Nos plaintes n'arrêtent pas la pluie
La fête de la musique à Strasbourg est une cacophonie que je traverse souvent malgré moi. Les bars et restaurants surrencherissent le niveau sonore déjà à la limite du supportable. Grace à leurs terribles enceintes pointées sur la foule, ils rameutent les passants terrorisés si bien que l'on subit tout au long de notre périple dans les rues de l'eurométropole un mélange infâme de musiques techno à mesure que l'on croise ces odieuses enseignes tous les dix mètres. Un concours de bruit pour avoir plus de clients? L'on se croirait en politique...
La foule dans laquelle il faut serpenter, les jeunes alcoolisés, le vacarme... C'est une experience stressante dont je me suis dépêtré, amer, regrettant ce manque de raffinement, pensant qu'ils méritaient tous une sanction pour leur sacrilège du quatrième art.
A peine éloigné de ce lieu de débauche, la punition divine se précise à mesure que les gouttes tombent du ciel et c'est bientôt un torrent qui se déverse sur les coupables et sur moi, comme pour me châtier d'avoir souhaité le malheur des autres.
Victime collatérale de ce bombardement celeste, je me suis rappelé d'une chanson que j'aime à propos des gouttes d'eau tombant sur ma tête. Rien ne sert d'être triste et de pleurer car on a jamais arrêté la pluie en se plaignant, par contre il semble que l'on puisse la faire commencer ainsi.
Sous les cordes froides j'ai finalement trouvé réfuge à l'abri des échaffaudages que je maudissait tous les jours depuis plusieurs semaines tant ils gênaient mon passage pour aller au travail. Trempé, j'étais maintenant sous la protection branlante de vieux ennemis.
Coincé et tremblotant à mesure que les gouttes glacées suintaient sur mon visage, j'avais tout le temps de la contemplation, un luxe. Chaque détail de cette situation était comme pour me rappeler que les choses que nous trouvons pénibles peuvent être des occasions de les apprécier lorsqu'on les regarde sous un autre angle... Que tout n'est qu'une question de perspective et d'état d'esprit. Un dernier évènement va venir mettre la goutte d'eau dans le verre du relativisme:
J'ai apperçu une jeune femme traverser le déluge à bord de son fauteuil roulant électrique, je ne l'ai pas reconnue tout de suite car elle marchait la dernière fois que je l'ai vue il y a quelques mois. C'est une de mes patientes atteinte de Sclérose en Plaques.
Elle était seule sous la pluie, naviguant entre les trottoirs trop hauts et les torrents des caniveaux. Elle a dû contourner les échafaudages puis forcer la barrière en métal lourde et inadaptée à l'entrée de son appartement. Personne n'a vu ce spectable à part moi. Elle ne s'est pas plainte, n'a demandé aucune aide. Elle est restée impassible sous la flotte, je l'ai trouvée belle et digne.
... Certains obstacles pénibles pour nous, sont insurmontables pour d'autres...
La sclérose en plaques est une maladie neurologique autoimmune qui touche les gaines entourant les nerfs. A mesure que la pathologie progresse, le patient experimente des difficultés à bouger et à marcher, elle perd la sensibilité des membres, remplacée par des fourmillements et des douleurs neuropathiques. A terme on se retrouve paralysé. Comme le nerf optique ne fait pas exception, le patient perd progressivement la vue.
Différentes formes de la maladie existent, certaines évoluent lentement et d'autres de façon fulgurante. Avec les progrès de la médecine, on peut ralentir certaines formes à coup d'immunothérapies mais cela reste une condition incurable.
... Remercie le destin de ressentir encore les gouttes de pluie sur ton visage et de marcher dans les flaques contre lesquelles tu pestes tant...
Annotations
Versions