Chapitre 9 : Chérir l’insouciance

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Vers la fin de la Golden Week, Shûhei et Yuna commencèrent à se comporter bizarrement. Ils parlaient souvent à voix basse entre eux et faisaient en sorte que ni moi ni Miku entendions ce qu’ils se disaient. Mais à la vue des têtes qu’ils tiraient à chaque fois, j’en déduisais que ça devait être sérieux. Une multitude de suppositions se sont bousculées dans ma tête, du genre des problèmes d’argents parce que Shûhei nous avait recueilli. J’ai essayé d’en discuter avec eux mais j’ai eu droit à la même réponse automatique de leur part : « Ce n’est rien. Ne t’en fais pas pour ça ». J’ai voulu leur faire confiance et je n’ai pas insisté. Non sans laisser mes réflexions dans un coin de ma tête. Au cas où.

Le jour de la reprise des cours, après avoir quitté la gare et marchant vers le lycée, j’ai entendu une voix familière m’interpeler :

-Nishiyama !

C’était Kamiya Jin, qui me rattrapait en accourant. C’était bizarre de le voir à cette heure-ci.

-Le club de basket n’a pas entraînement matinal ? lui ai-je demandé avec suspicion.

-Hein ? Ah, si ! Mais mon réveil n’a pas sonné. Tu te rends compte, j’ai failli ne pas arriver à temps pour les cours…

-Mouais… Mais c’est pas terrible, pour ton club.

-J’ai déjà prévenu le coach et il m’a demandé de passer en salle des profs pour m’expliquer, avant les cours… J’anticipe déjà le savon qu’il va me passer.

-Tu n’as que ce que tu mérites…

J’ai repris ma marche vers le lycée et Kamiya, malgré moi, m’a accompagné.

-Au fait, Nishiyama. Tu…

-Non, je ne sortirais pas avec toi ! Tu me le demandes tous les jours, à chaque fois que tu me vois. Lâche l’affaire ! Ma réponse ne changera pas…

-Ah, je suis pas d’accord. Ta réponse a changé par rapport aux autres fois.

-Comment ça ?

-Tu m’as pas traité de « Pauvre naze ! ».

-Ah… C’est vrai… Pauvre naze…

-Héhé.

Je ne savais pas pourquoi il souriait comme ça alors que je venais de l’insulter. Il était masochiste ou quoi ?

Nous sommes donc arrivés ensemble au lycée. Comme toujours, des membres du comité de discipline me regardaient de travers à causes des trous dans mes oreilles.

Alors que nous rangions nos chaussures dans nos casiers avant d’enfiler nos chaussons, un groupe de mecs ont interpellés Kamiya.

-Jin ! Bordel, où t’étais passé ? lui cria presque l’un d’eux.

-Désolé ! Mon réveil n’a pas sonné et d’ailleurs, j’ai failli ne pas arriver à l’heure pour la première heure.

-Sois un peu sérieux ! On a un match, demain !

-Désolé, ça se reproduira plus !

-Bon, du moment que tu comprennes… Au fait, le coach veut que tu ailles le voir.

-Je sais. Je lui avais envoyé un message pour m’excuser de ne pas être venu. J’y vais avant d’aller en cours.

Je les ai laissés et me suis dirigé vers ma classe. En y entrant, comme toujours, des murmures me concernant parvenaient à mes oreilles, jusqu’à ce que j’aille m’assoir. Le cours ne commencerait pas avant un bon quart d’heure…

(Je vais m’écouter un peu de musique avant…)

J’étais sur le point de prendre mon lecteur mp4 quand mon téléphone vibra. C’était la Présidente. Elle ordonnait à tout le monde d’être présente au club, après les cours, pour accueillir officiellement le nouveau membre. Au moins, maintenant, le club ne serait plus sous la menace de la dissolution…

Kamiya est arrivé en classe cinq minutes avant l’arrivée du prof.

(Son sermon n’a pas duré longtemps…)

Il a vite rejoint son groupe d’amis et ses quelques groupies. Il était du genre doué en sport et ça plaisait aux filles, visiblement… Pour quelqu’un qui n’avait pas grandi au Japon, il s’était plutôt bien intégré dans la classe, contrairement à moi.

