Devenus de jeunes adultes, les trois amis s'étaient entourés de nombreux membres dévoués. Peu à peu, ils avaient assuré ce dévouement par la peur. Carl, le meneur du groupe, s'était arrangé pour obtenir des informations compromettantes sur chacun d'eux. Ainsi, même ceux qui avaient autrefois rêvé de changer de voie se retrouvaient pris au piège. Pour les membres ainsi coincés, il était bien plus aisé de suivre un chemin sombre que de retrouver la voie de la rédemption.

L'armée des ombres ne cessait de croître, et par conséquent, il devenait de plus en plus complexe de gérer leurs affaires. C'est alors qu'une idée lumineuse germa dans l'esprit de Marc, l'un des membres les plus ingénieux du groupe. Le vieux manoir abandonné de la ville, un monument historique qui avait vu passer les générations à Libremont, fut acheté et transformé en leur quartier général. Ce bâtiment majestueux, jadis imprégné d'histoire, devint leur symbole, un repaire secret où ils pouvaient planifier leurs actions en toute discrétion.

Pendant les travaux de réaménagement, Carl se retrouvait souvent seul au sous-sol. Il avait entrepris de nettoyer l'espace pour en faire son bureau personnel. Cependant, plus les travaux avançaient, plus il se sentait étrange. La sensation persistante d'être observé ne le quittait plus. Étonnamment, au lieu d'être effrayé par cette idée, une étrange forme de réconfort naissait en lui. Une présence mystérieuse semblait flotter dans l'air épais du sous-sol, une entité silencieuse qui, d'une manière inexplicable, lui procurait une certaine tranquillité d'esprit.

Soudain, suite à un coup puissant qui souleva plusieurs lattes de bois, Carl mit fin à sa fureur destructrice. Il lâcha la masse qui tomba dans un tas de gravats et de débris de bois. Tremblant, il se mit à genoux et, les mains encore engourdies par l'effort, il sortit un vieux livre du sol. Poussiéreux et orné de symboles ésotériques, le livre semblait émaner une aura mystérieuse, laissant présager des secrets anciens qui avaient été cachés dans les profondeurs du manoir depuis des générations.

Suite à cette découverte, Carl resta reclus dans sa chambre pendant plusieurs jours, n'en sortant que de façon exceptionnelle, uniquement pour s'alimenter. À chaque apparition fugace, Marc et Robert le trouvaient de plus en plus étrange. Son regard, autrefois vif et déterminé, paraissait maintenant obscurci par une étrange lueur, comme s'il était obsédé par quelque chose d'invisible aux yeux des autres. Ses conversations étaient devenues évasives, ses réponses, énigmatiques, comme s'il avait accédé à un savoir mystérieux qui le rendait distant et préoccupé. Une tension grandissante planait dans l'air du manoir, tandis que l'énigme entourant Carl paraissait s'épaissir de jour en jour.

Lorsque enfin, il remit les pieds sur terre, Carl déclencha une série de changements drastiques. Tout commença par le nom de leur assemblée. Ils ne seraient plus simplement un groupe d'insoumis, mais les Rangs du Mal, une confrérie obscurcie par les ténèbres. Peu à peu, il prit les commandes seul, écartant Marc et Robert, et transforma leur organisation en une secte sinistre. À chaque événement, aussi anodin soit-il, correspondait désormais un rituel, chaque acte imprégné d'une symbolique obscure. Il ne quittait plus son livre, cet artefact mystérieux qui semblait avoir une emprise réelle sur lui, dictant son comportement, ses paroles et même ses choix les plus intimes. Carl avait été transformé, métamorphosé, et son influence s'étendait dorénavant comme une ombre sur chaque recoin du manoir.

#Le vol, le racket, la prostitution ainsi que le trafic de drogue remplissaient les caisses de la secte. Mais un soir, les choses allèrent trop loin. Alors que l'une des femmes sous l'emprise de la secte cherchait désespérément à retrouver son indépendance, Carl décida d'en faire un exemple pour tous. Au cours d'une des nombreuses cérémonies que le nouveau leader autoproclamé avait mises en place, il la sacrifia au nom de sa nouvelle déesse, Eloïne. Faisant preuve d'un extrême sang-froid, il la transperça de son poignard sous les yeux de tous, condamnant ainsi une vie à la brutalité d'un rituel impitoyable.

Ce fut ce moment-là, cette horrible cérémonie, qui marqua un tournant pour Robert. L'horreur de ce qu'il venait de voir le secoua jusqu'au plus profond de son être. L'homme qu'il avait autrefois considéré comme un ami avait sombré dans les abysses de l'inhumanité. Ne pouvant plus tolérer le mal perpétré au nom d'une sombre déesse, Robert s'éloigna petit à petit jusqu'à quitter la secte. La culpabilité et le chagrin le hantaient, mais il avait pris sa décision : il devait se libérer de ce cauchemar et mettre fin à son affiliation avec les Rangs du Mal.