Chapitre 6 : Entourage
Cela faisait un peu plus d’une semaine que j’étais au lycée, maintenant.
Je commençais à m’habituer à la ville, au trajet, à l’ambiance…
-Nishiyama !
Mais je ne m’habituais pas à LUI !
Chaque matin, quand il me voyait déposer mes chaussures à l’entrée dans mon casier, Kamiya venait m’accoster cinq minutes pour me poser son éternelle question :
-Dis, tu sors avec moi ?
Les non-habitués étaient surpris de son audace, les autres riaient en sachant quelle serait l’éternelle réponse qu’il recevrait de ma part :
-Même pas en rêve !
Et comme toujours, il se contentait de rire en allant ranger ses chaussures, avant d’être accosté par plusieurs filles qui espéraient attirer la même attention qu’il me donnait.
Depuis la rentrée, Kamiya me tournait autour, espérant qu’un jour, je réponde positivement à sa demande, ce qui n’arriverait jamais. Bon, je devais admettre qu’il n’était pas particulièrement méchant ni insistant, mais il était insistant et ça, c’était tout aussi irritant ! En plus, il était populaire auprès des filles de la classe, qui trouvaient que j’étais une sorte de snob pour le repousser ainsi alors qu’il daignait s’intéressait à moi. Déjà qu’elles m’avaient collées une mauvaise image juste en voyant mes oreilles percées…
Mais bon, je m’en fichais de faire « copine-copine » avec elles. Je me contentais de les ignorer et faisais ma vie dans mon coin, tranquillement.
Chaque jour, j’attendais impatiemment la fin des cours pour rejoindre le club de musique, où je m’éclatais avec Junko et Enoshima, qui étaient sacrément douée. Enoshima restait discrète avec sa basse et on ressentait toute l’énergie de Junko à chaque note qui sortait de sa guitare. Comparée à elle, j’avais vraiment l’air d’une novice.
Puis, il y avait la Présidente du club. Une personne assez… surprenante.
Majima Kayako était en troisième année. C’était une fille de grande taille avec des jambes interminables et des formes à damner un saint. Elle se teignait aussi les cheveux. Enfin, quelques mèches seulement, en blond. Mais le plus voyant, c’était ses nombreux bracelets clinquants qu’elle portait au poignet. Chose normalement interdite au sein de l’établissement, mais d’après Junko et Enoshima, la Présidente était la fille d’un politicien influant et le lycée préférait s’aplatir face à elle plutôt que de la contrarier, et indirectement se retrouver avec quelqu’un comme son père sur le dos. Et puis, elle était une très bonne élève, donc les professeurs faisaient mine que tout allait bien. Elle ne se spécialisait en rien et était touche-à-tout, mais se démarquait, par rapport aux autres, par le chant. Elle m’aimait bien, sans doute parce que je savais un peu chanter aussi.
Par contre, quand on se réunissait, elle passait sous temps assise devant le bureau du club, pieds dessus, à traîner sur son téléphone. En apparence, on pourrait croire qu’elle ne venait que pour se la couler douce mais en réalité, elle nous écoutait jouer en même temps. Par moment, elle nous interrompait pour nous corriger ou nous proposer de jouer plus dans un ton ou moins dans un autre. Elle était de bons conseils. Surtout avec moi. En une semaine avec elle, j’avais bien plus vite progressé qu’en autodidacte.
Mais quelque chose m’inquiétait un peu. Enfin, je dirais plutôt « nous », avec Junko et Enoshima. En comptant la Présidente, nous n’étions que quatre membres et selon le règlement intérieur, pour former officiellement un club, nous devions avoir au moins cinq membres.
-Ne vous bilez pas pour ça, assura la Présidente Majima d’un air désinvolte. J’ai déjà démarché deux personnes intéressantes. Ils ne vont pas tarder à me donner une réponse…
-Présidente, t’es sûre qu’ils accepteront de s’inscrire ? lui demanda Junko.
-Lui, vu comment il me déshabille du regard, y a de grandes chances. Elle… En étant optimiste, je dirais que ça sera du 90-10.
(… Elle a donc démarché un mec, sachant qu’il s’intéresse plus à elle qu’à la musique. J’espère que c’est juste un plan B pour avoir le nombre de membre nécessaire…)
-C’est pour ça que je suis sur mon téléphone. J’essaie de la convaincre.
-Présidente… C’est limite du harcèlement, là, lui fit remarquer Enoshima.
-Mais non. C’est de la négociation.
