Chapitre 15- L'énigme du loup

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LAURENA

Snow Heaven


Comme toutes les nuits, me voilà coincée dans cette boucle infernale. J'en connais chaque étape. Devant moi, les sapins s'étendent à perte de vue. Toujours cette même ambiance bleutée apportant une touche de féerie à Grey Woods. 

Le rire de ma mère résonne et m'offre cette seconde de bien-être que chaque soir j'attends patiemment. Depuis son décès, seuls mes rêves me permettent de la retrouver. Heureuse, elle me sourit avant de prendre la fuite dans sa longue robe blanche souillée par l'humus. Ses pas sont gracieux, touchent à peine le sol. Ses cheveux bruns virevoltent. Rien ne semble pouvoir l'arrêter dans sa course.

En la regardant s'éloigner, je commence le décompte.

Trois.

Deux.

Un.

Comme prévu, le loup gris m'apparaît. 

Je ne recule pas ni ne serre mon amulette pour me protéger. Mon rêve s'est donc quelque peu modifié. Après tout, je suis une projection astrale libre de tout mouvement et pour la toute première fois, j'en prends conscience. Le sourire que m'offre ma mère ne m'est, en réalité, pas destiné.

Alors à qui l'est-il ?

D'instinct, mes yeux s'efforcent de trouver ceux du canidé qui semble être le seul à me voir.

— On fait la course ? je me surprends à lui demander

Comme s'il cherchait à comprendre chacun de mes mots, il incline légèrement la tête.

Aussitôt, je songe à l'inconnu du restaurant. À Hayden. C'est ainsi que l'a appelé Hateya. Lors de notre première rencontre, lui aussi l'avait penché du même côté.

« Nous sommes nous déjà vus quelque part ? » m'avait-il demandé.

À l'heure d'aujourd'hui, je suis persuadée d'avoir été un moyen de pression contre la chamane mais cette question n'a pas été posée par hasard. Il y'avait bien trop d'intérêt dans sa voix pour que cela soit le cas.

Même si cela semble complètement fou, se pourrait-il qu'il me voie, lui aussi, dans ses rêves ?

Tout comme l'a fait ma mère, je m'élance et slalome entre les arbres. Le canidé est sur mes talons, je le sens. Il me laisse de l'avance, je le sais.

Le sol s'incline. La boue me fait glisser, je m'amuse à lui en projeter pour ralentir sa course. Mon pied dérape, j'attrape une racine pour me retenir. Un crac retentit. Elle se rompt. J'émets un petit cri et bascule en arrière. Le loup jappe lorsque mes doigts qui cherchaient à s'agripper l'entraînent dans ma chute. Une fois notre descente terminée, mon visage se retrouve enfoui dans son pelage d'argent. Tout en me regardant de ses yeux ambrés, il halète, sa langue rose bien pendue. Gênée par cette proximité, je me redresse et lisse des plis invisibles de ma robe devenue crasseuse.

Au sommet du tertre, la même scène s'offre à nous pour mon plus grand désarroi. Ma mère est en bas, blottie dans les bras d'un inconnu. En les épiant du haut de sa branche, le cri du faucon résonne. Il hurle sa douleur. Dépliant ses énormes ailes, il s'enfuit et attire le regard des deux amants sur son envol.

Le visage de l'homme est alors à découvert et il ne m'est pas complètement étranger. Dans une version plus âgée, il s'agit d'Hayden.

Impossible pour moi de retenir mon cri.

Brusquement, je me redresse, la main posée sur la poitrine. Cette ressemblance est frappante, irréelle.

— LAURENA ?

La voix de mon père provenant du sous-sol me fait sursauter.

— J'ARRIVE ! je m'écris

Quelques minutes suffisent pour m'habiller. En passant devant le miroir, j'observe mon teint laiteux. Le surnom de Blanche-Neige que m'a donné cet homme-loup prend tout son sens.

Après un léger coup de peigne pour dompter mes boucles brunes, je descends rapidement les escaliers. Nul besoin de le chercher, je sais exactement où mon père se trouve.

Avec appréhension, j'attrape la poignée et entrouvre la porte de la cave.

— Tu m'as appelé ? je demande

— Oui, viens nous rejoindre.

— Non merci, tu sais que je n'aime pas descendre à la cave.

— Ne me force pas à te le répéter.

Devant l'autorité de mon père, je grince des dents. Pour ne pas le contrarier davantage, je finis par céder tout en m'interdisant de regarder vers la cage. Si j'en venais à croiser les yeux chocolat du prisonnier, je ne suis pas convaincue d'arriver à m'en soustraire. Et pourtant ce n'est pas l'envie qui me manque. Bien au contraire, je désire m'assurer que sa ressemblance avec l'homme qui était avec ma mère n'est que le fruit de mon imagination. Après tout, ce n'est qu'un rêve et non la réalité !

Appuyé contre la table en bois, Lucas se mordille le dessus du pouce. Sa contrariété ne m'échappe pas et suscite ma curiosité.

— Approche ma chérie, ne crains rien.

À pas feutrés, je rejoins mon père et attrape sa main tendue. La chaleur de sa peau est d'ailleurs un saisissant contraste avec ce masque de froideur qu'il porte depuis des mois. Au fond, cela me fait du bien. Me donne l'impression de retrouver un peu du père qu'il était autrefois. 

