma mère, je me sens encore plus éloignée de l'image de la compagne idéale.

— Je vais m'en occuper, Lili !

Le ton d'Hateya ne laisse place à aucune discussion. Lili semble déçue, mais je suis soulagée de rester à l'écart.

Pendant que les Garryson dégustent leurs muffins, je m'affaire à ranger derrière le comptoir. Je jette des coups d'œil furtifs à Hateya et l'inconnu. Tous les deux conversent avec sérieux mais je n'entends rien de leur conversation. Leurs lèvres bougent sans qu'aucun son n'en sorte.

Étrange !

Lorsque je constate qu'une épaisse fumée blanche s'échappe de la cuisine, je les quitte du regard et ne perds pas une seconde pour y entrer. À peine ai-je franchi le seuil, que je reconnais l'odeur de sauge qui y flotte. Bien qu'elle possède de multiples vertus, cette plante est principalement utilisée pour purifier un lieu et y chasser les mauvais esprits.

Malgré moi, je me demande pourquoi Hateya l'utilise maintenant. Est-ce pour purifier l'air ou pour un sort d'intimité ? Et quel rapport cela pourrait-il avoir avec cet homme mystérieux ?

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire SandElina AntoWan ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0