Nous n’étions pas du tout convaincus par ses justifications mais de notre côté, on ne trouvait personne qui souhaitait nous rejoindre. Pendant un moment, j’avais envisagé d’embobiner Kamiya pour jouer le membre manquant mais j’ai chassé cette idée (stupide !) de ma tête. Déjà car je n’aimais pas l’idée de devoir le voir aussi en-dehors des cours et ensuite, il était déjà membre du club de basket masculin donc il n’aurait pas pu cumuler les deux.
Au final, on a décidé de laisser le recrutement à la Présidente pour l’instant, qui nous tiendrait au courant de l’avancement sur LINE.
Ce soir, durant le dîner. Yuna, malgré le fait qu’elle ait commencé ses entraînements pour intégrer une équipe pro locale, essayait de ne pas rentrer trop tard pour nous préparer à dîner, bien que Saya était encore à la maison. D’ailleurs, cette dernière avait annoncé il y a peu qu’elle avait peut-être trouver un nouvel endroit où vivre et qu’elle s’en irait bientôt. Miku était un peu triste en apprenant ça. Elle l’aimait bien, Saya.
Shûhei, lui, avait appelé pour prévenir qu’il rentrait sans doute tard car, à la rédaction, ils préparaient sérieusement la prochaine réunion éditoriale. De ce qu’il m’avait expliqué, c’était le genre de réunion où ses supérieurs hiérarchiques choisissait les mangas qui seraient publiés, ceux qui s’arrêteraient, les histoires courtes qui allaient être publiés… Bref, un moment potentiellement très important aussi bien pour un auteur, débutant comme professionnel, que pour un éditeur.
-Ah, au fait, Yuna ! fit Saya en servant Miku. Notre réunion d’anciens élèves se fera bien vendredi soir. Je sais que tu n’étais pas élève à Hoshi mais rien ne t’empêche de venir.
-J’aimerais bien, lui répondit sincèrement cette dernière. Mais j’ai entraînement ce jour-là et une interview juste après. Je ne sais pas quand ça se terminera…
-Encore une interview ? Dis donc, tu en as eu beaucoup, depuis ton retour.
-Et encore, c’est celles que j’accepte… L’autre jour, cet abruti de journaliste a voulu en savoir plus sur Shûhei et m’a posé des questions indiscrètes sur lui !
-Depuis que tu as annoncé tes fiançailles, beaucoup de monde cherche à savoir qui est l’heureux élu…
C’était clair. En traînant sur les réseaux sociaux, je tombais parfois sur des messages qui parlaient de Yuna. Des curieux, pour la plupart, mais aussi des fans, toujours sous le choc de savoir qu’elle allait se marier. Certains s’en prenaient verbalement à elle, jamais directement, mais ils étaient heureusement minoritaires. Par contre, beaucoup se permettaient de faire des commentaires déplacés sur Shûhei. Certains théorisaient sur quel genre d’homme il était et se sont mis à s’imaginer que c’était un vieux pété de thunes, un looser avec un boulot minable ou pire (selon leurs critères), un gros doublé d’un pervers. Le pire, c’était que certains en riaient ou étaient attristé que leur idole ait une vie privée !
(Sale type !)
-Heureusement, je suis rôdée, depuis les États-Unis, fit Yuna avec plus de calme.
-Ah bon ?
-Oh oui ! Ils rigolent pas, là-bas, avec les statuts sur les réseaux sociaux. Ce que me suis pris quand…
Elle nous jeta un coup d’œil, à Miku et moi, et préféra changer de sujet.
-Bref, je suis pas sûre d’être là avant la fin de la fête, dit-elle au final.
-Essaie, si tu peux. Ça pourrait faire plaisir à Shûhei.
-Hm. Il m’a dit qu’il irait mais que si le boulot l’appelait, ce serait prioritaire.
-Pourtant, Ueda y assiste aussi. Shûhei m’a dit que celui-ci avait pris exprès de l’avance sur ses planches pour y assister.