— Pourquoi cherches-tu à l'impliquer ? s'énerve Lucas.

— C'est uniquement entre ta sœur et moi, maintenant ! Personne ne t'oblige à rester !gronde-t-il.

Pour ne pas envenimer la situation, je rassure mon frère du coin de l'œil. J'arrive à un point où j'ai hâte que toute cette histoire se termine. S'il excite une façon pour moi d'accélérer le processus, je suis prête à m'en saisir.

— Qu'attends-tu de moi ?

— Hateya ne nous offrira pas son soutien alors tu vas devoir m'aider à percer l'identité de notre invité.

Un éternuement à la sonorité différente m'attire. À l'intérieur de la cage, le lycanthrope qui hante mes rêves est assis. Me voilà retenue captive par ses iris hypnotiques. Je m'étais pourtant fait la promesse de ne pas regarder dans sa direction.

— Il faut qu'il parle ! Tu dois le forcer à reprendre son apparence humaine.

Après l'avoir vu, et cela dans sa simple tenue d'Adam, il me serait facile de le décrire. Pourtant, je fais le choix de garder le silence. Ce petit intermède qui a eu lieu entre nous, je souhaite le conserver pour moi-même. Sans compter qu'avouer  l'avoir vu sous sa forme humaine dévoilerait au grand jour mon inquisition d'hier soir.

Ses yeux d'or rivés vers moi, l'animal retrousse les babines, s'agite. Avec acharnement, il se jette contre les barreaux métalliques de sa prison et martyrise son corps à chaque essai. Un filet de sang ruisselle sur le dessus de sa tête et souille son pelage. Mes pulsations cardiaques s'accélèrent en même temps que son désarroi. Sa tentative de fuite est vaine, il ne pourra s'en échapper et en prend conscience.

— Vas-y, m'encourage mon père.

Timidement, le cœur lourd, j'approche jusqu'au canidé et me concentre. Ses yeux me supplient de le laisser tranquille, mais cela ne change rien. Ma décision est prise et cela malgré cette soudaine affection que j'éprouve. Ce n'est qu'un maudit rêve. Rien n'est réel. Lui et moi ne sommes pas du même côté. Il est l'ennemi. Obéissant à ma demande, ma magie se réveille tel un courant qui électrifie mon corps. Quelques mèches de mes cheveux se mettent à léviter. Quand mes paupières s'ouvrent, le loup s'est redressé et recule avec inquiétude. Son rythme cardiaque résonne au creux de ma tête comme des tambours de guerre. Ma main droite se tend dans sa direction. Bientôt, ses gémissements viennent envahir le sous-sol. Ses os craquent les uns après les autres. Son corps entier convulse. Ses pattes avant s'allongent pour prendre la forme de doigts. Il lutte pour conserver son apparence animale. Je n'avais jamais vu quelqu'un résister de la sorte. Ses yeux ambrés clignotent pour revêtir cette jolie teinte noisette que j'affectionne. Son pelage s'atténue pour être remplacé par une peau légèrement hâlée. Il arrive au bout de ses limites, je le sais.

Des fourmillements naissent à la pulpe de mes doigts. Ils me perturbent.

— Continue ! m'ordonne mon père, son attention rivée sur le lycanthrope.

Chaque seconde qui passe devient aussi difficile pour lui que pour moi. Pour un tel sortilège, je dois puiser loin dans ma magie bien trop fragile. Quant à lui, il lutte comme jamais pour rester sous cette forme. Une petite voix au fond de ma tête me souffle de lâcher prise. Qu'il s'agit d'un combat qu'aucun de nous deux ne remportera !

— Ça suffit ! Son nez saigne. Ce sort lui demande trop d'énergie.

L'inquiétude de Lucas me parvient tandis que notre paternel me pousse à continuer.

Coincée entre les deux, je ne sais plus quoi faire. Mon cœur bat à s'en rompre. Son écho percute mes tempes à m'en faire mal.

— Bordel de merde, arrêtes ça ! s'écrit une voix que je jurerai être celle de l'homme-loup.

Sans pouvoir me contrôler, bien trop perturbée par la situation, j'arrête tout.

Mon père hurle sa colère en voyant le pelage du canidé reprendre le dessus :

— Pourquoi as-tu tout stoppé ? Il capitulait !

Les yeux rivés sur l'animal épuisé, j'essuie le filet de sang qui coule de mes narines.

Une prise ferme me saisit. De ses mains, mon père me comprime les épaules et me demande de recommencer de la main gauche.

— Hors de question d'utiliser la magie noire.

— Veux-tu laisser notre ennemi gagné ? Qu'il vive après nous avoir arraché ta mère ?

— Cet homme n'est pas Konur et il ne mérite pas de payer à sa place ! je m'écris. Ta vengeance t'aveugle !

Sa paume s'abat brutalement sur ma joue. Jamais encore, il n'avait osé me frapper. Je n'arrive pas à croire que cet homme puisse être le même qui nous a élevés. Mon frère est choqué. Ses traits s'assombrissent par la colère, ses yeux pivotent sur la cage.

— Fais-toi plaisir, fiston ! Vas-y, prends son apparence. Après tout, c'est précisément ce que je t'ai demandé.

La respiration de Lucas est saccadée. L'idée de copier l'apparence du canidé l'a bel et bien traversée. 

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