Chapitre 8- Hayden

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Grey Woods

Assis sur un tronc d'arbre, j'essaie de prêter attention au sermon d'Isaac, mais mon esprit dérive, attiré par les sensations de la forêt environnante. L'air est glacial, chargé d'une humidité qui se mêle au parfum boisé des pins et à l'odeur de la neige fraîchement tombée.

Je ne me rappelle pas l'avoir vu aussi irrité. Isaac, d'habitude si posé, semble dépassé par la situation. Je ne peux l'en blâmer, je ne suis pas autant discipliné qu'il peut l'être.

Dans sa simple tenue d'Adam, les épaules recouvertes de tatouages colorés, il marche de long en large à m'en donner le tournis.

Mon esprit, quant à lui, préfère s'évader en dehors de nos frontières qui, de plus en plus, m'étouffent.

Au loin, il me parait entendre encore les cris de la serveuse. Ses pommettes rosées, ses lèvres cyanifiées par le froid, ressortaient sur sa peau aussi blanche que la neige fraîche.

Quelques boucles brunes échappées de leur attache encadraient son visage juvénile. Dans ses yeux, j'ai vu la terreur déformer ses traits lorsqu'elle a cru que mon destin était scellé. Cela m'a procuré un sentiment étrange.

Je n'avais pas d'autre choix que de la guider sur une fausse piste. Je ne pouvais risquer qu'elle alerte les villageois de ma présence au-delà des limites. Sans la petite mise en scène orchestrée par Isaac, elle aurait découvert ma véritable nature. Un loup. L'ennemi. Son ennemi.

— Hayden, est-ce que tu pourrais au moins faire semblant d'être intéressé ou est-ce aussi trop te demander ?

— Et toi, pourrais-tu avoir la décence de t'habiller ? Pas que la nudité me dérange, mais je trouve que marcher à poil juste devant moi nuit grandement à ta crédibilité.

Isaac pousse un long soupir avant de se masser l'arête du nez, un geste familier qui me fait sourire.

— Tu es exaspérant ! souffle-t-il en se laissant tomber à mes côtés.

Sans pouvoir me retenir, je me mets à rire. Bien que je ne lui facilite pas la tâche, je le trouve plutôt mignon avec son discours moralisateur. Isaac a toujours fait partie de ceux qui ressentent le besoin de guider les âmes parfois les plus démunies. J'irai même jusqu'à dire qu'il est doué dans ce domaine. Sa seule erreur, c'est que j'ai l'impression qu'il me considère comme l'une d'entre elles alors qu'il n'en est rien.

— Allez, détends-toi, ce n'est pas si grave !

— Pas si grave ! Tu es sérieux, là ?

J'aurais dû la boucler.

— Hayden, tu as violé le traité en t'aventurant au-delà de notre territoire et tu trouves ça pas si grave ! Non seulement tu ne respectes pas les règles, mais tu nous mets tous en danger avec tes conneries !

— Je ne mettrais jamais la meute en péril ! Personne n'a rien vu ! Joue aux moralisateurs autant que tu le veux avec tes louveteaux, mais n'oublie jamais à qui tu t'adresses, Isaac !

Ma dominance s'impose malgré moi. Bien que sous forme humaine, on peut imaginer mon alter ego dévoilant ses crocs.

— Et... que fais-tu de nos sentinelles ?

Ces loups qui gardent nos frontières pour empêcher quiconque d'entrer ou de sortir sont faciles à tromper. Surtout pour moi, dont le corps et l'esprit ont été façonnés par des entraînements intensifs.

— Et la fille, tu vas me dire qu'elle n'a rien vu ?

La mention de la serveuse capte toute mon attention.

— Ne t'inquiète pas, ta mise en scène était parfaite ! je lâche, me redressant un coup sec du tronc d'arbre sur lequel j'étais assis. Elle m'a pris pour un touriste complètement ignorant qui a eu la maladresse d'entrer dans la zone interdite et qui vient d'en payer les frais.

Surpris par ce que je lui révèle, Isaac relève un sourcil :

— Ils nous prennent vraiment pour des monstres !