-Moi, Shûhei m’a dit qu’il l’a forcé à venir. Apparemment, Ueda ne sort plus de son atelier, sauf pour des réunions de travail. Il ne rentre presque plus chez lui et ne parle à presque plus personne en-dehors de son travail et ça inquiète un peu Shûhei…
-Je m’inquiéterais aussi, à sa place. Ueda n’a jamais été très sociable mais ce n’est pas une bonne chose qu’il s’isole encore plus…
Shûhei en avait un peu parlé. Ueda Gon était un de ses anciens camarades de classe, au lycée, et aussi le mangaka qu’il avait lancé peu après avoir rejoint l’équipe du Jump. L’auteur de Sennen Sensô, un shônen dans le genre fantasy qui racontait l’histoire d’un jeune guerrier et d’une petite troupe, qui s’infiltraient en territoire ennemi pour débusquer et vaincre le Roi démon. C’était… plutôt sombre et violent. Plus que d’autres mangas, qui montraient pourtant volontiers du sang, et ça m’étonnait qu’ils laissent ce genre de manga être publié dans le Jump. Shûhei m’avait expliqué que c’était, en effet, vraiment limite pour le magazine et, d’après ce qu’il m’a raconté, les premières versions du premier chapitre étaient encore plus gore. Il m’a dit que ça n’avait pas été facile mais il avait convaincu son supérieur d’essayer de convaincre le directeur de publier le manga, en promettant d’atténuer un peu la violence mais pas complètement, puisqu’elle faisait partie de l’œuvre et n’était en rien gratuite. Et qu’il y avait déjà eu des précédents de manga sombre et violent, comme avec Jujutsu Kaisen ou Chainsawman.
-Au fait, Yuko ! fit Saya. Tu n’as pas envie de venir ?
-Hein ?
La question m’a surprise.
-Miku aussi. Ce serait plus drôle que de rester seules à la maison.
-Je veux ! Je veux ! s’écria Miku en sautillant sur sa chaise. Je veux voir les amis de Shûhei !
-Miku ! Fais attention ! Tu vas renverser ton bol ! lui ai-je dit en tentant de la calmer.
Je n’avais pas besoin de réfléchir. En fait, moi aussi, je voulais voir à quoi ressemblait les amis de Shûhei et Saya. Et puis, ce ne serait pas tous les jours que j’aurais l’occasion de rencontrer un mangaka populaire. J’ai donc accepté.
(J’ai hâte d’être à vendredi !)
Le jour J.
J’ai eu du mal à me décider sur comment m’habiller. Après tout, c’était avant tout une réunion d’anciens élèves. Des adultes qui se réunissaient pour évoquer le bon vieux temps. Et Saya m’a dit qu’il y aurait deux ou trois enfants de l’âge de Miku voire plus jeune mais personne de mon âge. Ce qui n’était pas un problème en soi pour moi, mais du coup, je voulais soigner mon apparence. La veille, Shûhei m’avait conseillé de ne pas trop me casser la tête et d’y aller habillé simplement.
(Idiot, va… Et si j’ai envie de me faire jolie ?)
J’ai finalement opté pour un chemisier blanc simple avec une jupe et des collants. J’ai longuement hésité mais finalement, je me suis décidé à mettre mes piercings aux oreilles. En plus, je ne les avais pas mis depuis la rentrée.
Quand je suis descendu rejoindre Miku et Saya, ma petite-sœur m’a pointé du doigt.
-Ah ! Grande sœur a mis ses piercings !
-Et alors ? J’ai le droit !
-C’est vrai qu’ils te vont bien, me dit Saya. Mais quand même…
-Ne t’en fais pas. Je ne compte pas les mettre pour aller au lycée.
-Bien. Ta professeure est fière de toi !
(Une prof « normale » m’aurait fait la leçon sur le fait d’avoir les oreilles percées… Enfin.)
Avant que la nuit ne tombe complètement, nous sommes allés à la gare la plus proche pour prendre le train. Miku était toute contente de faire une sortie nocturne. La première depuis que nous sommes venues vivre à Tokyo. Ma première aussi, maintenant que j’y pensais.
Yuna me l’avait fait remarquer mais comme j’étais lycéenne maintenant, je pouvais rester un peu plus tard dehors. Du moment que j’étais rentrée pour le dîner ! Shûhei n’était pas très pour, jusqu’à ce que Yuna lui fasse la remarque qu’il n’était pas très bien placé pour me faire ce genre de leçon. Lui affirmait que justement, par expérience, il était réticent mais que d’un autre côté, j’étais une grande fille responsable et que ça irait, sans doute…
(Non mais ! C’est pas parce que c’est mon grand frère que…)
Cette pensée m’a fait rougir : pendant une fraction de seconde, j’ai vu Shûhei comme étant mon propre grand frère.
Non. Ce n’était pas le mien. C’était celui de Miku.
Et puis, juridiquement, il était plutôt mon tuteur légal. Oui, voilà ! Mon tuteur légal et rien de plus !
Nous n’avons pas tardé à arriver là où la fête aurait lieu : un restaurant que Saya avait réservé pour l’occasion.