Le prof est arrivé peu après et le cours a pu commencer…

Vers midi, je me suis dirigé vers la cafétéria m’acheter un sandwich pour le déjeuner. Cependant, à la différence des autres fois, Kamiya a tenu à y aller avec moi.

-Pourquoi ? lui ai-je demandé en lui tirant une tronche agacée.

-Oh, allez ! De toute façon, j’y vais pour ramener de quoi manger aux autres aussi. Autant y aller ensemble, puisqu’on va dans la même direction.

J’avais du mal à gober son histoire, même si elle ne semblait pas invraisemblable. En me parlant, j’ai senti de l’hostilité extérieure contre moi et j’ai remarqué que ses groupies me dévisageaient. Sans doute depuis qu’il m’avait abordé.

-T’occupe pas d’elles, lança subitement Kamiya.

-Hein ?

-Des filles. T’occupe pas de ce qu’elles pensent.

-Parce que toi, tu peux savoir ce qu’elles pensent ?

-Je peux te dire une chose : Amérique ou Japon, les adolescentes, elles ont plus de points communs qu’on ne le croit.

(Mouais…)

-Bref, moi, j’y vais.

-Attends !

Je comptais le planter là mais il m’a accompagné comme il l’avait dit. Enfin, c’était encore un pays libre. Il pouvait bien faire ce qu’il voulait.

Par contre, je ne savais pas pourquoi, mais j’ai attendu qu’il finisse ses achats pour qu’on aille ensemble s’acheter des boissons aux distributeurs. Vraiment, si j’avais voulu la paix, j’ai raté une belle occasion de me débarrasser de lui. Mais non, je l’ai attendu. La politesse, j’imagine…

En retournant vers notre classe, une agitation s’était créée dans les couloirs, plus précisément devant la salle des professeurs.

-Qu’est-ce qui se passe ? demanda Kamiya.

-J’en sais rien.

On a essayé d’en savoir plus auprès d’un élève de seconde année, qui essayait en vain de se rapprocher dans cette foule déjà compacte, et il nous a expliqué que deux joueuses professionnelles étaient venues au lycée. Apparemment, elles allaient participer aux cours de sports du Professeur Aoyama cet après-midi et à la session d’entraînement du club de basket féminin. Kamiya fut très intrigué et il a voulu aussi en savoir plus comme les autres, mais les professeurs ont alors dispersé les élèves sous menaces de sanctions. Nous sommes donc retournés en classe, en nous disant que de toute façon, comme nous avions sport en dernières heures de cours de la journée, on verrait ces pros à ce moment-là.

Par contre, cet idiot de Kamiya a tenu à spéculer avec moi sur l’identité de ces joueuses et malheureusement pour moi, il m’a accaparé durant toute la pause-déjeuner, donnant une raison supplémentaire à ses groupies de ne pas me porter dans leur cœur… Et en plus, c’était dur de l’ignorer avec sa présence envahissante, ce con !

Le cours de sport avec Mme Aoyama, nous l’avions en commun avec la classe 1-C. Nous découvrions alors qui étaient ces basketteuses pros qui avaient fait le déplacement et je n’ai jamais autant souhaité me faire si petite. L’une d’elles était Yuna ! Elle ne m’avait jamais dit qu’elle comptait venir à mon lycée ! La connaissant, elle a voulu me faire la surprise et voir ma tête quand je le découvrirais !

Tout le monde, filles comme garçons, étaient excités qu’une célébrité comme se tienne devant eux. Beaucoup lui demandèrent une poignée de main, surtout les garçons, et Mme Aoyama dut intervenir pour éviter les débordements.

L’autre joueuse, une femme au teint clair et les cheveux attachés en queue de cheval, c’était Ôtonashi Tomori. Yuna m’avait un peu parlé d’elle. Elle était passé pro peu de temps après son entrée à l’université et elle avait fait partie de l’équipe nationale lors du dernier Championnat d’Asie et du dernier Championnat du monde.

