Le chant des dunes 1/2
Désert du Ténéré — Niger
Dans la nuit étoilée résonnent les tambours
Clameur sourde et profonde qui monte du cœur de l’erg
Étonnant rugissement…
D’abord ce trémolo, plaintif et mélodieux
Puis les notes cristallines, si pures, si mystérieuses…
Est-ce le chant des esprits, de la dune ou du vent ?
C’est le chant du désert…
Nous sommes, depuis ce matin, à Agadez, au Niger, « ville mythique au cœur d’un désert mythique », selon Papa.
— Le Ténéré, c’est le désert des déserts ! a-t-il encore clamé durant tout le voyage.
J’ai donc hâte de découvrir cet océan de dunes gigantesques qu’il a si bien décrit, en plein cœur du Sahara, l’un des endroits les plus chauds et les plus hostiles de la planète. Une partie du monde où il peut ne pas tomber une seule goutte de pluie pendant des années…
À Agadez, la température est agréable : vingt-neuf degrés en moyenne au mois de février, j’avoue que moi, ça me plaît bien. Mais le climat hyperaride, particulièrement sec, nous allons l’affronter bientôt puisqu’il est prévu qu’on se rende en plein désert d’ici quelques jours. Cette fois, je me forcerai à boire beaucoup, même sans soif. Je n’ai pas envie de tomber et de perdre connaissance comme j’ai pu le faire en Mauritanie.
Nous étions à peine arrivés que Papa a tenu à acheter des foulards bleus pour nous protéger du soleil, et il a tout de suite enroulé le sien autour de sa tête. Maman s’est moquée de lui en lui demandant s’il se prenait pour Lawrence d’Arabie et mon père s’est défendu, prétextant que les Touaregs s’habillaient tous ainsi. Ibrahim, notre guide, a souri : il a expliqué être lui-même touareg et ne se vêtir de cette manière qu’occasionnellement, souvent pour faire plaisir aux touristes, d’ailleurs. Mais il a rassuré Papa : nous pourrons nous déguiser en « hommes bleus du désert » lorsque nous jouerons les nomades et irons dormir à la belle étoile. Vexé, Papa a retiré son chèche de sa tête et l’a enroulé autour de son cou. Maman a dit qu’il le portait beaucoup mieux ainsi et il a retrouvé sa bonne humeur quand elle a ajouté que cela lui donnait un petit côté aventurier.
Se promener dans Agadez, c’est comme explorer une autre planète : on a un peu le sentiment d’être projeté dans le film La Guerre des étoiles. Je garderai l’image d’une cité rouge, poussiéreuse, construite au cœur d’un désert de sable jaune. Elle se compose de maisons basses, en terre battue, au milieu desquelles trône le monument le plus important : la mosquée, le principal édifice religieux de la ville. Une sorte de pyramide-hérisson, avec d’étranges piques qui traversent ses murs. Ce sont en fait des pieux qui servent d’échafaudage, nous a dit notre guide, car il faut régulièrement rénover la façade, avec de la paille et de l’argile. Pour nous motiver à gagner le sommet du minaret, Maman nous a proposé de compter les marches. Alphonse s’est arrêté à cinquante, mais moi je suis allée au bout et j’en ai comptabilisé quatre-vingt-dix-neuf. Comme si les constructeurs avaient fait exprès de ne pas atteindre le chiffre cent ! D’en haut, la vue sur la ville est splendide, surtout au coucher du soleil, et Papa en a bien sûr profité pour multiplier les clichés.
Après la mosquée, nous avons encore visité les alentours du Palais du sultan et la touristique maison du boulanger. Puis mon père a tenu à acheter des bijoux, et il a passé un bon moment à discuter le prix d’un magnifique pendentif en argent, représentant l’une des vingt et une croix touarègues. Comme Maman se montrait gênée de le voir si dur en négociation, Ibrahim l’a rassurée : marchander fait partie de la culture du pays, et prendre le temps de discuter un prix est une marque d’intérêt et de respect, bien plus que payer sans batailler. Maman a froncé les sourcils, mais elle a dû se rendre à l’évidence lorsqu’elle a vu le grand sourire du vendeur, et la chaleureuse poignée de main qu’il a donnée à Papa à la fin de la transaction.