-En tant qu’ancienne déléguée de la classe, il était de mon devoir de trouver un endroit grand et plaisant pour des retrouvailles conviviales avec mes anciens camarades de classe, affirma Saya avec assurance.
Miku était en pleine admiration devant elle. Et moi aussi, il fallait le dire.
Quand nous sommes entrées, nous avons été accueillies par une horde de femmes surexcitée en voyant Saya débarquer.
-Déléguée !
-La déléguée est là !
-OH ! Elle a ramené ses filles !
-Idiote ! Tu vois bien que celle-là, elle est trop vieille pour être sa fille ! La petite, par contre…
-Déléguée ! Déléguée ! Tu ne nous as rien dit ! Qui est l’heureux élu ?
-Vous êtes bêtes ou quoi ? leur dit Saya. Ce sont les sœurs de Shûhei…
-Le délégué a des sœurs !?
-Demi-sœurs, en fait.
Tout le monde était très surpris mais bon, si toutes ces femmes n’étaient pas des amies proches, forcément, elles ne pouvaient pas savoir.
-Saya ! Ici ! Je vous ai gardé une place !
Je reconnaissais la voix. J’ai tourné la tête et je l’ai vue. Elle n’avait pas son survêtement de sport et en chemisier et jean, Mme Aoyama, prof de sport de mon lycée, avait un joli corps. Nous nous sommes installés à côté d’elle et Miku, contente d’être au centre de l’attention de la plupart des personnes présentes, se présenta :
-Enchantée ! Je m’appelle Nishiyama Miku ! J’ai six ans et je viens de rentrer en primaire ! Ravie de vous rencontrer !
C’était tellement mignon ! En un instant, elle avait conquis tout le monde ! Ma petite Miku !
-Shûhei va venir ? demanda Mme Aoyama.
-Il a dit qu’il serait sans doute en retard…, répondit Saya. Entre la prochaine réunion éditoriale et la sélection des œuvres qui seront publiés dans l’Akamaru…
-Oui, je comprends…
Mme Aoyama appelait Shûhei par son prénom… Je ne pensais pas qu’ils seraient si proches. D’ailleurs, je ne savais pas qu’ils étaient d’anciens camarades de classe ! Une vraie surprise aussi !
-Au fait, Saya. Tu sais si les autres garçons viennent ?
-Ueda a confirmé qui venait. Yagi, par contre, a dit qu’il restait chez lui parce que sa femme a attrapé quelque chose et qu’il voulait veiller sur elle. Et Serizawa ? Il ne t’a rien dit ?
En guise de réponse, Mme Aoyama s’est contentée de claquer sa langue contre son palais et en traitant l’individu d’idiot. Face à cette réaction, Saya a soupiré mais n’a pas insisté.
Mais du coup, moi, j’étais curieuse !
L’ambiance était plutôt agréable et conviviale. Ces femmes se remémoraient de vielles anecdotes du temps du lycée tout en affichant, tout en mangeant de bons petits plats et en enchaînant les verres d’alcools. Miku socialisait avec les deux ou trois enfants accompagnants leur mère, Saya discutait, un verre de bière à la main. Et moi…
Moi, je me faisais un peu chier, je devais bien l’avouer. Au moins, la nourriture était bonne.
Soudain, des cris et des acclamations retentirent quand un homme bizarre avec un masque qui couvrait sa bouche entra.
-Ueda-senseï est là ! s’écria quelqu’un.
C’était donc lui. Ueda Gon, l’auteur de Sennen Sensô. Une célébrité montante, si je puis dire.
Celui-ci marmonna derrière son masque un « Bonsoir » à tout le monde et vint s’assoir face à moi. Ce n’était peut-être qu’une impression mais j’avais le sentiment qu’être ici ne lui faisait pas spécialement plaisir.
-Pas content de revoir tout le monde, Ueda ? lui demanda Mme Aoyama avec un sourire narquois.
-J’étais sur une bonne lancée pour mon histoire. Mais bien sûr, il a fallu qu’ELLE me force à venir ici, pour faire une pause.
-Et Rua-chan bien raison, fit Saya. Il faut te ménager, de temps en temps.
-Je suis un professionnel ! Pousser mon corps jusqu’à la limite pour créer le meilleur manga possible, c’est mon travail !
-Et si tu tombes malade ? Ça va impacter ton manga mais aussi les personnes qui travaillent pour et avec toi : tes assistants, ton éditeur, la rédaction… Sans parler de tes lecteurs, qui pourraient ne pas voir la suite de l’histoire qu’ils aiment tant.
