S3

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— Avant de parler de cette année merveilleuse et tragique, il faut que je revienne sur Samuel et Antoine. Ils ont été mes vrais frères, ma vraie famille. Ma vie se passait avec eux, au collège, puis au lycée. Pendant les vacances, Antoine, d’un milieu plus aisé, partait souvent. Avec Samuel, nous faisions des balades, en refaisant le monde, au moins le nôtre, ou en ne parlant pas, juste le plaisir d’être ensemble.

— Un petit incident me revient. Ce n’est pas le bon mot, car, encore maintenant, c’est un souvenir positif. Disons un événement particulier. En seconde, Gaspard est arrivé. Il avait deux ans de plus que nous, le permis et une voiture. Très impressionnant. Antoine l’a mis dans sa poche, avec sa faconde. Résultat, l’été suivant, nous sommes partis à quatre, explorer la France. Je ne me souviens plus d’un seul nom des endroits où nous sommes allés ! C’était de la campagne, ou de la petite montagne. On visitait, entre potes. Je ne me souviens plus qui avait organisé, moi, je suivais, à mon habitude. C’était l’avant-dernière nuit. Il faisait un temps orageux, nous avions un peu picolé, histoire d’être bien. Je partageais la tente avec Sam. Je ne sais plus comment ça a commencé, mais nous nous sommes donné du plaisir, gentiment, naturellement, sans plus. C’était bien. Avant de s’endormir, il m’a dit merci. Je n’ai pas compris pourquoi et je n’ai pas su quoi lui répondre.

— C’était ma première fois. Et c’était avec celui que je considérais comme mon frère, mon ami. Je n’ai pas du tout pensé que c’était un mec. C’était juste très fort et très bon. Aujourd’hui, je ne dirai pas ça, même si je garde un souvenir ému de ce moment, qui m’a marqué profondément. Ce qui m’avait étonné, c’était la promiscuité, l’échange. Il y avait eu plus que de la jouissance, une attention particulière, ou je ne sais quoi. Le ressentir m’avait fait tout drôle, car, pour moi, c’est dangereux de montrer ses sentiments. Alors que là, nous étions ensemble ! Le lendemain, avant de sortir, il m’a demandé pardon. J’avais aimé ce saisissement. Il ne m’avait pas fait de mal. Au contraire ! Je n’ai pas osé lui demander pourquoi, car cela aurait renforcé cette drôle de sensation. C’est dur de mettre des mots dessus maintenant. Alors à l’époque…

— La dernière nuit, il ne s’est rien passé. Je le regrette encore. J’avais tellement aimé ce partage, cette fusion. C’était ma première fois, je veux dire sexuellement, même s’il ne s’est pas passé grand-chose. Nous n’en avons jamais parlé. J’aurais aimé que nous en parlions, mais, en même temps, j’aurais eu très peur. C’était mieux de juste conserver le souvenir.

— Ni lui, ni moi n’avons eu une avance, un geste, pour nous retrouver ainsi. C’est peut-être mieux.

— Il y a cinq ans, quand je suis revenu pour les obsèques de maman, il était là. Je l’ai aperçu de loin. Il n’est pas venu me serrer la main. Il y avait une dizaine de personnes, à peine, pour les condoléances. Il aurait pu… Moi, je ne pouvais pas aller vers lui. Et après, il avait disparu. Nous aurions pu renouer, mais peut-être ne le voulait-il pas.

— Est-ce que moi, j’ai eu envie de renouer avec lui ? Je ne sais pas. La situation était compliquée. Steven, le fils du mec de ma mère (je n’arrive pas à lui mettre le mot frère, même demi !) avait commencé à m’accuser de vouloir lui voler l’héritage, alors qu’il n’y avait pas grand-chose. Je n’avais pas la tête à ça, à faire attention à une ombre. Non. Franchement, je n’étais pas prêt. Toute cette histoire était effacée et c’était mieux. Pas l’histoire avec Sam, l’autre… J’ai… j’ai même eu peur qu’en s’approchant, il réveille le passé.

— En repartant, j’ai pensé à lui, à ce que nous avions vécu. Je me suis demandé s’il était gay. Je ne m’étais jamais posé la question, même après ces vacances. Je m’en fiche. Je regrette quand même de ne pas avoir renoué avec lui. C’est une belle personne. Mais c’est trop lié, j’ai tout jeté. C’est mieux comme ça. En plus, c’est lui qui m’a annoncé la nouvelle. Quand il a vu ma tête, il a compris que je ne savais pas, il a voulu me prendre dans ses bras, pour me consoler. J’ai été odieux, j’ai crié et je suis parti, trop dur. Normal qu’il m’en ait voulu. C’est notre dernier contact.

— Voilà. C’est un ratage. Comme toutes mes relations dès qu’elles deviennent trop fortes. Ne jamais dire, ne jamais montrer. Vous savez, une fois, j’ai repensé à lui. Je venais de rentrer en métropole, affecté en Normandie. Quand on a été appelé, nous savions que l’endroit avait une réputation de lieu de rendez-vous homo. Le jeune homme était par terre, salement amoché. J’étais encore gendarme, à cette époque. Il ne pouvait plus bouger. Je me suis accroupi auprès de lui. Il y avait la même douceur et la même gentillesse dans ses yeux que dans ceux de Samuel. Il murmurait sans arrêt des pourquoi. J’ai pensé à mon ami.

— Vous avez entendu, j’ai utilisé ce mot. Ça veut dire quoi ?

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