Chapitre 14- Entre griffes et chaînes
HAYDEN
Snow Heaven
Dans ses chaussons à tête de lapin, absolument atroces, elle court dans l'escalier comme si elle avait Lucifer aux trousses. Ce n'est pas à elle d'être effrayée, je suis celui qu'on a abandonné dans une cage avec un avenir incertain.
La porte vient de claquer. La sorcière est partie emportant avec elle mes derniers espoirs. La tenir entre mes griffes aurait pu me permettre de rebattre les cartes de la partie. La situation avait tourné à mon avantage. Tel un petit agneau égaré, elle s'était laissé prendre au piège et comme le loup stupide que j'ai été, je l'ai laissé m'échapper.
Lorsque le rythme de ses pulsations cardiaques a augmenté, je l'ai vu perdre le contrôle sur sa magie. Ce n'est pas ce qui m'a déstabilisé, mais la teinte rosée qui recouvrait ses joues de porcelaine quand ses yeux ont parcouru mon corps. Tel un avertissement, la brûlure de son regard m'a provoqué un uppercut en pleine poitrine.
C'est bien plus que je ne pouvais le tolérer.
Dépité et épuisé, je me laisse glisser le long des barreaux.
Un rayon lunaire traverse la minuscule fenêtre par laquelle il me serait impossible de m'échapper si l'occasion se présentait. Des dalles en PVC recouvrent la moitié du plafond, l'autre partie a été jetée aux oubliettes. D'imposantes chaînes clouées au mur ne sont pas là pour me rassurer. Elles m'offrent un aperçu de la suite des événements. Malheureusement pour eux, ma position de guerrier à sein de la meute ne sera pas à leur avantage.
Assis à même le sol, des hurlements de loups viennent me sortir de mes pensées. D'instinct, mes paupières se ferment appréciant chacun d'entre eux. Parmi toutes ces vocalises, je reconnais Isaac, mon petit frère. Il s'inquiète de mon absence. Je demeurerais silencieux. Il est hors de question de mettre l'un des miens en danger. Plus les heures passeront, plus ils seront nombreux à m'appeler. Nous ne partageons pas tous le même sang, mais nous sommes une véritable famille.
Ma seule issue se trouve en haut de cet escalier.
Lorsque je reconnais le parfum vanillé de la sorcière, je fronce les sourcils. Après avoir eu l'intelligence de couper l'eau, cette dernière est revenue. Sans vraiment savoir pourquoi, je l'imagine derrière la porte, sa main fine et délicate qu'il m'aurait été si facile de briser posée contre le battant.
Petit agneau fragile, l'histoire ne se répétera pas ! J'y veillerai.
À force de lutter contre Morphée pour ne pas m'assoupir, je constate que de nombreuses heures se sont écoulées. La sorcière est partie depuis longtemps et les premiers rayons du soleil commencent à percer les horizons, éclairant le ciel d'une palette de couleurs aux tons chauds.
Tout comme la lune a cédé son perpétuel relais, je décide d'en faire autant avec mon alter ego. Au dessus de ma tête, le plancher craque. On s'agite. Il est temps pour moi de revêtir une toute autre apparence. Les battements de mon cœur s'accélèrent, obéissant à ma demande. La transformation s'intensifie dans mes pieds. Ma voûte plantaire s'allonge. Mes orteils supportent le poids de mon corps sans difficulté. Ma colonne vertébrale craque brutalement, m'arrachant un cri plaintif que je peine à retenir. Mes yeux suivent le rétrécissement de mes phalanges à défaut de mes ongles qui, eux, s'allongent. La douleur est atroce, mais nécessaire pour faire place à l'animal. Elle s'étend dans chaque partie de mon anatomie. Mon pelage argenté recouvre chaque centimètre de ma peau nue. Le changement s'opère dans mes iris. Les couleurs diminuent, mais je gagne en perception.
Lorsque la porte de la cave s'ouvre, ce n'est plus l'homme qui se trouve dans cette cage, mais le loup. L'identité de mon visiteur est trahie par cette odeur d'eau de Cologne. Mes yeux ambrés suivent ses mouvements dans l'escalier. S'il pouvait faire une mauvaise chute dans ces marches, ce serait jouissif.
— As-tu passé une bonne nuit dans tes nouveaux appartements ?
En guise de réponse, je retrousse les babines et me jette contre les barreaux.