-Hng !
Visiblement, Saya avait fait mouche avec sa remarque et Ueda Gon ne trouva rien à redire. À la place, il but. Beaucoup.
Nouvelles acclamations accompagnées de cris. Bien plus fort que la première fois.
-Serizawa est là ! Notre voyou beau gosse à nous !
Il y eut des rires quand un bel homme en costume fit son entrée, tout en distribuant clins d’œil et sourires charmeurs. Presque toutes les femmes présentes étaient sous le charme et lui sourirent quand elles croisaient son regard. Toutes, sauf Mme Aoyama qui donnait l’impression de l’assassiner du regard. Quand elle le vit, l’homme sembla se décomposer et leva fébrilement la main avant d’ouvrir la bouche :
-Sa… Salut, Saeko. Je…
-HMPF !
Elle tourna tête… et se mit à bouder. C’était d’un puéril, venant d’un adulte… Mais vu les bières qu’elle avait déjà avalées, c’était peut-être un effet secondaire de l’alcool.
Plusieurs femmes invitèrent le dénommé Serizawa à s’asseoir près d’elle mais il refusa toutes les invitations poliment, pour prendre place à côté de Mme Aoyama.
-Fais pas la tête, lui dit-il.
-Et pourquoi pas ? répliqua-t-elle. Des jours que je n’ai pas de nouvelles, que tu refuses mes invitations à sortir et là, tu débarques comme une fleur sans rien me dire.
-Désolé, désolé, dit-il en souriant nerveusement. Je me ferais pardonner.
-Hmm… Ce soir.
-Hein ?
-Tu te fais pardonner ce soir. En passant la nuit chez moi.
-Si tu veux mais je bosse, demain matin.
-M’en fous ! Même si ça doit durer toute la nuit, toi et moi, on va…
-Miku, Miku, viens ici ! Pour que tu n’entendes pas les bêtises que sortent les grands devant les enfants quand ils ont trop bu ! m’écriais-je en bouchant les oreilles chastes de ma petite sœur chérie.
Saya semblait s’amuser de la situation mais moi, ça ne me faisait pas rire !
-Salut, tout le monde !
Un autre homme venait d’arriver : costume banal, allure banal… D’apparence, un employé d’entreprise comme on en voyait partout. Pour lui, pas d’applaudissements ou autre. Juste quelques « Bonsoir » presque indifférent. J’avais presque de la peine pour lui.
-C’EST TOUT !? s’écria-t-il. Même après tout ce temps, c’est toujours la même chose ! Toujours tout pour les autres et pour moi, que dalle !
-Mais oui, mais oui… Viens t’asseoir au lieu de te plaindre, Masauchi ! lui dit Serizawa en lui faisant une place.
Masauchi vint s’installer en grommelant, tandis que Serizawa lui servait un verre.
-Toujours la même chose depuis le lycée…
-Ce n’est pas vrai, Masauchi, lui dit Saya. Aujourd’hui, tu as un bon travail dans une bonne entreprise et tu es marié, alors que tu as toujours été seul pendant tes études. Ce n’est donc pas pareil.
-C’est pas une raison pour être toujours froid avec moi !
Il vida son verre d’une traite puis remarqua enfin notre présence, à Miku et moi. Saya se chargea de lui expliquer qui nous étions et Masauchi fut un peu surpris.
-J’aurais jamais pensé que Nishiyama recueille quelqu’un chez lui.
-Et moi, alors ? lui demanda Saya, un peu vexée.
-Nous mais vous deux, vous êtes très proches ! Tu es la femme la plus proche de lui, après Yuna-chan.
-Tu l’appelles par son prénom, maintenant ? demanda Mme Aoyama.
-Je suis un fan, dit-il avec fierté.
-Si Shûhei l’apprend, tu te rends compte qu’il risque de te faire ta fête ?
Masauchi blêmit et supplia ceux qui l’avaient entendu de garder ça pour eux, en leur promettant un coup à boire une prochaine fois. Ce qu’ils acceptèrent.
-En parlant de Nishiyama, il ne vient pas ? demanda Masauchi après que sa commande soit arrivé.
-Il ne devrait pas tarder, maintenant, répondit Saya en regardant sa montre à son poignet. Et avec un peu de chance, Y…
Une nouvelle entrée dans le restaurant provoqua l’hystérie dans le restaurant :
-Le délégué ! Notre délégué est enfin là !
-Shûra, la terreur !
