Du pus dans les gencives

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Il y a des effets indésirables graves médicamenteux que l'on pense ne lire que dans les livres ou dans la liste à rallonge du Vidal sans même penser qu'on les rencontrera dans la vraie vie. C'est un peu comme lire une histoire de loup garou et de vampires: on a l'impression que ça pourrait exister mais on sait que l'on ne rencontrera jamais pareille créature. Ca n'empêche pas d'en avoir peur et de faire attention. C'est tout le sujet.

Le problème avec ce métier, c'est que l'on peut passer une carrière de 40 ans à pousser des boites, vendre de la poudre de perlinpinpin et fermer les yeux sur tout ce qui est potentiellement grave. Ces choses passent inapperçu puis prennent de l'ampleur jusqu'à devenir le problème de quelqu'un d'autre dont ça serait vraiment le métier (chapeau bas à nos urgentistes et nos toxicologues des centres antipoison).

Cependant nous avons un devoir peu appliqué en pratique (car chiant et fait de beaucoup de paperasse alors que nous manquons de temps): relever et signaler tout effet indésirable grave ou non grave, qu'il soit attendu ou complètement inattendu. Tout doit être signalé et c'est un centre de pharmacovigilance qui fera l'enquête et déterminera l'imputabilité du médicament. Ces statistiques sont remontées, surveillées et permettent de détecter un médicament dangereux qui a quand même passé le crible des études cliniques et précliniques ainsi que les tests sur les animaux. C'est rare mais ça arrive. Un médicament sur le marché est forcement sous surveillance, on dit même qu'il est toujours à l'étude (La phase 4: faite sur la population générale). Ca va réjouir certains complotistes.

On peut donc passer une carrière à ne rien voir comme beaucoup de collègues et ce doit être une existence bien paisible quoi qu'un peu ennuyeuse... Ou a tout voir. On me dit souvent que je suis tombé sur des trucs de dingue et que j'ai pas de chance. Je pense que des trucs de dingue arrivent tout le temps, c'est juste qu'on les occulte.

Une veille patiente habituelle de la pharmacie mentionne lors de longues discussions de plaintes de soucis de santé (propre aux personnes âgées) que sa dentiste a vu du pus sortir de ses gencives et que recemment elle a perdu des bouts de dents. Elle a constamment mal à la machoire mais les traitements du dentiste et les bains de bouche n'y font rien.

Je trouve cela étrange et une intuition me pousse à regarder son historique médicamenteux pour trouver un traitement que je connaissais encore peu à l'époque: Les injections de Prolia. C'est un traitement contre l'ostéoporose. Il y a une famille de médicament dans cette indication qui est connue pour provoquer un effet indésirable grave et pernicieux: l'ONM: Ostéo-Nécrose de la Machoire: Peu à peu la machoire du patient pourrit, les dents tombent et à terme on est obligé d'enlever chirurgicalement la machoire du patient qui est remplacé par une prothèse, c'est extrêmement handicappant et préjudiciable.

Cette evenement grave est pervers car il arrive très discrètement, il se déroule sur des mois avant de détruire toute la machoire. Dans nos livres il n'est pas décrit en détail et on a l'image d'une nécrose fulgurante, donc on ne se méfie pas. C'est un evenement qui est connu pour arrive surtout dans une famille bien précise de traitement contre l'ostéoporose: les Biphosphonates. Pour le Prolia, je l'ignorais alors j'ai regarder dans le vidal pour trouver qu'effectivement cela pouvait arriver aussi.

C'est une injection tous les 6 mois, bien plus pratique que les Biphosphonates toutes les semaines. La prochaine injection de cette patiente est prévue dans quelques jours, je lui dit de tout arrêter, d'annuler, de parler d'ostéonécrose à son Rhumatologue que j'ai tenté de joindre au téléphone sans réponse.

Je déclare le cas à notre centre régional de pharmacovigilance qui appelle la patiente, et ses médecins puis me contacte pour m'expliquer que c'est bien un cas d'ONM, que le traitement a été arrêté et que la patiente a un RDV en urgence avec un stomatologue pour traitement chirurgical.

La patiente ne perdra pas sa machoire et aura un long traitement et une longue surveillance dentaire.

Recemment j'ai eu un cas similaire pour le même médicament.

Déclarer les suspcions d'effets indésirables de médicaments est un devoir pour tout professionnel de santé. Y manquer expose à des peines de prison. Les patients peuvent aussi déclarer ces effets indésirables via internet ou appel du centre régional de pharmacovigilance.

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