Avec la supervision des professeurs, elles organisèrent de petits ateliers pour le cours, du genre améliorer nos passes, nos dribbles, etc…

On nous a demandé de nous mettre en binôme pour ces activités mais comme je m’y attendais, personne n’a souhaité se mettre avec moi. Sauf…

-Nishiyama ? T’es seule ? Je peux me mettre avec toi, si tu veux !

Kamiya pensait venir à ma rescousse mais ses groupies n’aimaient pas l’idée et tentèrent de le convaincre de plutôt rester avec elles. Et puis, bon, l’idée qu’il soit mon binôme ne m’enchantait pas plus que ça.

-Je vais pas la laisser toute seule, leur a-t-il dit. En plus, avec moi en plus, on va être en nombre impair.

Finalement, Kamiya est devenu mon binôme. J’ai poussé un soupir de lassitude mais au moins, me suis-je dit, je n’allais pas passer le cours à jouer contre le mur, comme une idiote…

J’aurais pensé qu’il ne resterait qu’un moment avec moi pour retourner avec les autres, histoires de ne pas les froisser, mais non. Kamiya resta avec moi.

Quand les profs nous ont demandés qu’on forme des équipes pour faire quelques matchs, pour clôturer le cours, il a voulu que je rejoigne la sienne. J’ai pas pu en placer une pour refuser… On n’était que deux filles dans notre équipe, moi et une fille de la 1-C avec un grain de beauté au coin de l’œil et qui avait attaché ses cheveux longs. Cette dernière ne voulait jamais garder le ballon quand on lui faisait une passe, si bien qu’elle le refilait à son coéquipier le plus proche. Et moi… J’étais vraiment moyenne en sport et si on voulait gagner, on allait devoir se reposer sur les garçons, qui étaient plus athlétiques. Et avec un membre du club de basket, ça facilitait bien des choses.

Avant notre dernier match, pendant qu’on récupérait, Yuna est venue nous voir.

-Vous vous en sortez bien, les jeunes, dit-elle. Surtout toi. Tu es membre du club de basket ?

-Ah, fit Kamiya en rougissant un peu. Oui. Vous m’avez remarqué ? Je suis flatté !

-Difficile de ne pas te remarquer. Rien qu’avec ta taille…

-Dîtes, Nishiyama-san ! Vous avez vécu un temps aux États-Unis ?

-Oui.

-Vous viviez où ?

-J’étais essentiellement basée à Los Angeles. Pourquoi ?

-Ouah ! Moi, je vivais à San Diego.

Je voyais les garçons envier Kamiya d’arriver à échanger si facilement avec Yuna avec autant d’énergie. Moi, rien que le regardait me fatiguait… Au point de m’en faire soupirer.

-Yuko ? Tout va bien ?

Yuna m’a sans doute surprise à soupirer et a sans doute pris cela pour de la fatigue.

-Je… je vais bien, ai-je assuré. J’suis juste un peu fatiguée !

-Vraiment ? Ça ira pour le club, après ?

-Mais oui, t’en fais pas !

-Bon… Ne force pas trop, d’accord ?

-Mais oui !

Et elle fila enfin. Je sentais les regards interrogateurs sur nous. Et d’autres plus agressifs, sans doute ceux qui se demandaient pourquoi une star comme Yuna parlait avec une fille comme moi. Mais le pire devait être Kamiya avec son sourire débile et son envie trop voyante de me demander des explications. Bien sûr, je l’ai envoyé balader…

À la fin du cours, alors que je me changeais dans les vestiaires après une bonne douche, j’ai entendu des filles commenter sur mon échange avec Yuna. Le genre « Pour qui elle se prend, celle-là ? » ou « Elle doit plus se sentir pisser, après que Yuna-chan lui ait donné de l’intention, à cette racaille ! ». J’ai fait mine de les ignorer et me suis changer avant de me rendre au club. Mais à peine avais-je franchis la porte du vestiaire qu’un petit groupe de trois de ces idiotes me rattrapa pour m’interpeller.

-Eh, toi !

Sentant qu’elles n’allaient pas me lâcher, j’ai daigné m’arrêter pour leur accorder de l’attention (À tort, maintenant que j’y pense…)

-Prends pas la grosse tête parce que Yuna-chan t’a parlé. Elle doit faire bonne impression devant tout le monde.

