C'est quatre!

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C'est toujours un peu dur de parler de ses erreurs. On se sent idiot, coupable et puis on a peur de perdre le respect et la considération des autres. Une consoeur m'avait toujours dit: "Un pharmacien a le droit de ne pas savoir mais il n'a pas le droit de se tromper"

Ce jour là, je me suis trompé. Une erreur conne même si je ne sais pas si c'est l'erreur qui est idiote ou la personne qui l'a commise. Parfois je me demande comment nous faisons pour en faire si peu. Sur cent ordonnance par jour, sur dix ans, combien j'en ai commise? Quatre ou cinq? Dont on s'est rendu compte j'entends... Celà représente quoi en terme de pourcentage? Un dixième de pourcent? Et mes collègues c'est pareil, peut-être même mieux... Dans les expériences on tolère cinq pourcent d'erreur, mais là comme il s'agit de donner des poisons à des humains, on ne tolère rien. Ou du moins on tolère jusqu'à ce que quelqu'un meurt. C'est une drôle de chose à expérimenter, quelq'un revient et vous vous êtes trompé de dosage ou pire: de molécule, souvent entre deux cousines de la même famille. Il y a un sentiment de honte, de culpabilité qui monte, vous avez envie de vous cacher, de courir, de nier, de rejeter la faute... En bref n'importe quelle solution de facilité pour échapper à:

"Je me suis trompé, je suis désolé, je vous donne la bonne cette fois-ci. Ca ne se reproduira plus."

La plupart des patients le prennent bien, ils sont... Patients. C'est injuste parce que parfois j'ai l'impression que ça tombe sur les plus sympathiques... Non, c'est un biais. Les pas sympa nous crient dessus et nous insultent, quelque part ça nous déculpabilise car de toute façon c'étaient des connards... Non pas vraiment, ça reste une erreur avec des médicaments, c'est impardonnable.

Voyez comme je tergiverse pour ne pas en parler, je fais des manières, quelle lâcheté. Lançons nous donc:

C'était dans une pharmacie de cité à Viry-Chatillon, j'ai rarement été aussi stressé de ma vie que lorsque j'y ai travaillé. La patientèle horrible, le cadre infamme des barres de HLM, les délinquants et petits dealers. Les patrons antipathiques et leurs remarques humiliantes. Seuls les collègues rattrapaient le coup, il y avait aussi quelques patients adorables. Pas quelques... La majorité en fait.

Un couple de la cinquantaine passée venaient chercher leurs traitements, ils étaient collés l'un à l'autre, s'embrassaient et se faisaient des papouilles, c'était comme un amour d'adolescents mais grisonnants. J'ai rarement vu ça, mais c'était mignon. Tous deux rond et bedonnants, mais ils avaient le sourire. Dans cette cité les gens n'ont rien. Mais eux... Ils n'avaient qu'eux et c'était déjà bien.

L'homme il avait toutes sortes de pathologies somatiques, en gros le corps était malade.

La femme, c'était la tête.

Elle avait, entre autres, des anxiolytiques en grandes quantités, des somnifères et des antidépresseurs: la sertraline. Pendant longtemps, elle a eu le dosage en 25 milligrammes qui est un dosage d'initiation donc conditionné en boites de 7 comprimés. Cela obligé à donner quatre boites par mois. Mais ce jour là, son médecin a décidé d'augmenter le dosage. Sa prescription était donc:

- Sertraline 50 mg: 1 comprimé par jour

... Et tout un tas d'autres choses ...

Les boites à ce dosage sont de 28 comprimés cette fois-ci, mais j'ai oublié... Alors je lui ai donné quatre boites de Sertraline 50 milligrammes de vingt-huit comprimés. En les posant sur le comptoir, je me souviens lui avoir dit: "C'est 4 hein?" ce à quoi elle a répondu "Oui".

J'ai appris plus tard qu'elle avait pris quatre comprimés par jour au lieu d'un seul. Sûrement parce que je l'ai induite en erreur en lui donnant quatre boites et en lui disant: "C'est quatre".

D'aucuns diraient que c'est de sa faute, elle n'avait qu'à lire la prescription, car quand on l'a passé en revue, je lui avais ensuite précisé qu'elle prennait maintenant du cinquante milligrammes à un comprimé par jour. Mais cette dame est malade, insomniaque, angoissée, dépressive, fatiguée et un peu à l'ouest à cause de ses traitements. Je le savais, et je suis responsable. L'erreur des quatre boites est la cause, elle aurait même pu se suicider avec, on ne donne jamais trop, en partie pour ces raisons.

Je n'étais pas là lorsque son prescripteur l'a appris et a appelé la pharmacie furieux en nous insultant, c'est mon patron qui a pris l'appel. Le médecin lui a suggérer la chose suivante:

"Il faut le virer!"

C'est ce que m'a rapporté le titulaire lorsqu'il m'a rapporté les faits. Ce à quoi j'ai répondu:

"Je suis désolé... Je comprendrais..."

"Non non Edouard, je lui ai simplement dit: il sera mis à pied, mais on ne le fera pas"

Lorsque le couple est revenu, ils se sont excusés: "On était là lors de la consultation lorsqu'il vous a appelé et vous a crié dessus, on est désolés, on ne pensait pas que ça prendrait de telles proportions, la façon dont il vous a parlés, on est très gênés, on ne sait pas où se mettre"

Moi: "Vous n'avez pas à être désolé, c'est moi quoi le suis, en vous donnant quatre boites je vous ai induit en erreur et vous avez pris la mauvaise quantité, j'ai appris que vous vous êtes sentie très mal lors de la prise, j'espère que ça va mieux?"

"Oui, oui"

Forcement, prendre quatre fois la dose en plus du cumul des autres molécules, elle n'était pas bien du tout surtout qu'elle a continué la prise pendant plusieurs jours puis a été prise de malaises, elle a fini par consulter son généraliste en urgence, sa colère était justifiée. Eux s'excusent de mon erreur et de sa réaction, ils étaient vraiment trop bons pour moi.

Lorsqu'ils sont partis, je me suis empressé de rechercher la dose toxique de sertraline, juste pour vérifier que je n'avais pas mis sa vie en danger: Sertraline: Dose toxique: Adulte: 400 - 2 000 mg: Symptômatologie bénigne. Pas d'anomalies de l'ECG jusqu'à 2g

Signes cliniques:

  • Nausées, vomissements
  • Somnolence, agitation, confusion, tremblements

Si cétait arrivé avec un antidépresseur tryciclique, elle serait peut-être morte... L'important dans les erreurs c'est de rebondir de toute façon une fois qu'elles sont commises, on ne peut plus les enlever, d'ailleurs elles nous suivent toute notre vie, telles des casseroles que l'on traine et qui font beaucoup de bruit (je comprends mieux l'expression) et puis d'en apprendre, de ne plus les commètre et d'être plus vigilant.

Le truc, c'est que sur le même principe que les pilotes de ligne. Un pharmacien ne peut pas commètre toutes les erreurs pour en apprendre, sinon il tue tous ses patients et se retrouve en prison.

Et dire que j'ai failli séparer ce couple mignon... Ca me rends triste.

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