Chapitre 16- Infection mortelle
HAYDEN
Snow Heaven
Peu importe qu'on soit lié par le sang ou non, j'éprouve un grand respect pour la famille. Dans la meute, nous nous soutenons, et cela même si vivre ensemble n'est pas toujours simple. Chez nous, la joie est contagieuse. La mort de l'un des nôtres nous accable. Si nous n'étions pas aussi soudés, au vu de la situation périlleuse dans laquelle mon espèce est plongée, nous nous serions entre-tués.
Pour que nous partagions tous les mêmes valeurs, le chef de famille à le devoir de se montrer exemplaire. C'est une lourde responsabilité qui pousse beaucoup d'entre nous à ne pas vouloir enrôler le rang d'Alpha.
Peu importe ce qui m'oppose à Konur, nous aboyons plus que nous mordons. Je ne peux nier qu'il fera toujours passer la meute avant tout le reste.
Le patriarche qui se tient juste devant moi est incapable d'en faire autant. Ce que j'ai vu ces dernières minutes me file la gerbe. Traiter sa chair de sa chair ainsi, je ne peux le comprendre. Durant ces mois, toute cette colère dirigée pour mon Alpha m'a empoisonné. J'ai même éprouvé de la compassion pour Ned, pour cet homme, dont la perte de sa femme l'a fait disjoncter. Comparé à d'autres, on ne peut pas nier qu'il aimait sa partenaire !
Mais après avoir assisté à cette scène, quand je le regarde, ce n'est plus de la compassion que j'éprouve mais du dégout pour ce tas de chair et de sang. Tout ce qu'il y avait d'humain en lui s'en est allé. L'amour l'a détruit et cela me pousse à réfléchir. Finalement, un mariage arrangé et non d'amour comme celui que Konur m'a organisé est sans doute ce qu'il y'a de mieux pour moi.
Lorsque j'ai vu Ned maltraiter sa fille de la sorte, j'étais à deux doigts de lui offrir ce qu'il voulait. Pendant de longues minutes, j'ai dû combattre cette envie de quitter ma forme lupine, et cela même si j'aurais signé moi-même un aller direct pour les limbes. C'est de la folie ! Bien que son père n'a plus rien d'humain, elle ne mérite pas mon sacrifice ! Aucun d'entre eux n'en ferait de même pour moi. Quoique, je n'oublie pas qu'elle a cessé de me martyriser avec sa magie. Et cela à ma demande.
Quoi qu'il en soit, je dois rester fidèle à ma famille, à mon rang. Un Zeta. Le général de guerre de la meute de Grey Woods. Je ne peux pas laisser Blanche-Neige me déstabiliser. Nous avons tous nos propres problèmes à gérer.
— Lucas !
Lorsque son frère, bouleversé, remonte les escaliers à toute allure, la sorcière l'appelle, n'hésitant pas à s'époumoner.
Je l'ai lu dans ses yeux, le métamorphe était à deux doigts de péter les plombs. Il lui en aurait fallu de peu pour se servir de mon apparence lupine puis sauter à la gorge de son père. Je l'ai vu lutter entre ses pulsions et sa raison. Durant ce lap de temps, je me suis reconnu en lui. Quoique si mon père avait martyrisé Isaac comme il l'a fait avec sa sœur, je lui aurais bel et bien arraché la carotide de mes dents. Finalement, non, nous n'avons rien en commun. En se métamorphosant en cerf, il est celui qui m'a piégé. Si l'occasion se présente, je ne ferais preuve d'aucune pitié.
Après un regard bien trop appuyé sur ma personne, la sorcière part à la poursuite de son frère.
— On dirait bien qu'il ne reste plus que nous !
Nul besoin de tourner mon attention sur lui. Son ton ironique suffit à faire sursauter l'une de mes oreilles dressées. Il n'obtiendra rien de moi.
— Je te conseille de parler où nous allons partir pour de longues heures de torture ! J'ai toute la journée !