-Ouais, ouais…

-Hé !

Subitement, l’une d’elles m’a attrapé par le col avec un visage presque haineux.

-Surveille ton attitude, salope ! Les filles comme toi, elles…

-Lâche-moi ou je te pète le bras !

Je lui ai attrapé le poignet et l’ai serré aussi fort que possible, devant des élèves qui sortaient des vestiaires pour rejoindre leur club. Je n’en donnais pas l’impression mais j’avais une sacrée poigne. Mais ça ne semblait pas l’impressionner. Au contraire. Elle semblait s’en amuser.

-Quoi ? Tu vas lever la main sur moi ? Essaie, salope. J’aurais qu’à dire que c’est toi qui m’a attaqué sans raison. À ton avis, on va croire qui ? Moi ou la salope aux oreilles percées ?

-…Et tu crois que ça va m’arrêter ?

J’en avais rien à faire de ma réputation. Je n’allais pas laisser cette connasse s’en sortir comme ça. Une dent ou deux en moins, ça allait lui changer les idées !

-Hé ! Qu’est-ce qui se passe ici !

La voix de Mme Aoyama m’a arrêté dans mon élan, encore plus quand elle s’avançait rapidement vers nous, laissant en plan Yuna et Ôtonashi. La fille que je tenais en a profité pour se dégager et a aussitôt crié :

-Professeur ! Cette fille a essayé de me racketter !

Aussitôt, ses deux amies confirmèrent et ajoutèrent qu’il fallait me renvoyer parce que j’étais dangereuse. Des murmures se sont élevés chez les autres élèves qui avaient tout vu mais évidemment, pas un n’est venu contredire ce mensonge.

-Yuna, c’est vrai ? me demanda Mme Aoyama.

-Bien sûr que non !

-Enfin, Professeur ! Vous voyez bien qu’elle ment ! Il suffit de la regarder ! On va bien que c’est une racaille, avec ses oreilles percées et… !

-Elle mentent.

C’était elle, la fille au grain de beauté au coin de l’œil de la 1-C, qui sortait des vestiaires.

-Igawa ? fit Mme Aoyama.

-J’ai tout entendu derrière la porte, continua Igawa. Ces trois-là ont voulu l’intimider et l’ont même menacé.

-Quoi ?!

-Tu dis n’importe quoi ! C’est l’autre qui…

-Moi aussi, j’ai tout vu !

Émergeant de la foule, tout en se dégageant le bras d’une fille qui le retenait, Kamiya s’approcha, la mine sévère.

-J’ai tout vu ! affirma-t-il de nouveau. Nishiyama n’a rien fait !

Les trois filles se défendirent en disant que les deux mentaient, tout en maintenant qu’il suffisait de me regarder pour être sûr que j’avais fait quelque chose de mal. Mais visiblement, les témoignages d’Igawa et Kamiya lui paraissaient plus convaincant. Résultat : elle les a emmenés de suite en salle des professeurs avec un visage colérique qui faisait peur à voir.

-Yuko !

Yuna a accourut vers moi et m’a prise dans ses bras.

-Ça va ? Comment tu te sens ? Oh, ma pauvre…

Elle m’a serré fort dans ses bras, à la surprise de la foule présente.

-Yuna ! Je peux plus respirer !

-Oh, pardon !

-La vache ! Tu en donnes pas l’air mais t’as une sacrée force !

-Oui, Shûhei me le dit souvent depuis un moment… Mais vraiment, tu es sûre que ça va ?

-Mais oui ! Je sais me défendre ! J’aurai juste aimé lui fiche mon poing dans sa belle petite gueule…

Igawa grimaça en m’entendant parlement si grossièrement, alors que Kamiya et Yuna riaient.

-Ah, on dirait Shûhei quand il avait ton âge ! a-t-elle lancé entre deux rires.

Me comparer à lui m’a fait un peu rougir. De honte ou de colère, je ne savais pas moi-même.

