Chapitre 12- Le loup aux yeux d'or
LAURENA
Snow Heaven
Il n'aura fallu que quelques secondes, six petites enjambées, pour que mon monde chavire une deuxième fois. Ma mission à accomplir était simple, je n'avais qu'à ouvrir cette porte.
Pourtant, je ne l'ai pas fait.
Tout a basculé lorsque mes yeux ont croisé ceux de l'animal au pelage d'argent. Pendant un instant, le canidé s'est figé et n'a plus tiré sur ses liens. Ma respiration s'est bloquée. La sienne semble en avoir fait autant.
Nos regards rivés l'un à l'autre s'étudient longuement, comme s'ils cherchaient à s'apprivoiser.
— LAURENA !
En arrière plan, j'entends le cri de mon père qui m'ordonne d'agir.
Puis vient celle de mon frère.
Mais rien n'y fait. Je suis captive dans une réalité parallèle où lui et moi sommes seuls. Sous mes tempes, mes pulsations cardiaques frappent à m'en faire mal.
Puis le contact visuel entre nous se rompt.
En leur ouvrant la porte de la cave à ma place, Trevor a scellé le destin du loup. Sans vraiment savoir pourquoi, je n'étais pas prête à le faire.
Désormais, seule dans le couloir, je n'arrive pas à me détacher de l'escalier où les trois hommes l'ont emmené. Différents sons me parviennent du sous-sol et chacun d'entre eux me fait froid dans le dos. Poussée par une force invisible, je ne peux m'empêcher de descendre. Les marches grincent sous mes pas et trahissent d'emblée mon inquisition. Par chance, personne ne s'en soucie. Tous les trois sont obnubilés par la créature qui déverse sa colère sur les barreaux de la cage. Il s'acharne, teste sa résistance.
Ce loup massif ne verra plus le jour. Il ne pourra plus courir à l'air libre ni sentir le vent dans sa fourrure argentée. Malgré moi, ces pensées m'attristent. Malgré ce qu'il est, je ne peux me résoudre à ne rien éprouver.. Mes yeux lorgnent la blessure sur sa cuisse arrière. Ce n'est que le début. Son sang finira par recouvrir le sol.
— Laurena, ne reste pas ici.
La voix de Lucas me tire de mes pensées. Je ne peux m'empêcher de regarder une dernière fois en direction du prisonnier. Sa langue pendouille sur le côté. Son attention est rivée sur moi et je sens ce fil invisible qui cherche à se tisser entre nous. Mon cœur est en train de cavaler. Je ne souhaite pas rompre cet échange visuel, mais j'y suis contrainte.
Mon frère m'oblige à remonter l'escalier.
— Qu'est-ce qui t'a pris ? me demande-t-il en refermant la porte derrière nous.
— De quoi parles-tu ?
— Tu es restée sans bouger alors qu'on avait besoin d'aide !
— Et vous ? Pourquoi avoir emmené ce loup ici ? Et puis d'abord, vous m'aviez assuré que ce n'était qu'une simple opération d'espionnage.
— Il n'y avait rien de prémédité. C'est arrivé comme ça ! Lorsque j'ai croisé ce cerf, j'ai cru qu'en copiant son apparence je pourrais en apprendre davantage sur eux.
— À quoi pensais-tu, Lucas ? Tu te trouvais sur le territoire des loups.
— Je ne pouvais pas deviner que l'un d'entre eux aurait le cran de chasser un tel gibier. Il doit être sacrément affamé pour prendre ce risque.
— Tu n'es qu'un imbécile ! Cela aurait pu mal finir, je raille.
Mon frère fait la moue.
— Dois-je comprendre que tu es rassurée que j'aille bien ?
— Bien sûr, espèce d'idiot !
J'en profite pour l'enlacer. Sans lui, je serai perdue. Notre père n'étant plus lui-même, Lucas est tout ce qui me reste. Nous avons cette chance d'être proches l'un de l'autre.
La porte de la cave s'ouvre, révélant le visage accablé de notre père
— Est-ce que tout va bien, papa ? l'interroge Lucas tout en mettant fin à notre étreinte.
— Au départ, j'ai cru que c'était Konur, nous apprend-il, perdu dans ses pensées. Désormais, je n'en suis plus si sûr.
