C'est le premier soir
C’est le premier soir où je vous aperçois. Vous êtes vêtue d’une manière de longue robe blanche qui cerne votre corps de façon précise. On y devine une anatomie discrète proche de celle de la liane. De longues jambes en fuseau, une mince poitrine, des hanches pareilles à la courbe délicate d’une amphore. Vous êtes sans doute une Déesse venue du profond de la nuit, peut-être d’une grotte, d’un lac foisonnant d’algues, d’une demeure en forme de bouteille où flottent les voiles blanches d’une goélette. En tout cas vous n’êtes nullement ordinaire, votre démarche élégante, souplement balancée, trahit une personne de haute naissance. Quelqu’un vous connaît-il au moins ici ? Un Villageois a-t-il aperçu votre silhouette en plein jour ? Un pêcheur vous a-t-il hallucinée au travers des mailles de son filet ? Je sens bien que ces interrogations sont sans réponse, qu’elles tombent à vide, qu’elles sont inopportunes. Demande-t-on à un enfant de peindre la couleur de ses rêves, à une maîtresse de dire la couleur de sa passion, à un astronome de dessiner le poudroiement de la Voie Lactée ? Non, il vaudrait mieux que je tire des plans sur la comète, que je me projette dans l’imaginaire, que je trace les lettres d’un poème. Car vous êtes de ces singuliers personnages dont on ne peut ni décrire la forme, ni ébaucher l’esquisse. Tout s’efface, s’annule de soi dès que l’on tente de vous approcher.
Mais voici que la Lune est montée au ciel. Mais voici qu’elle répand une douce clarté sur les cordons de végétation du littoral, qu’elle lisse d’argent l’eau immobile de la lagune, traverse l’isthme de sable, se jette au plus loin sur la mer dans un miroitement d’étincelles. J’ai jeté au loin ma cigarette de manière à ce que la braise ne vous signale ma présence. L’heure est si ouverte aux belles sensations, elle se creuse en elle-même, elle porte les doux parfums de l’iode et du varech. Je suis à quelque distance de vous. Suffisamment près pour que tous vos gestes puissent s’inscrire dans mes yeux, suffisamment loin pour ne pas vous troubler. Vous marchez lentement et un sillage d’écume floconne vos pas. Vous êtes si légère, un genre de plume qui aurait trouvé le rythme de sa chute, à savoir un infini flottement qui, jamais, ne parviendrait à dire son être, un signe avant-coureur d’une manifestation, un mystère planant au plus haut de son prestige. Hormis nous deux, hormis le souffle d’une brume légère, seulement le bruit léger de la mer, son oscillation régulière, son murmure un peu voilé par la délicatesse de l’instant.
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