-Kyaaah ! Il est plus beau qu’avant !
-Arrête, idiote ! Il est avec sa fiancée !
Shûhei et Yuna venaient de faire une entrée remarquée, au point où Saya a dû demander aux autres de se calmer et a dû s’excuser envers les employés du restaurant pour la gêne occasionnée. J’étais étonné que Shûhei soit si bien accueillis. Bien plus que pour Ueda Gon ou Serizawa. Il était si populaire que ça, dans son ancienne classe ? Et puis, pourquoi certaines l’appelaient « Shûra » ? C’était louche…
Le couple est venu s’asseoir avec nous, après qu’on ait fait de la place. Miku a voulu rester avec Yuna, alors que je lui demandais de ne pas la déranger. Je pensais qu’elle devait être fatiguée après sa journée.
-Maaaaais ! Je veux être avec Grande sœur Yuna !
-Gra… ?! Pourquoi tu l’appelles comme ça ?
-Parce que c’est la femme de Grand frère Shûhei ! me répondit-elle comme si c’était une évidence.
Yuna a alors déclaré que ma petite-sœur était trop mignonne et lui a fait un gros câlin. Et oui, ma petite sœur était trop mignonne mais j’étais un peu jalouse qu’elle appelle aussi Yuna « Grande-sœur ». C’était moi, sa grande sœur…
J’ai un peu boudé puis, quand j’ai remarqué que Shûhei avait remarqué que je boudais, j’ai rougi de honte. Il était assis entre moi et Yuna et paraissait exténué ; vidé de ses forces. Sa journée aussi a dû être longue.
(Je pourrais l’aider à se détendre, peut-être…)
Je me suis proposé de lui servir à boire et il a accepté, tandis que Ueda Gon engageait la conversation avec lui :
-Alors, comment ça se passe, pour l’Akamaru ?
-Sans rentrer dans les détails, pour l’instant, la cuvée est moyenne voire médiocre par moment.
-À ce point ?
-Tu sais qu’on voit ça énormément chez ceux qui débutent : ils ont envie de créer un manga mais ne savent pas ce qu’ils veulent raconter dedans.
-Oui, je vois le genre… Mais tous les débutants passent par-là, non ?
-Le problème, c’est que beaucoup sont convaincus que leurs histoires sont géniales et n’acceptent pas les critiques objectives. Du coup, soit ils insistent soit ils vont présenter leurs planches ailleurs…
-« Parfois, il faut savoir laisser quelqu’un courir et tomber avant qu’il n’apprenne à marcher ». C’est ce que tu m’as dit quand tu es devenu mon responsable éditorial.
-Je sais. Mais des fois, j’ai juste envie de dire à certains : « Vous êtes trop arrogant et c’est à cause de ça que vous allez vous planter ! ».
-Tu vas pas me faire croire que tu ne le dis pas à certains qui viennent présenter leurs planches !
-Tu me connais…
-Hé, vous deux ! intervint Yuna. On parle pas de boulot ! Moins de blabla, plus de glouglou !
-Yuna… Me dis pas que tu es déjà saoule !
-Mais pas du tout !... Peut-être un peu pompette mais je suis pas saoule !
-Ouais bah on va déjà éviter d’éventuelles catastrophes et on va t’éloigner de toute forme d’alcool pour le reste de la soirée…
-Maaaaaais heu ! Méchant Shûhei !
Sans grand conviction, Yuna s’est mise à donner de petits coups de poings à l’épaule de Shûhei pour protester.
-Non ! Grande sœur Yuna, tu dois pas frapper Grand frère Shûhei !
Yuna s’est interposée entre eux pour l’arrêter, la mine sévère (pour une gamine de six ans). En voyant ça, Yuna n’a pas pu se retenir de pousser un petit cri aigue avant de la prendre dans ses bras et de la câliner comme si elle était une poupée, tout en lui demandant pardon.
-Oh, c’est trop mignon ! dit une femme.
-Au fait, vous deux, c’est pour quand, vos propres enfants ? demanda une autre.
Yuna et Shûhei ont sursautés en entendant cela puis se sont regardés en rougissant, avant qu’il ne réponde qu’ils préfèrent attendre un peu avant de s’y mettre sérieusement.
-Hé, Shûhei ! Pas trop mal aux hanches, du coup ? lui demanda Serizawa en rigolant.
