La boite de chocapic
Jeune pharmacien, j'avais peur de tout. Mes yeux inquiets scrutaient, ligne par ligne, les moindres détails des ordonnances. Rien n’échappait à ma vigilance affûtée, les posologies étaient scrupuleusement vérifiées, et les interactions analysées avec ferveur.
Au moindre doute, je sonnais l’alerte. Je bloquais la prescription, appelait le médecin. J’étais furieux lorsque l'on me disait que telle ou telle négligence n’était pas si grave que ça. Quand des somnifères étaient prescrits à la va-vite et à posologie de cheval, gobés comme de vulgaire bonbons alors qu’ils sont surnommés sur les bancs de la fac: « Les tueurs de vieux ».
« Édouard, détendez-vous, je vais vous raconter une histoire. Après l’avoir entendue, vous n’aurez plus jamais peur ». Disait mon vieux pharmacien titulaire.
J’étais jeune, comme vous. Je faisais attention à tout. Un jour, un patient est arrivé avec une de ces ordonnances énormes que l’on ne voit qu’une fois dans sa carrière. Il y avait pas moins de trois pages de médicaments. Des interactions dans tous les sens. Alors je m’applique. J’épluche chaque ligne, je lui explique comment les prendre et là, l’homme rigole, s’arrête et me dit :
« T’inquiète pas, j’me prends pas la tête. J’attrape une boite de chocapic, j’écrase les comprimés et je mets la poudre dedans, je mélange avec les sachets. Et j’en prends une cuillère tous les matins. »
J’étais sidéré. L’homme était en bonne santé. Une cuillère dans une boite de chocapic. Je vous jure que c’est vrai. Il n’est mort que bien plus tard, de vieillesse.
« Une boite de chocapic… Vraiment ? »
« Oui. S’il n’est pas mort de ça, aucun de vos patients ne mourront. »
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