-Bien, je suppose qu’on va devoir attendre Saeko… Quoique, je pourrais aller Saya en salle des profs…

Elle se tourna vers Ôtonashi et lui cria :

-Ôtonashi, tu veux venir ?

-De toute façon, on n’a rien de mieux à faire avant d’aller aux clubs de baskets…

-Ok. Bon, Yuna, on se voit à la maison, alors. Ah, je ne devrais pas rentrer trop tard. On pourra s’entraîner ensemble à cuisiner, comme je te l’avais promis, si tu veux.

-D’accord, mais file maintenant ! lui ai-je dit en rougissant un peu de honte.

Elle a rigolé et est parti avec Ôtonashi.

J’ai poussé un soupir de soulagement puis, alors que j’étais sur le point de remercier Igawa et Kamiya pour leur aide, une foule de fans fous a accouru vers moi.

-Hé ! Comment est-ce que tu connais Yuna-chan !

-Elle a dit qu’elle allait t’entraîner à la cuisine à la maison ! Pourquoi elle dit ça !

Ces assauts en continue me mettais mal à l’aise et cet attroupement incita Igawa à s’en aller. Kamiya, lui, restait planté là comme un piquet à réfléchir :

-Minute… Nishiyama… Le nom de famille de Yuna-chan, c’est Nishiyama aussi… NISHIYAMA ! Vous êtes de la même famille !?

Sa déclaration eut l’effet d’une bombe et les fans devinrent plus pressant à me demander plus d’informations sur la vie privée de leur idole. Au bout d’un moment, j’en ai eu marre et j’ai hurlé :

-Assez ! C’est juste la fiancée du demi-frère de ma petite soeur ! Pas la peine de s’exciter !

Il a fallu une minute à mon cerveau pour me faire comprendre que je venais de faire une gaffe monumentale ! Ma déclaration a eu l’effet d’une seconde bombe et ils m’ont encore plus pressé de donner le nom de son fiancé, qui était resté secret jusqu’ici. Tant que je le pouvais encore, j’ai décidé de prendre la fuite ! J’ai sprinté comme jamais, faisant plusieurs détours pour semer mes poursuivants, avant de gagner le club de musique. Le cours de sport m’avait déjà bien fatigué mais là, j’étais aux portes de la mort après cette course-poursuite...

Heureusement, j’allais pouvoir souffler un peu.

Quand j’ai ouvert la porte du club, tout le monde était déjà là… avec une personne supplémentaire, Igawa.

-Ah, bien ! On est au complet, maintenant ! fit la Présidente alors qu’elle était sur son téléphone. Yuko, puisque que tu es la dernière arrivée, je te présente vite fait notre nouveau membre, Igawa Iori, en première année comme toi. Et tu paieras pour les boissons au karaoké.

-Attendez, quoi !? Des boissons !? Un karaoké !? C’est quoi, ce délire !?

-Oui, on vient de décider qu’on irait au karaoké. Comme activité de club.

-Mais on peut vraiment faire ça !? Et le prof responsable ? Il en dit quoi ?!

-Je ne veux pas avoir d’ennuis, intervint Igawa sur un ton plat. Et vous m’aviez promis que je pourrais pratiquer tranquillement si…

-Tu pourras, coupa la Présidente. Mais pour ça, faut que tu participes un minimum. Ça fait partie de l’accord, tu te souviens ?

C’était léger mais Igawa fronça les sourcils. Pour montrer son mécontentement, c’était très discret.

Ainsi, sur les désirs de la Présidente, nous avons quitté le lycée pour aller dans un karaoké. Igawa et moi n’étions toujours pas convaincues que nous pouvions faire ça mais Junko, avec nonchalance, a tenté de nous rassurer en nous disant de juste suivre le mouvement et de ne pas s’en faire. J’aurais espéré qu’Enoshima lui dise qu’elle était trop insouciante mais elle n’a fait que confirmer les dires de Junko. Cela aurait plus crédible si elle n’affichait pas un visage peu assuré…

Finalement, on s’amusait bien au karaoké (enfin moi, moins, puisque que je payais pour les boissons…). Quand chacune passait pour chanter, la Présidente nous donnait des conseils pour nous améliorer. Donc, techniquement, on faisait bien une activité en rapport avec le club. Mais bon, le cadre et tout ça…

(J’espère VRAIMENT qu’on va pas avoir des problèmes…)

Puis vint le tour de la Présidente de nous montrer ses talents de chanteuse.

