L'article de trop

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Il est imprudent d'enterrer ses souvenirs les plus douloureux sans avoir fait la paix avec eux. Car même si l'on pense les avoir tués avant qu'ils ne le fassent, ils sont immortels et guêtent nos actions par dessous nos pieds qu'ils attrapent brutalement lorsqu'un évenement du présent les invoque. Ils nous punissent alors de les avoir étouffés lachement sans les avoir regardés une dernière fois dans les yeux.

Remuer la terre dans ma tête pour les raconter me fait du mal, ou du bien, à vrai dire je ne ressens plus grand chose ces derniers temps. Si ce n'est la colère, la tristesse, la lassitude dans lesquelles je me vautrais autrefois non sans une forme de complaisance, car c'est prendre beaucoup de risques dans la vie que de devenir heureux tant on aurait enfin quelque chose de beau à perdre.

C'est un thème bien récurrent. La mort par suicide d'un ami, d'une connaissance, la menace suicidaire d'un proche, voilà quelques fantomes qui méritent que l'on accorde de l'importance, chose qu'à l'époque je n'avais pas fait car... C'est la vie... Mais j'ai l'impression qu'ils me hantent et qu'un jour, ils ont bien failli me posséder.

Dans ma vie, seules deux personnes ont tentées de me tuer et autant on peut se protéger des autres, autant s'échapper de soi-même, c'est un peu difficile car nul ne court assez vite.

Misère, que c'est dramatique alors qu'en réalité ça n'est rien car rien n'est grave dans la vie si ce n'est la mort qu'il ne faut pas craindre... Uniquement les quelques instants pénibles avant elle... Et à ce propos les voici:

Lorsque j'étais étudiant en dernière année de pharmacie, j'ai passé l'une des pires année de ma vie, ma copine m'avait quitté puis m'avait contacté pour me dire qu'elle était très heureuse avec quelqu'un d'autre. Mon stage se passait mal, sur fond de harcèlement et mauvaises conditions de travail, sans parler de la violence des patients. Mon futur métier me dégoutait avant même d'avoir commencé. En bref: un échec total sur toute la ligne et tous les aspects de ma vie. Tous! Sans exception. Je me rappelle la consultation en médecine du travail obligatoire pour continuer mon premièr vrai poste en tant qu'étudiant non thésé qui sera aussi catastrophique que le stage puisqu'on a décidé de me proposer de rester et malgré la douleur j'avais accepté faute de trouver mieux ou de penser que je pourrais trouver mieux. C'était une pharmacie dans une cité glauque, la bijouterie d'à coté avait fermé à force de se faire braquer, il y a toujours eu une part de masochisme en moi, ceci en est la preuve.

A cette consultation il fallait passer par un sas dans lequel il on devait se déshabiller afin d'arriver devant une médecin qui nous posais des questions auxquelles on répondait dans le froid et en caleçon. Elle ne m'a même pas ausculté donc j'ignore encore quel était l'intérêt d'être nu.

"Comment ça va au travail et de façon générale?"

"Pas très bien, ma copine m'a quitté, ça se passe mal au boulot, je déprime et je ne sors plus, je ne trouve plus de sens à ma vie ni à ma profession, j'ai des idées noires..."

"Ah... Je vois... Il faudrait sortir et faire des activités, moi par exemple, avec mon mari nous allons faire des randonnées et c'est super et puis...blablabla"

Heureux de savoir que cette médecin vivait sa meilleure vie... C'est une attitude saine que de réjouir du bonheur des autres... Je suppose?

Il était temps de trouver un sujet pour la thèse qui allait clôturer ces quelques années d'études qui ont été plus heureuses et intéressantes que l'entièreté de ma carrière à venir. En fait, c'était les plus belles années de ma vie et c'est dur d'en faire le deuil... Je suppose que ça a joué aussi.

