Actif sur un groupe de pharmaciens sur les réseaux sociaux, j'y poste souvent des cas cliniques que j'ai rencontré pour partager mes retours d'expérience.

Il n'est pas rare que des confrères et consoeurs me contactent pour me demander conseil.

Un beau jour, une pharmacienne me contacte en me demandant ce que je pense du risque de syndrome sérotoninergique lorsque l'on prend un puissant antimigraineux de la famille des triptants: Le Relpax en même temps qu'un traitement antidépresseur: la fluoxétine.

Elle m'a précisé que c'était pour une patiente qui prenait du Relpax tous les jours tant les migraines étaient atroces et fréquentes.

Il n'est pas rare d'être migraineuse et dépressive cela va de pair: avoir une épée de damoclès au dessus de la tête qui peut s'enfoncer dans nos méninges à tout moment, il y a de quoi être plus que triste.

Les triptans sont très puissants et peuvent empêcher une crise migraineuse si ils sont pris dés le début de la crise, voire dés les signes annonciateurs. Gobés trop tard, ils ne servent à rien, la migraine continuera. Malheureusement, ils sont tellement forts que l'on ne peut en prendre qu'un, voire deux comprimés par jour avec deux heures minimum d'intervalle. Au cours de la semaine, on est théoriquement limité à quelques comprimés. Afin d'éviter tout accident, les boites que l'on délivre par mois sont assez petites: 12 comprimés.

Certaines patientes font plusieurs crises par jour, alors la surconsommation est fréquente, comment leur en vouloir?

La pharmacienne me donne plus de détails puis m'explique qu'en fait c'est pour une amie...

Je lui dis qu'effectivement, le risque de syndrome sérotoninergique est augmenté en cas de prise concomittante de triptans avec la Fluoxétine mais que ça reste un syndrome assez rare et dont l'issue n'est pas toujours fatale, qu'en plus on le voit venir et que donc ça n'est pas une punition immédiate et irrémédiable et que puisque les douleurs sont insupportables, il faut les soulager quitte à prendre le risque de prendre beaucoup de triptans.

C'est une réponse dangereuse, que beaucoup de pharmaciens condamneraient. Nous sommes beaucoup à estimer qu'il est préférable de se limiter dans l'usage des médicaments, afin de ne pas encourir de risques. La prévention du risque est parfois plus importante pour eux que le traitement du patient. Peut-être parce que notre responsabilité est directement engagée, que le patient se retournerait contre nous en cas d'accident: "Il m'a dit que je pouvais prendre tant de comprimés en plus, alors je l'ai fait, et maintenant je suis handicapé à vie! C'est de sa faute!"

Elle fini par m'avouer que ça n'est ni pour une amie, ni pour une patiente, mais que c'est pour elle.

"J'en prends tous les jours, sans traitement, les migraines sont tellement douloureuses... La dernière fois, j'ai dû en prendre deux dans la même journée mais j'ai refait une troisième crise que je ne pouvais pas traiter... J'avais si mal que j'ai pensé à me jeter par la fenêtre..."

"T'inquiète, j'avais bien compris que c'était pour toi... Tu as déjà eu des idées suicidaires?"

"J'ai déjà fait une TS, là ça va un peu mieux avec les antidépresseurs..."

C'était au beau milieu de la nuit, on a discuté pendant des heures de toutes les options; les traitements de fond à base de Propranolol, de Nocertone, le traitement de crise par des antalgiques et des anti-inflammatoires comme le Naproxène ou l'ibuprofène. Elle avait tout essayé, rien ne fonctionnait.

Le pire, c'est cette peur et cette culpabilité d'utiliser les triptans au delà des doses autorisées. Le syndrome sérotoninergique dont elle a tant entendu parlé la terrorisait.

"Tu prends des drogues récréatives? Champis, LSD, ecsta ou autres? Pas de jugement"

"Nooon jamais"

"Bon très bien, alors les risques sont faibles, on retrouve le syndrome sérotoninergique surtout les chez drogués" Quel soulagement.

Je lui ai demandé si elle avait consulté un médecin d'un centre spécialisé de la douleur, ce qui me paraissait la solution évidente. Mais comme la professionnele de santé est devenue une patiente, elle est soumise aux mêmes faiblesses: à un moment donné, au bout de tant et tant de consultations et de traitements inéfficaces, on se décourage et on arrête de lutter.

"Je t'avoue que j'ai un peu abandonné, je sais que c'est ce que je devrais faire. Mais finalement, prendre des boites de Relpax dans les tiroirs de la pharmacie et me traiter avec, c'est la moins pire des solutions"

"Il reste une solution à laquelle je pense et que tu n'as pas essayé..."

"Ma généraliste m'a un jour parlé de l'oxygène médical mais il ne peut pas m'en prescrire..."

"Oui, tu as une bonne médecin, n'en change pas. On utilise l'O2 pour les Algies Vasculaires de la Face (le boss final des pathologies migraineuses douloureuses) et c'est super efficace, mais des études concluentes montrent que ça fonctionne aussi sur les migraines classiques même si c'est hors AMM, à ta place je tenterais, tu n'as rien à perdre et l'oxygène n'est pas un traitement très dangereux"

"Oui mais mon mari fume alors il risque de tout faire exploser"

"T'inquiètes, ça n'arrivera pas si tu fais attention et puis dans ce cas, plus jamais douleurs, non?"

"Oui... ahah..."

***Cette femme est une consoeur, je l'aime car elle est comme une soeur avec pour mère commune la déesse Hygie et pour père Asclépios. Iels sont comme moi: nous avons fait les mêmes études, avons les mêmes peurs, les mêmes espoirs, la même culture. Je ne l'ai jamais vue mais je la connais comme moi je me connais. Nous avons vécu les mêmes choses, nous sommes pareils. On s'entre aide, c'est un devoir. Sinon qui nous aide?***