S2
— Par où commencer ?
— Dans tout ça, l’image de Sam m’obsède. Quand j’avais débarqué, en sixième, perdu dans ce Sud où on parlait bizarrement, il avait remarqué immédiatement que nous habitions la même cité, qui venait d’être construite. C’était agréable, pas comme maintenant ! L’autre jour, on y était pour un appartement en feu. On a descendu la famille par la grande échelle, sous les applaudissements. Un mois avant, pour une voiture en feu, on s’était fait caillasser. À cette époque…
— Donc Samuel ! Il avait repéré que nous habitions à deux pas l’un de l’autre. C’est une caractéristique de sa personnalité, distant, mais observateur de tout. Le deuxième jour, il avait proposé que nous fassions le chemin ensemble. Immédiatement, avec lui, ça a été simple, évident. J’ai découvert un garçon plein de douceur, sensible. Il ne parlait que très rarement de lui, écoutait avec attention. Il connaissait chacun et chacune, presque intimement. Durant nos trajets, j’en ai énormément appris sur nos camarades, la vie de la cité. Il savait installer une confiance dans laquelle on se découvrait, sans jugement, juste de l’empathie qui vous poussait à poursuivre. Sans le savoir, il m’a énormément aidé. Pouvoir parler de ce que je vivais à la maison me déchargeait de mes malaises. Je ne m’en rends compte qu’en en parlant maintenant, mais il était l’ami parfait.
— Antoine, c’était le contraire, enfin pas vraiment. Un garçon extraverti qui attirait la sympathie. On avait envie d’avoir un de ses sourires. Il était très courtisé, un peu malgré lui. Son charme attirait, mais lui ne demandait rien et il n’en jouait pas. Ils étaient amis depuis longtemps, malgré leur caractère si différent. Antoine était démonstratif, Samuel réservé dans ses gestes et expressions.
— Ça ne va pas ! Je raconte ça vu de maintenant, en analysant, alors qu’à l’époque, je le vivais, je le ressentais, sans avoir besoin de mettre des mots. Pouvoir parler librement avec Sam et avoir les effusions d’Antoine, je me sentais exister. C’était incroyable, car c’était la première fois que j’avais cette impression. Car avant…
— Depuis toujours, je m’étais senti différent et sans intérêt. Chacun de mes camarades avait une qualité que je lui enviais : un sourire, un physique plaisant, une assurance, un rire franc, l’intelligence, de l’espièglerie… Tout ce qui fait le charme d’un enfant ! J’espérais devenir leur ami, sans l’oser, afin que j’apprenne et m’approprie cette caractéristique divine. J’avais un profond mépris, une méchanceté parfois, envers ceux et celles qui n’avaient rien à proposer. Je me haïssais à travers eux.
— Antoine et Samuel étaient très proches. Aujourd’hui, je dirais qu’Antoine avait besoin de la profondeur et de l’affection sans limite de Samuel et que Samuel trouvait dans les gestes amicaux d’Antoine ce qui lui manquait. Mais je crois que je projette mon propre vécu.
— Normalement, jamais je n’aurais approché un garçon comme Antoine, tellement brillant et heureux de tout. Jamais ! Malgré l’envie irrépressible de lui ressembler, de partager avec lui. Un tel être ne pouvait pas s’intéresser à une personne comme moi, quelconque, sans attrait, sans culture, sans humour. Samuel m’avait adopté et je me suis retrouvé dans la sphère d’Antoine. Sans doute curieux du nouveau camarade de son ami, lui faisant confiance, il m’a accepté. Et adopté à son tour. Je me souviens parfaitement du matin, quelque temps après la rentrée, quand il m’a accueilli avec son sourire, dans lequel j’ai vu, ou voulu voir, de la tendresse. Pour la première fois de ma vie, quelqu’un me portait de l’intérêt avec bienveillance. J’ai craqué ce jour-là, me promettant de me dévouer corps et âme à lui.
Annotations
Versions