-Ouvrez bien les oreilles et appréciez, nous confia Junko.

J’étais curieuse. Depuis que j’étais dans le club, la Présidente n’avait pas touché une seule fois aux instruments pour pratiquer avec nous et encore moins chanté. La voir à l’œuvre était une occasion de voir si elle méritait un minimum son titre ou si elle l’avait endossé par défaut. Ça, c’était moi. Igawa, pour sa part, donnait l’impression qu’elle aurait aimé être ailleurs…

Peu après que la musique se soit lancée, Majima Kayako commença à chanter :

« Wairudosaido no tomodachi ni

Tsutaete okitai koto ga aru

Ima wa tooku tooku mieru akari demo

Shinjite mirudakeno kachi ga aru »

Rien qu’avec ça, sa voix captait notre attention. Une voix qui s’adaptait au rythme de la musique, son ton et des paroles. Elle ne faisait pas qu’interpréter cette chanson, elle se l’appropriait ; elle en faisait la sienne. Je ne pouvais pas détacher mes yeux de cette fille qui m’hypnotisait littéralement, qui n’hésitait pas à bouger au rythme des guitares et de la batterie. À ce moment précis, Majima Kayako, Président du club de musique, n’était plus parmi nous mais dans son monde, nous offrant dans toute sa bonté un aperçu de son talent.

Jusqu’à la fin, elle vivait dans son monde.

Jusqu’à la fin, elle se laissa porter par la musique…

Pour ne revenir parmi nous que quand cette dernière se tut.

Alors que Junko et Enoshima l’applaudissait de toutes leur force, moi, je restai bouche bée. J’ai jeté un œil à Igawa et ses yeux étaient légèrement exorbités. Mais quand elle croisa mon regard, elle tourna rapidement la tête, sans doute pour espérer les cacher.

Quand ce fut à nouveau le tour de Junko, la Présidente vint s’assoir à côté de moi pour boire son jus.

-Alors ? Le spectacle t’a plu ?

Elle me collait et avait passé son bras par-dessus mes épaules. C’était un peu gênant…

-Je pensais pas que tu savais si bien chanter, Présidente, ai-je avoué en baissant la tête.

-Merci. Mais tu ne t’en sors pas mal, non plus. Dans un ou deux, tu m’auras peut-être dépassé.

-Tu exagères un peu, non ?

-Qui sait ?

-Tu n’as jamais pensé à faire partie d’un groupe ?

-Oh, on m’a fait plusieurs propositions, déjà. Surtout des étudiants qui cherchaient une chanteuse. Enfin, la plupart voulaient surtout savoir si ma voix était aussi belle quand je gémis…

-Heu…

-Après, ils sont pas tous comme ça. Certains appréciaient vraiment ma voix et voulaient que je chante avec eux. Mais je préfère attendre encore un peu, avant de me lancer dans ce genre d’aventure.

-Pour quelles raisons ?

-Oh. Yuko, tu joues les curieuses ? demanda-t-elle tout en jouant avec mes cheveux et en me regardant dans les yeux. Prudence. La curiosité peut être un vilain défaut.

J’espérais que ce n’était qu’une impression mais… Est-ce qu’elle venait, à l’instant, de flirter avec moi ?

Tout le reste du temps passé au karaoké, la Présidente est restée à mes côtés autant pour me donner des conseils en chant que pour discuter de tout et n’importe quoi. Par moment, je trouvais que certaines de ses remarques à mon égard étaient assez ambigüe mais je me disais, dans ces moments-là, que ce n’était que mon imagination qui me jouait des tours.

Après notre longue session (et que mon porte-monnaie se soit allégé…), nous nous sommes toutes séparées pour rentrer chez nous. Igawa et moi avions pris le même train, puisque nous vivions dans le même quartier apparemment.

Durant le trajet, on s’est à peine parlé. Normal. On commençait à se connaître et on n’avait rien de particulier à se dire, sur le moment.

