Le mouvement de la roue (3/3)

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Et puis, un jour, tout changea d'un coup. Un jour, Mévidra eu un accident. C'était un jour comme les autres, même si c'était peut-être celui où tout allait le plus vite. En même temps, quand les choses accélèrent tout le temps, le dernier jour est forcément celui où les choses vont le plus vite. La roue tournait vite, les lutins agissaient vite, et même le flot du torrent semblait plus rapide que d'habitude. Mévidra, elle, était plus lente. Elle se sentait vidée. Son épaule lui causait des douleurs poignantes. Ses bras ne semblaient plus obéir à son cerveau. Son regard était absent. Elle remplissait toujours ses seaux, mais, automatiquement, bêtement, sans aucun élan et tristement.

Mévidra fut trop lente par rapport au cours du torrent et le seau qu'elle plongeait dans l'eau devint lourd, devint rapide, et l'entraîna avec elle. Mévidra, accrochée à deux mains à son seau, fut incapable de penser à le lâcher. Elle fut entraînée par le torrent, comme Bouluchon en avait peut-être rêvé. Pour elle, ce n'était pas du tout un rêve. Elle ne savait pas ce qui lui arrivait, mais, sans craindre de se noyer, était terrorisée à la pensée de tous ses seaux qu'elle n'était pas en train de remplir. Personne ne semblait avoir remarqué qu'elle avait été emportée mais, quand le mouvement de la roue cesserait, il n'y aurait qu'elle à blâmer. Et ce qui devait arriver finit par arriver. Mévidra suivait le cours du torrent, flottant tant bien que mal, mais plus angoissée de ce qui arriverait à la roue que de ce qui lui arriverait à elle même. Pendant ce temps, Bouluchon dormait paisiblement, et la roue commençait doucement à se déséquilibrer. Billes, poulies, portes et mécanismes en tous genres continuaient à s'actionner, mais les seaux de Mévidra manquaient dans la balance.

La roue ralentit, ralentit, et, quand Bouluchon se réveilla, elle tournait encore, mais extrêmement lentement. Bouluchon et tous ceux qui vivaient sur le même rythme que lui que lui ne remarquèrent rien. Ils ne virent pas que la roue tournait plus doucement que d'habitude, et ils continuèrent à agir comme si elle tournait à cent à l'heure. Peut-être que, s'ils avaient remarqué le changement de rythme, ils auraient pu s'y adapter et le rééquilibrer. Ils auraient peut-être même pu réussir à recréer un système de mouvement perpétuel qui fonctionnerait sur un rythme plus doux et plus soutenable que l'ancien. Mais ce ne fut pas ce qu'il se passa. Les lutins continuèrent à œuvre aussi vite que tous les jours, et un chouia plus vite encore (car ils avaient pris l'habitude d'aller chaque jour un chouia plus vite que la veille).

Les lutins continuèrent à œuvrer à toute vitesse, et ils ne firent qu'accentuer le déséquilibre. Au bout d'un moment, l'on vit des boulons et des billes jaillir partout dans le ciel, et les parois de la roue s'écrouler dans le torrent. La roue ne s'était pas seulement arrêtée de tourner ; elle avait été complètement détruite. Mais, à part ça, il ne se passa rien. Rien en tout cas qui ressemble au chaos qu'ils redoutaient. Par contre, effectivement, certains lutins ne savaient plus quoi faire. Habitués depuis toujours à faire ce qu'ils devaient faire, ils étaient, pour certains, incapable de savoir ce qu'ils pourraient vouloir faire. Mais ce n'était pas le cas de Bouluchon. Certains lutins continuaient de remplir des seaux qu'ils alignaient sur la rive. D'autres cherchaient à ramasser les morceaux de la roue pour tenter de la reconstruire.

Bouluchon, lui, décida de plonger dans le torrent pour la baignade dont il avait tant rêvé. Il se sentit en vie, emporté par un mouvement qui n'était toujours pas le sien mais qu'il avait, au moins, choisi de son plein gré de rejoindre. Emporté par le cours du torrent, Bouluchon arriva au bout d'un moment sur un rocher, où il trouva Mévidra en pleurs. Pendant une dizaine de minutes, il essaya de comprendre ce qu'elle disait, sanglotant à tout va sans être capable d'aligner trois mots qui faisaient sens. Bouluchon finit par comprendre que Mévidra avait abandonné son poste et qu'elle était désespérée d'avoir probablement causé l'arrêt de la roue et leur malheur à tous. Bouluchon regarda Mévidra en souriant tendrement. Il lui dit qu'il ne pensait pas qu'elle ait causé leur malheur. Mévrida avait libéré les lutins. Elle n'était pas une héroïne. Elle n'avait pas voulu arrêter la roue. Mais, malgré elle, elle les avait sauvés. Grâce à elle, ils pourraient créer une autre vie, tournant autour d'autre chose que de cette roue insensée (même s'ils ne savaient pas encore de quoi).

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