Mais il le regretta bien vite quand Mme Aoyama écrasa son poing sur son entrejambe si fort que les autres garçons présents eurent mal pour lui. En revanche, cela a bien fait rire Miku. Et moi aussi, d’ailleurs. Au point où je n’ai pas fait attention au verre que je venais de prendre pour boire dedans et le vider d’une traite. J’ai alors senti dans ma bouche un drôle d’arrière-goût qui m’était inconnu…
-Hé ! Où est passé mon… Yuko ?
Très vite, ma tête s’est mise à tourner, mon corps devenait légèrement chaud et je ne savais pas pourquoi, j’avais envie de rire sans raison…
-Yuko ! s’écria Shûhei.
-Héhéhéhéhé…
-Oh non…
-Qu’est-ce qu’elle a ? demanda Yuna, en me voyant rire bêtement.
-Elle a confondu son verre avec le mien…
-Quoi ?! Mais qu’est-ce qu’elle a bu ?!
-De l’amazake…
Je me sentais bien… Mes soucis, mes angoisses… Tout ce qui était négatif dans ma vie semblait s’être envolé je-ne-sais où et franchement, ça me convenait parfaitement ! Ressentir une telle euphorie, c’était génial ! Je voudrais que ça ne s’arrête jamais !
La suite de la soirée m’a paru flou… Mes souvenirs devenaient brumeux…
Jusqu’à ce que j’aie soudainement une forte envie de vomir !
Saya et Yuna m’ont emmené en quatrième vitesse me vider l’estomac dans les toilettes.
C’était la toute première fois que je buvais de l’alcool. De son vivant, Maman avait toujours voulu me dissuader d’en boire, tant que je serais mineure. Après, c’était mon problème…
(Génial… Pour ma première fois où je bois de l’alcool, je suis là, à dégueuler dans les toilettes… Au moins, maintenant, je sais que je supporte pas trop ça…)
Il a fallu un moment avant qu’on ne soit sûr que je n’allais pas expulser ce qui me restait dans l’estomac. Après ça, Shûhei a suggéré qu’on rentre, pour que je puisse dormir. Ce qui, personnellement, me convenait. Même après avoir bu de l’eau, je ne me sentais pas super bien. Quant aux autres, ils iraient poursuivre la fête ailleurs, pour certains.
Shûhei a hélé un taxi pour lui, Miku et Yuna, qui était vraiment pompette, et un autre pour Saya et moi, pour qu’ils nous ramènent à la maison. Je priais juste pour que la voiture ne se secouent pas trop durant le trajet. J’étais de nouveau nauséeuse...
Heureusement, nous sommes rentrés sans encombre.
Yuna voulait emmener Miku au lit mais Shûhei a refusé qu’elle le fasse dans cet état et lui ordonna d’aller se coucher. Elle a boudé mais n’a pas insisté et ce fut Shûhei qui emmena Miku se coucher. Saya se retira dans sa chambre et moi… Moi, j’avais besoin d’un autre verre d’eau.
(Oooooh… J’ai encore la tête qui tourne…)
Le verre ne fut pas aussi salvateur que je l’imaginais, mais c’était mieux que rien. En remontant à l’étage pour rejoindre ma chambre (pas facile quand on ne marchait pas droit), je vis Shûhei qui sortait de la chambre de Miku. Il avait l’air encore plus fatigué…
-Hm ? Yuko ? Ça va ?
-Ah… Heu… Pas vraiment. L’alcool me réussit pas… Je crois que-WAAAAH !
En me dirigeant vers ma chambre, j’ai manqué de m’emmêler les pattes et de me casser la figure. Heureusement que Shûhei m’a rattrapé à cet instant.
Il m’a accompagné jusqu’à la porte de ma chambre, craignant que je me fasse mal.
-Ça ira ?
-Oui…, ai-je assuré même si je n’étais pas complètement sûre.
J’ai ouvert la porte et alors que j’allais entrer en titubant, je me suis arrêté et me suis tourné vers lui :
-Au fait… Encore merci… pour tout.
-Ce n’est rien.
-Non, ce n’est pas vrai. Tu m’as accueilli chez toi… alors que je ne suis pas de ta famille. Rien… ne t’y obligeait.
(Merde… Je commence à trop parler… Tais-toi…)
-Dis pas n’importe quoi. Tu es la sœur de Miku. Pour moi, ça me suffit.
-Merci…
Il était gentil… Shûhei était gentil… Je comprenais pourquoi Miku, Yuna ou Saya l’aimaient. Je l’ai alors pris dans mes bras pour lui faire un câlin. Sans doute encore sous les effets de l’alcool. Il était tout chaud… J’ai fermé les yeux, pour mieux en profiter. J’ai senti sa main sur ma tête, la caresser affectueusement.