C'est une sacrée source d'angoisse car de cette seule décision découle tout le reste. L'angoisse de la page blanche de l'écrivain, pire, l'angoisse du titre blanc. J'avais proposé plusieurs sujets à mon maitre de thèse qui les refusait tous, prétextant que je devais trouver un sujet qui m'intéressait vraiment alors qu'il voulait plutôt dire: "Trouvez un sujet qui M'intéresse MOI"

J'en avais trouvé un qui me bottait pour une fois: "Les levées d'inhibition sous antidépresseurs" une mécanique qui provoque des suicides sous traitement en somme. Pour voir si le thème était jouable j'avais fait des recherches préalables extensives et pour tout vous dire, je m'étais égaré jusque tard le soir sur internet avant de tomber sur un article dont la simple lecture m'a retourné le cerveau.

J'ai lu, ça m'a impregné... J'ai vu des images... J'ai été comme... Hypnotisé par une présence malfaisante et j'ai perdu toute volonté propre, tout libre arbitre, animé par un marionestiste. Ce qui était dans cet articles comportait un moyen de se suicider qui m'a obsédé. Je n'ai vu plus que ça, c'était vertigineux, des images qui tournent encore dans ma tête, des actions des mots des idées noires un tourbillon de mort. J'ai eu peur de moi, j'avais perdu le contrôle, mon corps avait la volonté de se donner la mort sans me demander mon avis, je me souviens m'être dit: "Je vais mourir, c'est ce soir"

Je me suis allongé dans le lit pour attendre que ça passe... Ca ne passait pas... La nuit, plein d'idées... Mauvaises, toutes... Pas de sommeil. Je me suis levé pour prendre un couteau et le poser contre mes veines... Non... J'ai ouvert mes placards remplis de médicaments que j'avais récupérés de patients décédés (j'avais horreur du gâchit), j'avais l'embarras du choix, j'en ai pris quelques uns puis j'ai changé d'avis... Je me suis dirigé vers le pc et j'ai cherché une ligne sos amitié juste pour pouvoir parler à quelqu'un mais je n'avais pas le courage de téléphoner, il y avait un chat en ligne mais il était fermé: trop tard.

Je me suis souvenu de mes parents et du fait que je ne pouvais pas leur faire ça. De ma mère triste. Il y a des histoires qui résonnent en nous n'est-ce pas?

Alors j'ai fait ce que je fais toujours, j'ai juste encaissé, je me suis mis en position foetale dans mon lit et j'ai attendu que ça passe. La présence sombre qui tentait de me posséder a fini par perdre patience et est partie torturer quelqu'un d'autre et ça s'est arrêté. Je n'ai jamais parlé de cette histoire mais j'ai su plus tard qu'elle portait un nom: La crise suicidaire.

C'est un évenement difficile à retranscrire tant c'est intense et vertigineux, c'est comme tomber dans un abîme en étant assaillit d'idées suicidaires, un véritable enfer. C'est vraiment une expérience à faire (ou pas) dans sa vie. J'ai mis du temps avant de reconnaitre que c'était une crise suicidaire, il a fallu que je lise sa description clinique pour reconnaitre tous les signes. C'est l'occasion d'apprendre un nouveau truc:

La crise suicidaire est l'étape ultime par laquelle passe le dépressif avant de se suicider, c'est une période hautement à risque qui dure entre quelques minutes et quelques heures. En fait, l'humain est ambivalent: dans une constante balance entre volonté de vivre ou de mourir. Lors de cette crise l'équilibre est rompu, il ne reste plus que des raisons de mourir et aucune pour vivre. La souffrance morale est telle que la seule solution pour stopper la douleur semble évidante au suicidant: se donner la mort.

Pourtant, s'il tient bon la crise calme car elle est limitée dans le temps. Le plus gros risque c'est d'avoir un moyen létal très rapide et redoutable sous la main comme une arme à feu.

On peut donc sauver une personne d'une crise suicidaire simplement en l'écoutant et en la soutenant le temps que cela passe. Ce genre de crise doit être prise très au sérieux.

Si cela peut aider certains à faire la paix avec le décès de proches, sachez que lors de cette crise, le patient est ôté de tout libre arbitre, il n'est plus lui même et n'a plus aucun contrôle. Il est comme possédé et précipité vers le suicide. Il ne part pas par "lacheté" pour "fuir" ou "abandonner ses proches" c'est juste la complication ultime d'un syndrome dépressif. Il faut leur pardonner.

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