De retour à l’hôtel, Ibrahim nous a annoncé que demain, l’aventure commence : il va nous emmener à la rencontre du mythique arbre du Ténéré.
Je n’arrive pas à dormir. Mon kaléidoscope est en alerte depuis que nous sommes rentrés, mais je ne comprends pas son message. Il me présente des images improbables, des empreintes de pas qui s’effacent, des grains de sable qui roulent sous le vent… Des instruments de musique aussi : un orgue, une sorte de flûte, des violons, et même des tambours. Aucun lien entre ces clichés, qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire ? Ce sont peut-être des symboles ? Je ne m’habitue toujours pas au langage de mon objet magique, j’ai encore beaucoup de mal à déchiffrer ses énigmes et celle-ci m’intrigue particulièrement.
Nous sommes partis à l’aube, « à la fraîche » comme dit Papa, pour parcourir la plus grande distance possible avant qu’il ne fasse trop chaud. L’arbre du Ténéré se trouve à deux cent trente-cinq kilomètres d’Agadez, en plein cœur du désert, et dès le milieu de la matinée, la température dépasse déjà bien les quarante degrés. Il n’y a presque pas de végétation dans le Sahara, alors je me doute qu’un arbre, c’est assez rare ici, mais je me demande tout de même pourquoi celui-là mérite de faire une telle route.
Nous traversons des paysages magnifiques : sable blanc, rochers bleus, pistes de terre rouge… Je suis surprise de constater que nous ne sommes pas seuls dans ce désert, et notre chauffeur nous explique que contrairement à la légende, le Ténéré n’est pas vierge de toute présence humaine. Devant ma déception, il sourit et m’assure que nous serons vraiment seuls au monde demain, quand nous irons bivouaquer dans les dunes.
Nous arrivons enfin à destination, et j’ai beau regarder tout autour de moi, pas la moindre trace de végétation ! Ibrahim épie mes réactions et il commence par rire très fort. Puis il nous mène, à pied, jusqu’à une sculpture métallique, une grande tige toute droite, sans intérêt. Il nous explique que ce monument a pour mission de commémorer « l’arbre du Ténéré », autrefois présenté comme le plus isolé de la Terre et, de fait, symbole de la survie dans le Sahara.
— Cet acacia solitaire était un arbre d’exception, nous dit-il, capable de puiser l’eau à plus de trente mètres de profondeur. Sacré pour les Touaregs, il a servi de point de repère et de lieu de rencontre aux caravaniers pendant des années, mais il a été bêtement renversé par un camion en 1973. Même disparu, l’arbre reste légendaire et incarne encore aujourd’hui le mythe du Ténéré.
Papa écoute avec attention, Maman pose des questions, mais Alphonse et moi nous montrons un peu déçus du voyage. Je m’attendais au moins à voir un vrai arbre ! Je me demande juste comment le conducteur a pu être aussi maladroit, et si le message d’Ibrahim n’est pas de nous faire comprendre que la voiture n’a pas sa place dans le désert. Plus loin, le guide nous présente une autre sculpture, composée de miroirs qui reflètent le paysage et la rendent visible à des kilomètres à la ronde. Et surtout, il nous assure que la prochaine étape va vraiment nous fasciner.
Nous avons parcouru des kilomètres encore, Papa voulant bien sûr découvrir toutes les beautés du Ténéré. Il a pu photographier les montagnes gris-bleu de l’Aïr, les salines blanches de Fachi, et la falaise du Kaouar avant que nous nous posions dans une vallée riche : l’oasis de Bilma. Malgré la tombée de la nuit, j’ai eu le temps d’y voir d’autres réserves de sel, un plan d’eau immense, des cascades, et des palmiers dattiers chargés de fruits. Au dîner, j’ai dit à Ibrahim qu’il n’avait pas menti : cet endroit est vraiment époustouflant ! Mais il a de nouveau esquissé son sourire énigmatique avant de me préciser que ce n’était rien, en comparaison avec ce qui nous attend demain.
Je me suis couchée intriguée, et j’ai consulté mon objet magique qui vibrait doucement. À l’intérieur, rien d'inquiétant, mais rien pour me rassurer non plus : toujours les mêmes grains de sable poussés par le vent, et ces instruments de musique qui n’ont rien à faire là…
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A suivre...
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