En sortant de la gare, on a fait une partie du trajet à pied. Maintenant que j’y pensais, c’était assez dingue que je ne la remarque pas sur mon trajet pour aller au lycée. Mais d’un autre côté, le plus souvent, j’étais plus concentré sur la musique que j’écoutais en marchant…

Un peu avant la maison, on s’est séparé à un croisement et m’a souhaité une bonne soirée.

-Ah, au fait ! ai-je dit avant qu’elle n’y aille. Tu peux me filer tes coordonnées ? Les membres du club l’ont fait, pour qu’on reste en contact pour organiser les activités et tout…

Elle m’a fixé un moment puis a sorti son téléphone pour me les donner. Elle n’était pas du genre loquace et je me voyais mal lui demander de se forcer.

-Au fait… Merci pour tout à l’heure. Quand tu m’as défendu contre ces filles…

-Je t’en prie. Il n’y avait aucunes raisons que tu sois punie pour quelque chose que tu n’as pas fait.

Après avoir échangé nos coordonnées, elle est partie.

Au dîner, Yuna a raconté aux autres sa journée et ce qui s’était passé me concernant.

-Si jamais elles recommencent, Yuko, viens me faire et je m'en chargerai, me dit Saya.

-Si jamais elles recommencent, ma petite Yuko, j’enverrais Shûhei les corriger, ajouta Yuna.

-Plaisante pas avec ça ! s’exclama ce dernier, qui avait pu rentrer tôt.

-C’est vrai, fit Saya. Cela pourrait tourner au carnage, le connaissant. Et cela impliquerait du travail supplémentaire pour moi…

-Hé, toi ! Sois plus responsable en tant que professeure et n’encourage pas Yuna dans ses délires !

-Oh, pauvre de moi…, fit Yuna sans être crédible. Tu vas me punir, c’est ça ?

-Encore des sous-entendus sexuels ? ai-je demandé avec une certaine lassitude.

-T’as vu l’image que tu lui donnes de nous, maintenant ?! s’indigna Shûhei envers sa fiancée.

-Hihi, fit-elle.

-C’est quoi, les… les… machin-choses sessuels ? demanda innocemment Miku.

-Un truc que tu ne dois pas savoir avant d’être grande ! ai-je crié en choeur avec Shûhei.

Ce repas était bien plus animé que les autres et c’était une bonne chose. Saya quittait la maison demain pour emménager dans son nouvel appartement et nous voulions tous profiter de ces derniers instants avec elle. Ça allait faire bizarre, de ne plus voir ma prof de littérature dans la même maison.

Plus tard, après avoir fini mes devoirs, j’ai eu un creux et je suis descendu me chercher quelque chose à la cuisine. Mais alors que j’étais sur le point d’ouvrir la porte, j’ai entendu les voix de Yuna et Shûhei derrière.

-Elle a encore appelé, disait-il. Elle ne veut vraiment pas lâcher l’affaire…

-Qu’est-ce qu’on va faire ? lui demanda Yuna.

-Je lui ai proposé une rencontre, pour discuter. Pas question qu’elle pose un pied ici et qu’elle voit les filles !

-Je devrais être là aussi.

-Tu as tes entraînements et…

-Rien à faire ! Les filles passent avant tout ! Et arrête de toujours vouloir tout porter sur tes épaules, Shûhei ! On va bientôt se marier ! Fais-moi davantage confiance pour t’épauler !

-…Oui. Tu as raison. Désolé.

-C’est rien. Mais honnêtement, elle ne manque pas de culot, cette femme ! Tu l’as bien vu, à l’enterrement ! Ça avait beau être sa tante, elle se fichait bien de ce qu’elles ressentaient ! Surtout de ce que Yuko ressentait !

-Je sais. Et c’est pour ça qu’on lui fera bien comprendre qu’elle n’aura pas la garde des filles !

J’ai arrêté d’écouter après ça. L’entendre m’avait fait un choc. Ma tante voulait notre garde ? Alors qu’elle ne semblait pas intéressée à l’enterrement de Maman…

Pourquoi ? Et surtout, pourquoi maintenant ?

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