Chapitre 11- Laurena
Snow Heaven
Assise sur la banquette devant la fenêtre, les genoux ramenés contre ma poitrine, j'essaye de calmer le tourbillon de pensées qui m'assaillent. Une tempête de neige sévit à l'extérieur. La météo ne s'était pas trompée, l'hiver n'est pas prêt de se terminer.
Comparée à la mienne, la maison de Trevor est confortable. Pour la première fois depuis longtemps, cette nuit, je ne serais pas réveillée par le craquement de la charpente ni par les portes qui claquent sous les courants d'air.
En tant que médecins, les parents de Trevor ont toujours été plus aisés que ma famille et cela se ressent dans chaque pièce. Ici, tout est beau, achevé.
Bien que nous appartenions à une classe moyenne, financièrement nous nous en sortions. Nous étions même heureux de ce que nous avions. Il y'a de cela des années, mon père tenait sa propre entreprise de construction et ma mère, comme je le fais aujourd'hui, travaillait en tant que serveuse. À cette époque, tout était différent. Le restaurant était constamment bombé. Il faut dire que nous croulions sous les touristes venant de partout afin d'admirer la beauté des paysages ainsi que pour les étendues d'aurores boréales parsemant le ciel étoilé. Et bien que Snow Heaven, petite ville en plein cœur de la Laponie, n'a rien perdu de sa magie, les curieux ont préféré déserter.
Et c'est compréhensible ! Peu de personnes sont prêtes à risquer leurs vies pour se retrouver au beau milieu d'une vendetta contre des loups-garous. Ils seraient fous de l'ignorer !
— Laurena... je t'ai préparé du thé, commence Trevor doucement en me rejoignant.
D'un sourire, je le remercie pour sa bienveillance et attrape la tasse qu'il me tend. Il est si prévenant ! Si soucieux de mon bien-être.
La chaleur qui se dégage de la porcelaine vient aussitôt apaiser mes engelures présentes sur le bout des doigts.
— Es-tu sûre de ne pas vouloir de la crème pour tes mains ?
Je jette un œil à ma peau légèrement bleutée.
— C'est gentil, ça va aller ! Je suis bien plus forte qu'on ne le pense !
— Je n'en ai jamais douté !
Trevor a une telle façon de me regarder qu'il arrive à me mettre mal à l'aise. L'amour qu'il me porte je le vois à travers ses yeux. Il est profond et bien réel.
Aussi loin que je m'en souvienne, il a toujours été là pour moi. Avant d'entamer une relation, il était mon ami, mon confident. Tomber amoureuse de lui a été facile. Une suite logique de notre histoire.
— Je suis contente que tu sois rentré ! Excuse-moi, je sais que j'aurais dû te le dire plus tôt ! j'admets, peu fière.
— Mieux vaut tard que jamais !
J'aimerais me montrer moins détaché avec lui, mais depuis le décès de ma mère, je ne suis plus la même. La Laurena qu'il a connue n'existe plus. Malgré ce qu'il croit, elle ne reviendra pas !
— Je sais que tu te fais beaucoup de soucis pour ce soir, mais ton père ne mettrait jamais la vie de Lucas en danger !
— Mon père n'a plus les idées claires ! Il est obsédé par Konur ! Tant qu'il ne sera pas six pieds sous terre, il ne s'arrêtera pas. Moi aussi je désire la mort de notre ennemi, mais ce n'est pas une raison pour utiliser mon frère.
— J'imagine que Ned fait avec les moyens qu'il a en sa possession. La capacité de métamorphose de Lucas fait de lui une arme impossible à ignorer. Aucun de ses soldats n'a un tel don. Après tout, comparés à vous, nous ne sommes que de simples humains coincés dans un monde surnaturel qu'il nous est difficile à comprendre.
Et je sais que ces propres mots lui font écho. Si les hommes du village le suivent, c'est dans l'espoir d'y revivre une vie paisible.
— C'est l'impression que tu as ? Celle d'être coincé ? je demande, intéressée.
Avec un certain détachement, Trevor hausse les épaules.
— J'admets qu'il est difficile de trouver sa place dans un monde tel que celui-ci sans posséder de super pouvoirs ! Vivre à Snow Heaven n'a jamais été facile mais je crois que c'est pire depuis l'accident !
Afin de dissimuler la douleur qui s'est frayé un chemin jusqu'à mon cœur, je dépose ma tasse de thé sur le guéridon.
— A Kingdom Sky, la vie parait si... différente, poursuit-il, plongé dans ses souvenirs. Les personnes semblent toutes si ordinaires. Il n'y a ni meutes de loups à l'horizon ni limites à ne pas franchir.
— Et pourtant à Kingdom Sky ou à Snow Heaven, le surnaturel est partout, je pense important de lui rappeler.
— J'en ai conscience ! Mais c'est différent ! Les gens comme moi se sentent plus à leur aise ! Plus utiles !
— Même si tu en doutes, tu as ta place à Snow Heaven, Trevor ! Si le monde avait besoin que d'êtres surnaturels, il en aurait été ainsi. Je pense que dame nature ne fait pas les choses par hasard et qu'avec cet équilibre c'est ce qui permet de ne pas nous égarer en chemin. La frontière entre le bien et le mal peut rapidement devenir floue pour les gens comme nous !
Ému, Trevor dépose délicatement sa main sur ma pommette.
— Lié à mes émotions, ma magie est difficile à gérer en ce moment, j'admets. Lorsque viendra l'initiation, cela sera pire encore. J'aurais accès à des pouvoirs qui me dépasseront. Je dois réussir à reprendre le contrôle et j'avoue que ça me fait peur.
— Je ne te laisserai pas te perdre, Laurena !