Chaque fois que j'entends ou prononce le nom de notre ennemi, je sens la haine qui empoisonne mon sang. J'aimerais être en face de cet homme et lui faire subir les pires atrocités. Je prendrais plaisir à le faire. Il est l'unique responsable de la mort de ma mère.
— Il a une apparence, une attitude si similaire ! poursuit-il, massant sa barbe grisâtre et à la fois négligée.
— Konur n'est pas censé être dans vos âges ?
— En effet, Trevor, il est plus vieux de quelques années ! admet mon père, un sourire forcé au coin des lèvres.
— Pour l'avoir eu aux fesses pendant un certain moment et après lui avoir planté trois fléchettes d'anesthésiant dans l'arrière-train, je peux assurer qu'il est en pleine force de l'âge ! lui fait remarquer mon frère.
— C'est pour cette raison qu'il ne peut pas s'agir de Konur et cela malgré cette ressemblance ! Il est trop jeune, trop vivace !
— Si ce n'est pas Konur alors qui se trouve dans la cage ? j'ose demander.
Lorsque mon père pose sur moi ses yeux gris-bleu, je les trouve plus hantés que d'habitude. Cernés de rouge, ils mettent en évidence cette détresse émotionnelle que la capture de cet animal a fait ressurgir.
Et j'ai mal pour lui. Sa douleur, bien que différente de la mienne, le ronge. Elle creuse les rides sur son visage qui, depuis la mort de ma mère, se sont multipliées.
— Ne recommence plus jamais ça, Laurena ! lâche-t-il comme seule réponse.
— Je suis désolée.
Que puis-je dire d'autre ? Une fois de plus, j'ai merdé !
Après le départ de Trevor, j'ai préféré m'éclipser dans ma chambre. De toute façon, il m'était impossible de rentrer auprès de lui, pas après les derniers évènements. Dépitée, je me laisse tomber sur mon lit.
Comment ai-je pu rester à les regarder sans leur venir en aide ? Je ne comprends pas. À la place, je me suis bêtement laissé captiver par cette nuance d'or liquide dans les yeux de mon ennemi.
Au-dessus de l'armoire, Féline semble apeurée. Tout comme les chiens du quartier, elle a senti l'odeur d'un prédateur et s'en inquiète. D'un bon coup de pied aux fesses, je me fais violence pour aller la rejoindre.
— Hey ! Tu ne risques rien, ma belle.
J'attrape délicatement mon chat dont les yeux ressemblent à deux billes prêtes à s'expulser de sa boite crânienne.
— Tout va bien, le grand méchant loup ne peut pas venir ici.
Je me réinstalle sur mon lit et la rassure. Malgré toutes mes caresses, elle n'émet aucun ronronnement.
Le regard rivé sur le plafond dont la peinture est écaillée, je cherche désespérément à rejoindre Morphée. Le froid hivernal s'engouffre dans la maison bien que Lucas a réparé la porte d'entrée. Si j'en avais la possibilité, je donnerais tout pour me retrouver devant un feu de cheminée. J'envie toutes ces familles qui le peuvent. Je rêve de ressentir à nouveau sa chaleur sur ma peau et entendre le crépitement du chêne dans les flammes. La nôtre n'a pas été utilisée depuis bien trop longtemps.
Mes paupières s'alourdissent. Le manque de sommeil se fait cruellement sentir. Ma respiration est calme. La nuit est tombée vite, mais plongée dans le noir, je n'ai pas peur.
L'humidité présente dans les murs agace mes narines. Le peu de chauffage dans cette demeure n'aide pas à la préserver. Autrefois, elle était chaleureuse. Depuis le décès de ma mère, mon père n'en prend plus soin. Mon frère apprend au fur et à mesure les bases du bricolage tandis que j'essaie de la garder propre. Malgré tout, elle a perdu de son charme d'autan pour n'être plus qu'une vieille bicoque qui tient à peine debout.
Un goutte à goutte résonne. Surement une fuite dans l'une des canalisations. D'autres odeurs viennent jusqu'à moi et aucune d'elle n'est agréable. Plongée dans une profonde quiétude, une douce chaleur m'enveloppe, me berce, caresse ma joue. J'émets un son de satisfaction. Mes paupières papillonnent avant de s'ouvrir paresseusement sur une silhouette masculine qui me domine de toute sa hauteur.
— Laurena, aide-moi !
***
Merci de votre lecture, j'espère que vous avez apprécié ce nouveau chapitre. N'hésitez pas à y laisser un petit mot sur votre ressenti.
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