-Allez, va dormir, maintenant. J’aimerais dire que tu te sentiras mieux demain mais vu ce que tu as bu, tu vas avoir une gueule de bois.
-T’as une drôle de façon de réconforter quelqu’un, toi…
On a un peu ri. J’ai commencé à reculer un peu puis, j’ai levé les yeux pour croiser son regard… Pourquoi je faisais ça ? Je ne sais pas… Maintenant que je le regardai de plus près, je le trouvais plutôt mignon… Je…
J’ai ressenti une soudaine envie et… je l’ai embrassé. Cela n’a duré qu’une seconde mais nos lèvres sont rentrées en contact. Les siennes étaient douces et… et…
Et j’ai reculé de suite, frappé d’horreur par ce que je venais de faire ! Je l’ai regardé et il était tout aussi surpris que moi. Je ne pouvais pas me voir mais j’étais convaincu que j’étais devenue rouge, à cet instant !
-Pardon ! me suis-je écrié. Je… Je… Oublie ce qui s’est passé !
Je me suis alors enfui dans ma chambre et priait de toutes mes forces qu’il ne m’y suive pas. Et mes prières furent entendu. À moitié bourrée, je me suis jeté dans mon lit tout en poussant un crie étouffé par mon oreiller. J’avais fait quelque chose d’horrible !
J’avais embrassé Shûhei ! J’avais embrassé un homme ! Un homme fiancé ! L’homme qui m’a hébergé ! Avec sa fiancée ! Qui vit sous le même toit !
(JE VEUX MOURIR ! MOURIR MILLE FOIS !!)
Après ma crise, je crois que je me suis endormi…
Le lendemain matin, j’avais mal à la tête et la bouche pâteuse. Et j’avais dormi habillée. De la soirée d’hier, j’avais peu de souvenir après avoir bu par mégarde dans le verre de Shûhei et…
Les images de mon baiser avec lui me sont revenus. J’ai rougi et me suis mise à me cogner la tête. Contre mon coussin.
J’avais embrassé Shûhei, bordel ! Qu’est-ce qui m’avais pris !? L’alcool avait certes joué un rôle mais quand même ! En plus, c’était la première fois que j’embrassais un garçon !
Je voulais pas descendre ! Je voulais pas le croiser ! J’avais trop honte !
(Non, non ! Yuko, t’es plus une enfant ! C’était un accident ! Tu vas descendre, lui dire bonjour normalement et quand vous serez seuls, tu t’excuseras comme il faut ! Oui ! On va faire ça !)
Dans un premier temps, d’abord, je suis allé prendre une douche avant de me changer et descendre à la salle à manger. Tout le monde, hormis Shûhei, étaient là.
-Bonjour, Yuko, me dit Yuna en me servant un bol de riz. Bien dormi, malgré hier ?
-Si on veut…
-Un peu d’eau te fera du bien. Au moins, tu étais avec des gens de confiance, pour ta première cuite, ajouta-elle en rigolant.
Saya aussi rigola un peu.
-Je pourrais faire comme elle ? demanda innocemment Miku.
-Pas avant ta majorité ! lui dit Yuna en me tendant mon verre d’eau.
-Maaaais heu ! Pourquoi ? Grande sœur Yuko a eu le droit, elle !
-Non, elle n’a pas eu le droit ! C’était un accident ! Et tu as bien vu ce qui arrive quand on ne fait pas attention ! Donc, c’est non !
-D’accord…
Heureusement que Miku fut raisonnable. Mais si elles pouvaient parler moins fort, ça arrangerait ma pauvre tête endolorie…
-Shûhei n’est pas debout ? ai-je demandé.
(Ne rougis pas ! Ne rougis pas !)
-Le directeur éditorial l’a appelé. Il a dû partir tout de suite, expliqua Yuna.
-Oh…
Bien, au moins, je n’aurais pas la gêne de le voir si vite et pourrais me préparer un peu plus psychologiquement pour lui présenter mes excuses plus tard…
Mais en y repensant… j’avais honte de penser ça mais… ce baiser… au fond… ne m’avait pas… complètement déplu.
« Ima wo kowashite shimaitai
Ima ni sugaritsuite itai
Jibun no koto wa wakara nai »
« Je veux envoyer valser ce moment
Mais je veux aussi en profiter à fond
Je ne me comprends pas »
Extrait et traduction de Tommorow’s way, de yui, tiré de l’album FROM ME TO YOU.
Annotations
Versions