— Qu'ils continuent de nous imaginer ainsi. C'est préférable ! je lâche, réajustant ma veste en cuir usée sur mes épaules.

La folie d'un homme nous mène à notre perte. La seule chose qui les retient de ne pas nous envahir est la peur. Si elle disparaît, armés de fusils, ils franchiront nos frontières pour nous abattre. Beaucoup des nôtres tomberont sous leurs balles, peut-être même Isaac. Et en tant que chef de guerre, je serai en première ligne. Pour protéger les miens, je deviendrai le monstre qu'ils imaginent.

— Est-ce que c'est pour cette fille que tu t'aventures hors de nos terres ? C'est ta petite amie, c'est ça ? Si c'était le cas, peut-être aurais-je moins envie de tuer ! J'irais même jusqu'à trouver cela... romantique !

Les yeux ronds comme des soucoupes, je me demande si mon frère n'a pas perdu l'esprit. Peut-être suis-je toujours en territoire ennemi sous l'un des sortilèges d'Hateya.

— Est-ce que tu es sérieux ?

— C'est vrai, tu n'as rien de romantique ! Tu passes de louve en louve sans jamais t'attacher. Pourtant, elles sont nombreuses à attendre que tu en choisisses une comme partenaire. Mais j'ai bon espoir que tu trouveras celle qui te sortira de ta vie de débauche.

Quand il apprendra que je suis fiancé à la fille de l'Alpha de Black Creek, il tombera de haut. Ce n'est pas un mariage d'amour, juste une alliance de pouvoir. Même si je ne suis pas du genre sentimental, j'aurais préféré quelque chose de plus passionné.

— Isaac, cette fille n'est qu'une gamine !

— Vraiment ? Elle ne m'a pas paru si jeune, et je l'ai trouvée plutôt jolie. Avec sa peau laiteuse, on aurait dit une poupée.

Impossible pour moi de ne pas arquer un sourcil.

— Quoi ? Ne me regarde pas comme ça ! Ce n'est pas parce que je suis gay que je ne peux pas trouver une fille mignonne ! Et puis si ce n'est pas pour une femme que tu quittes Grey Woods, alors pourquoi le fais-tu ?

Las, je finis par avouer la vérité dans l'espoir qu'il me lâche.

— Tu plaisantes ! Hateya, cette femme bizarre qui se dit chamane ! Sais-tu que son jardin est rempli des ossements de toutes les pauvres créatures qu'elle a offerts en guise de sacrifice ? Pourquoi avoir pris le risque de la rencontrer en terre ennemie ? Sa maison se situe en terrain neutre.

— Parce que tu l'as souligné, petit frère ! Je n'ai aucunement envie que ma carcasse ne finisse dans son jardin ! je réponds en lui lançant un clin d'œil amusé.

Nous éclatons de rire ensemble, un instant de complicité qui allège l'atmosphère pesante. Mais notre moment est interrompu par un Eta, l'un de mes hommes.

— Oh, merde, il est au courant ! s'alarme Isaac.

L'idée que notre Alpha découvre ma désobéissance le terrifie. Konur m'a déjà puni avec ce mariage arrangé. Il ne peut rien me faire de pire.

— La ferme, Isaac ! 

Je me tourne vers l'Eta et demande :

— Que se passe-t-il ?

— Les sentinelles ont trouvé quelque chose, vous devriez venir voir.

Je me lève immédiatement, le suivant à travers la forêt. Finalement, il me conduit à une empreinte, encore fraîche.

— Qu'en pensez-vous, mon général ?

Je m'accroupis, l'étudiant avec attention.

— C'est celle d'un cervidé ! Et un gros, si j'en crois la taille de la trace.

Un tel animal pourrait nourrir la meute pendant un certain temps, ce qui est crucial dans la période difficile que nous traversons.

— Voulez-vous que j'en informe la meute ?

— Il est inutile de donner de faux espoirs à tout le monde, il est possible qu'il ne soit déjà plus sur notre territoire. Nous devons nous en assurer avant !

Je me redresse, sentant le poids de la responsabilité peser sur mes épaules. Cette chasse, je la mènerai moi-même dès ce soir. Si le cervidé se trouve toujours sur nos terres, je le prendrai en chasse. 

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