Chapitre 13- Intensité et Fascination
LAURENA
Snow Heaven
Alors que je cherche à fuir mon lit, mes pieds s'emmêlent dans la couette.
La chute est inévitable.
À plat ventre sur le sol, je ne perds pas une seconde. Je me redresse et me jette sur l'interrupteur.
La lumière d'un blanc chaud agace mes pupilles qui peinent à s'adapter à ce changement soudain. D'ailleurs, je ne suis pas la seule. Féline m'observe de son unique œil ouvert. J'ignore pourquoi elle continue de s'installer près de moi alors que je perturbe son sommeil chaque nuit.
Telle une névrosée, je passe la pièce au peigne fin sous le regard appuyé de mon chat. Il n'y a rien derrière les rideaux. La fenêtre est close. Après vérification, il n'y a rien non plus sous le lit. Nous sommes seules. Pourtant, je suis persuadée d'avoir senti la présence de cet homme. Dans l'air flotte une odeur boisée et masculine que je ne peux ignorer. Cette voix à la fois apaisante et suppliante me demandant de lui venir en aide, l'ai-je imaginée ?
Il est presque deux heures du matin. Le ciel a revêtu son long manteau noir qui s'étend à perte de vue. En revanche, les étoiles sont aux abonnées absentes. La lune s'impose d'elle-même comme maîtresse des lieux.
J'enfile mes chaussons, attrape ma robe de chambre et prends la direction de la salle de bain. L'eau chaude vient soulager la tension présente dans mon corps. Telle une seconde peau, elle ne me quitte plus. La voix de cet inconnu résonne dans ma tête en permanence. Elle me rend dingue, me tourmente sans répit. Ma douche terminée, je sors de la pièce.
Plongée dans la pénombre, je traverse le couloir. En bas de l'escalier, un seau contenant une eau à l'aspect douteuse me rappelle les évènements de la veille. Lucas a sans doute essayé de nettoyer le sol de tout ce liquide poisseux qui le recouvrait. Cette teinte caramel que le parquet possédait autrefois est bien loin. Aujourd'hui, le bois devenu grisâtre s'est nourri du sang du canidé. À cette pensée, mes yeux se posent sur la cave.
Que s'est-il passé pendant que je dormais ? Est-il toujours là au fond de cette cage ? Mon père a-t-il mis fin à sa captivité après l'avoir abattu ? A-t-il obtenu ce qu'il espérait de lui ?
Il me faut un certain temps pour me rendre compte que mes doigts ont déjà saisi la poignée de la porte.
Curiosité maladive ou démence ? Peut-être, un mélange des deux.
Après un coup d'œil en arrière pour m'assurer que je suis seule, je descends une à une les marches menant à la cave. Je me maudis d'avance, mais je ne peux revenir en arrière.
L'appel est trop fort !
Dans cette pièce dépourvue de chaleur, la même odeur boisée guide mes pas. Un hoquet de stupeur s'échappe de mes lèvres en découvrant ce corps nu à même le sol. L'animal a passé le relais à son alter ego. Endormi dans une position fœtale, l'homme semble aussi captivant que peut l'être la bête. Impossible de m'en détacher. Je suis un pantin désarticulé entraîné par celui qui contrôle les ficelles.
À force de mutations répétées, d'os qui craquent, les lycanthropes tout comme les métamorphes possèdent une puissante musculature. Cet homme n'échappe pas à la règle. Son corps est un chef-d'œuvre qu'on aurait pris plaisir à bichonner durant des heures. Le résultat est époustouflant.
Je n'ai jamais eu affaire à l'Alpha de la meute de Grey Woods, mais il est évident qu'il ne peut s'agir de Konur. Mon père avait vu juste. Cet homme-loup est bien trop jeune.
Mes doigts glissent sur les barreaux avec délicatesse alors que je suis à la recherche d'un tout nouvel angle d'observation. J'éprouve le besoin d'en découvrir plus. Ses cheveux aussi bruns que les miens sont encore coiffés. Une barbe parfaitement taillée lui grignote les joues et attise davantage sa virilité. La puissance de son magnétisme gravite tout autour de moi. Mon regard dérive sur la plaie de sa cuisse. Elle est restée à l'air libre. Après tout, il est notre ennemi, pourquoi aurait-il bénéficié de soins ?
Dans son sommeil, il gigote et dans sa manœuvre pousse un gémissement de douleur. Mon cœur frappe fort dans ma poitrine. Je me dois de ne rien éprouver. Il n'est pas mieux que ces semblables. Pas meilleur que celui qui m'a arraché ma mère. Toute cette haine ressentie, elle ne peut s'effacer.
Sans prévenir, d'un geste vif, il saisit mon poignet. Mes pulsations cardiaques s'accélèrent. L'inquiétude me gagne. Je me débats. Me retiens pour ne pas hurler.
Quelle excuse trouverais-je pour justifier ma présence ici ?
Le prisonnier se redresse, me domine de toute sa hauteur. Comme la fille stupide que je suis, je ne trouve rien de mieux à faire que suivre son mouvement.
Me voilà happée par son regard chocolat.
Je reconnais immédiatement l'homme du restaurant. Ce même homme que j'ai cherché à sauver d'un destin que je pensais scellé sans imaginer qu'il était l'un d'entre eux.
— Vous ! je lâche, décontenancée.
— Toi !
Tout comme il l'avait fait précédemment, sa tête bascule sur le côté avec intérêt.
Je sens la brûlure de ses yeux sur chaque centimètre de mon corps. Son examen visuel agit sur moi d'une façon indescriptible. Des papillons me butinent de l'intérieur. Ma main est toujours prise dans l'étau de ses doigts et j'ai beau tirer de toutes mes forces, il ne semble avoir aucune difficulté à me tenir en place.
— Lâchez moi !
Ma voix est fragile. Prise de panique, les battements de mon cœur s'accélèrent. Telle une imbécile, je cherche désespérément du regard une personne capable de venir à mon aide. Seulement personne ne viendra !
Autour de moi, le décor tourne. Une douleur lancinante s'intensifie au niveau de mes tempes. Au-dessus de nos têtes, des canalisations éclatent un peu partout. L'homme-loup redresse la tête, fronce les sourcils en désirant comprendre ce qui vient de se passer.
Trempée de la tête au pied, je respire difficilement. J'ai tout aussi froid que je suis fascinée par toute cette quantité d'eau qui s'écoule le long de son corps nu. Lorsque ses yeux reviennent à moi, j'ai l'impression de ne plus être maître de mes émotions. Je bloque sur ses lèvres joliment dessinées qui remuent légèrement. Puis lorsque ces dernières laissent échapper un filet d'eau qui m'atteint en plein visage, je lâche un hoquet de surprise.
— Tu apprécies ce que tu vois, Blanche-Neige ?
Puis, sans que je m'y attende, n'espérant aucune réponse de ma part, il me relâche si soudainement que j'en tombe à la renverse.
Assise sur les fesses, il me faut quelques secondes pour comprendre ce qui vient de se passer.
— Va en enfer, monstre ! raillé-je.
Puis, sans demander mon reste, je cours en direction de l'escalier.
Je n'aurais jamais dû venir ici. C'était une erreur.
— Dans le cas où tu ne l'aurais pas remarqué, sorcière, il se trouve que j'y suis déjà !
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