« Connard ! Oserais-tu m'y rejoindre ? »
— Crois-tu qu'en restant sous cette apparence, je ne serais pas en mesure de te faire parler ?
En guise d'affront, les yeux rivés dans les siens, je m'assis sur mon arrière-train, ignorant les élancements dans ma cuisse blessée.
Les bras croisés sur sa poitrine, il prend le temps de m'observer. Un combat silencieux s'est entamé entre nous et je ne serai pas celui qui cèdera.
Un rictus apparaît au coin de ses lèvres lorsqu'il le comprend.
— Tu n'es peut-être pas celui que je pensais, mais il est évident que tu ne te trouves pas en bas dans leur hiérarchie. Toute ton attitude le prouve. C'est étonnant que Konur accepte un mâle aussi dominant. Ne craint-il pas de se faire détrôner ?
À la mention de mon alpha, mes oreilles exécutent un mouvement de balancier.
— Serais-tu son bêta ? A-t-il une confiance aveugle en ta loyauté ?
La porte de l'étage s'ouvre et met fin à son monologue qui commençait sérieusement à m'ennuyer.
En nous rejoignant, le fils prodigue m'observe d'un regard fuyant. Il est mal à l'aise, je le sens. Son rythme cardiaque bat à une fréquence anormale.
— Je suis passé chez Hateya. Comme je m'y attendais, elle ne veut pas prendre part à ça. Elle a dit que tu avais fait une terrible erreur en capturant l'un d'eux.
— Je suis dans mes droits, il a quitté son territoire et a pénétré dans le mien, lui répond Ned avec détachement. As-tu ce que je t'ai demandé ?
Dans un soupire révolu, Bambi sort un sac plastique de sa veste qu'il dépose sur une pile de cartons.
Je m'empresse de renifler. Sale habitude qu'il m'est impossible de contrôler lorsque l'animal prend le dessus sur l'homme.
— Merci, Lucas, tu es un bon garçon !
— Hateya a aussi dit que l'Alpha va le prendre comme une déclaration de guerre !
— Elle est déjà déclarée ! Konur l'a lui-même provoqué lorsqu'il m'a pris ma femme ! hurle-t-il, frappant violemment sa poitrine.
Face à la colère de son père, le fils sursaute. Il est évident qu'il est dépassé par la haine que Ned éprouve envers les miens.
— Moi aussi je souhaite venger la mort de maman. Konur doit payer pour ça, mais je me demande si Hateya n'a pas raison. Les autres loups vont s'apercevoir de son absence.
Face à ces paroles choquantes, je n'ai pu rester assis. Abasourdi par ce que je viens d'entendre, mon regard se pose sur le père.
« Sale ordure ! Tu mériterais de mourir dans d'atroces souffrances. »
L'envie de me transformer se fait sentir. Cependant, je sais qu'en prenant mon apparence humaine, je signerais mon aller simple pour les limbes, sans billet de retour.
— C'est pourquoi j'ai besoin de toi, fils.
— En quoi ?
— Tu es capable de te métamorphoser en n'importe quel animal, tu vas donc intégrer la meute à sa place.
Le métamorphe est aussi choqué, que je peux l'être. Bambi ne tiendrait pas une minute sans être démasqué. Konur n'en ferait qu'une bouchée.
— Mais pour cela, il nous faut découvrir quel rang il occupe, termine-t-il en fixant son regard sur moi.
Mes oreilles se couchent en arrière, mes babines se retroussent tandis qu'un grognement vibre dans ma gorge.
— Non !
La voix de Lucas a claqué, attirant l'attention de son père sur lui.
— Non ? Ai-je bien entendu ?
— Les loups ont une structure sociale bien définie auquel je ne connais rien, sans compter que ma métamorphose de base reste le renard, ce qui signifie que je ne tiens pas longtemps sous une autre forme. C'est dangereux, je ne ferais pas ce que tu me demandes. J'ai déjà eu ma dose d'adrénaline avec le cerf.
— Lucas, il va nous donner les informations que l'on souhaite obtenir, s'agace le plus âgé, peu concerné par les inquiétudes de son fils.
— Ah oui ? Regarde-le, il n'est pas idiot. Il sait très bien que tant qu'il reste un loup, tu ne pourras rien en tirer.
Au moins, Bambi n'est pas totalement stupide.
— On va l'obliger à reprendre son apparence humaine et puisque Hateya ne nous aidera pas, nous allons avoir besoin de ta sœur.
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