— Alors tu vois, tu n'es pas si inutile que ça, finalement !
— Méchante ! me dit-il en me lançant un coussin à la figure.
Et cela fait tellement de bien de rire et cela même si c'est pendant une courte durée. Voilà pourquoi Trevor est bon pour moi. Sa patience sans me brusquer m'aide à reprendre le cours de ma vie.
— Il est évident qu'Hateya est la mieux placée avec la sorcellerie, il poursuit avec légèreté. Je n'y connais rien mais si je peux t'aider avec un sortilège, je veux que tu saches que je suis là.
— À vrai dire, je ne pratique plus la magie en étant seule. J'ai peur de perdre le contrôle ! j'admets tout en serrant mon amulette entre mes doigts.
— Plus rien ! Même quelque chose de simple comme sortir un lapin d'un chapeau ?
— Faudrait-il encore avoir un chapeau !
— D'un bonnet ? me montre-t-il le mien dans l'entrée
—Non ! Pas d'un bonnet !
— Peut-être que ton blocage vient de là. Tu ne pratiques plus car tu as perdu confiance en toi. Ta magie ne peut plus s'exprimer librement !
— Alors que puis-je faire contre ça ?
— Ne pas abandonner ! Peut-être que ça te ferait du bien de pratiquer un peu de magie, quelque chose de simple.
— Trevor, je ne sais pas si c'est une bonne idée. Ce soir... je suis vraiment inquiète. Même si j'ai accepté qu'ils y aillent, je n'arrive pas à me sentir rassurée.
Il pose une main réconfortante sur la mienne.
— Je sais ! Mais je pense que cela pourrait t'aider à te détendre, ne serait-ce qu'un peu. Juste une petite chose, comme faire léviter une cuillère.
Je baisse les yeux, partagée entre l'envie de retrouver une part de moi-même et la peur qui me ronge depuis que j'ai laissé mon frère partir.
— Lucas est fort. Il sait ce qu'il fait, et il n'est pas seul. Mais toi, tu dois aussi te rappeler qui tu es.
Je soupire, sentant le poids de l'angoisse dans ma poitrine.
— D'accord, juste une cuillère, j'acquiesce.
Après en avoir récupéré une dans la cuisine, Trevor, pose la cuillère sur la table basse.
Je prends une profonde inspiration, fermant les yeux pour me concentrer malgré l'inquiétude qui pulse en moi. J'essaye de faire le vide dans mon esprit, me concentre et place mes mains au-dessus de l'ustensile. Lentement, je murmure les mots du sortilège, les prononçant avec une précision qui me semble familière.
Sous mes doigts, je sens le métal se chauffer, se tordre sous la pression que j'exerce. La cuillère tremble légèrement, puis elle s'élève doucement dans les airs. Une petite lueur de satisfaction traverse mon esprit. Mais alors que je commence à savourer ce petit succès, quelque chose change. Des flashs successifs envahissent mon esprit.
Le loup gris de mes rêves bondit sur un cerf, ses canines se plantant dans la chair tendre. Le cervidé brame, se débattant pour échapper à la mort. Il lutte, ses bois perforant la cuisse de son attaquant dans un dernier effort désespéré. J'entends les jappements de douleur du canidé. Mais ce n'est pas tout. D'autres images violentes m'assaillent. Mon père est à terre, le loup le menaçant de ses crocs.
— Non !
Mon cri résonne dans la pièce, tandis que la cuillère s'écrase contre le mur dans un fracas métallique. Je me lève d'un bond, tremblante, le cœur battant à tout rompre.
Ma respiration s'accélère et les appels de Trevor cherchant à me ramener parmi eux ne parviennent pas à me faire quitter ma transe. Encore moins à chasser toutes les visions qui se bousculent dans ma tête.
Je sais qu'il se passe quelque chose de grave, je le sens au plus profond de moi.
— Je dois m'assurer qu'ils vont bien !
Sans attendre, je me dirige vers la porte, mon esprit tourmenté par l'image du loup, et par la certitude terrible que cette nuit ne sera pas comme les autres.
J'attrape mes affaires dans l'entrée puis me chausse de mes après-ski.
— Attends, Laurena !
— Il est inutile d'essayer de m'en dissuader, Trevor, m'agacé-je. Soit tu me ramènes chez moi soit j'irai par moi-même !
Surpris par mon ton autoritaire, mon petit ami a un moment d'hésitation.
— As-tu conscience qu'on est en pleine tempête ? cherche-t-il à me faire remarquer en s'habillant à son tour.
— ça m'est égal !
—Ok, comme tu voudras ! Je viens avec toi !
En arrivant devant chez moi, la première chose qui me frappe est la couleur de la neige à certains endroits. Des traînées rosâtres s'étendent jusqu'au porche.
— Mon Dieu, est-ce que c'est du sang ? j'ose demander
Une boule d'angoisse est en train de s'installer.
— On dirait bien ! répond Trevor en détachant sa ceinture.
Un long fracas résonne à l'intérieur de la maison.
Prise de panique, je sors du véhicule et rejoins l'entrée. J'enjambe ce qui reste de la porte tout en observant l'état du sol. Il n'est plus qu'un mélange de liquide rougeâtre et de bois arraché. Mon père et Lucas sont dans le couloir, traînant quelque chose qui leur donne du fil à retordre.
Des grognements retentissent et prouvent qu'il s'agit d'un animal. Ses griffes sont d'ailleurs en train de ruiner le parquet.
— Lucas, tu n'as pas dû l'anesthésier correctement.
— Il a pourtant trois fléchettes de plantées dans l'arrière-train !
— Nom de Dieu, Laurena, m'ordonne mon père, ne reste pas là, va nous ouvrir la cave.
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