Plongé dans un calme olympien, acceptant mon sort, je me couche au sol, la tête entre mes deux pattes avant. Je ne crains pas de souffrir. La mort elle-même ne m'effraie pas. Ma condition de guerrier m'a préparé à vivre de telles situations.
— Bien ! Tu as pris ta décision.
Totalement désintéressé, je baille la gueule grande ouverte, repose la tête au sol puis ferme les yeux, n'offrant aucune importance à ce qu'il cherche dans ce que j'imagine être le sac plastique que le métamorphe lui a amené après avoir rendu visite à Hateya.
Mon loup hurle de douleur lorsqu'une flèche se plante dans son dos. Sans pouvoir me retenir, je percute les barreaux de ma cage sans discontinuer. Il m'est impossible de rester stoïque. La douleur me brûle de l'intérieur tel un parasite qui s'incruste dans mon organisme.
— Tu aimes ? ose-t-il me demander. Si j'en crois ce qui est inscrit en latin sur cette fiole, il s'agit d'Aconitum lycoctonum.
Ou plus précisément de l'aconit tue-loup. Une sous-espèce de plantes herbacées très toxique aussi bien à l'ingestion qu'au toucher. Depuis l'antiquité, cette plante vénéneuse servait à empoisonner les flèches pour éliminer les animaux sauvages tels que les loups ou les renards. La douleur prend alors tout son sens.
Ici, elle a été transformée en état liquide afin d'être plus facilement conservée.
— Es-tu enfin décidé à communiquer ? demande-t-il.
Prisonnier de cette cage, je le regarde enduire la pointe de sa flèche d'aconit puis tendre son arc dans ma direction avant qu'elle ne se plante dans mon flanc blessé. Mon loup grogne, dévoile ses crocs acérés.
Ma respiration se saccade de plus en plus. Tels des flashs successifs, je vois des images de mon passé.
Dans la peau de mon alter ego à la fourrure argentée, je cours parmi la forêt de Grey Woods. Un rien m'amuse. Un écureuil abandonnant sa noisette après m'avoir repéré ou ce lapin qui se terre dans sa cachette. Puis un rire féminin me stoppe dans mes jeux. Tout en bondissant, je m'élance dans cette direction jusqu'à ce large buisson qu'il me faut traverser.
— On dirait bien que l'infection se propage vite !
La voix de Ned me fait quitter le fil de ce souvenir pour me ramener au moment présent.
Si j'en crois la bave mousseuse qui s'écoule de mes babines, il a raison.
Intoxiqué, mon loup vomit. Mon estomac étant complètement vide, seule de la bile en sort.
— On va faire une pause, et reprendre plus tard ! dit-il, peu convaincu de ne pas avoir été trop loin.
Lorsqu'il ferme la porte de la cave, je m'écroule. Le poison et la fatigue m'accablent. Me revoilà à Grey Woods, devant ce large buisson qu'il me faut traverser. Une fois de l'autre côté, je me fige. La sorcière est là et m'observe de ses grands yeux écarquillés.
Que fait-elle ici ?
Le venin dans mon organisme me fait délirer.
Et cette voix qui m'appelle, elle aussi est-elle le fruit de mon imagination ? Non parce qu'elle me semble si familière.
— Hayden !
Soulever les paupières est digne du parcours du combattant. Ma condition physique laisse clairement à désirer, et cela sans évoquer l'empoisonnement que j'ai subi et ma lutte contre la magie de la sorcière. J'ignore combien de temps, je suis resté inconscient. Je ne me suis pas rendu compte que la nuit était tombée.
— Hayden répond, est-ce que tu es là dedans ?
Même si mon instinct de survie meurt d'envie de lui donner mon signalement, ma raison, elle, me pousse à me terrer dans le silence pour le protéger. Isaac n'est pas comme moi. Mon petit frère n'est pas habitué à ce type de situations. Ce n'est pas un guerrier. Son rôle à lui est de guider les nôtres.
— Non seulement il est là et toi tu vas vite aller le rejoindre !
— Et merde ! lâche mon petit frère.
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