S5
— Je peux en parler facilement, ce n’est pas refoulé. Mais je n’en ai jamais parlé, parce que tout le monde s’en fout. Avec Marion, c’est parce que…
— Non, ce n’est pas une esquive ! C’est pour donner le contexte… Bref, en début de première, elle est arrivée. Ils devaient être une demi-douzaine de nouveaux, comme chaque année, mais son apparition dans la cour a fait espérer à chaque garçon qu’elle allait être dans sa classe. Elle était jolie, mais surtout elle dégageait une grâce, non plutôt une forte aura sexuelle, contrastant avec ses vêtements et ses gestes, très classiques et très sages. Cette disjonction participait sans doute à son attrait. J’ai du mal à en rendre compte, mais tous les regards étaient tournés vers elle. Y compris les miens ! Elle s’adressa à un groupe et se dirigea vers nous. Elle nous demanda si nous étions bien la 1ère S2, puis nous dit simplement bonjour. Elle est restée près de nous et nous sommes rentrés ensemble. Cela a débuté aussi simplement. J’ai tout de suite remarqué ses yeux. D’abord, elle portait d’immenses lunettes rondes qui soulignaient leur écarquillement. Ce qui était troublant était que j’y lisais tantôt de l’émerveillement, tantôt de la frayeur. C’est la première image que j’ai d’elle et elle m’est restée. Elle semblait double.
— Un peu forcés, mais trop heureux, nous l’avons accueilli. Sam débordait d’attentions envers elle, avec sa gentillesse naturelle, Antoine l’admirait et la protégeait. Et moi, je me sentais attiré, car je lui devinais des points communs avec moi, sans percevoir lesquels. J’avais l’impression de la connaître depuis toujours. Voilà, c’est tout. Elle s’est installée parmi nous. Elle était très différente de ce qu’elle semblait être. Si elle avait le contact facile, elle était en fait très réservée. Le premier mois, les garçons les plus hardis vinrent tous, sous tous les prétextes. Elle les a écartés. C’était curieux, c’est comme si elle nous avait choisis comme gardes du corps !
— Moi ? Ce que je ressentais ? Mais rien ! Enfin, je ne sais pas. Je n’ai pas les mots. Sauf que, le matin, quand elle arrivait, j’étais rassuré. Non, ce n’est pas cette impression. J’étais rempli. Je me sentais bien. C’était à côté de moi qu’elle s’asseyait. Sam lui avait laissé la place. Il s’était mis à côté d’Antoine et on formait un bloc. C’était facile. Antoine était un gentil dragueur. Il était un des premiers à avoir eu des petites copines.
— Jamais je n’aurais osé aborder une fille pour lui demander d’être ma petite amie, j’avais trop peur d’un refus, tellement probable ! Antoine m’avait poussé plusieurs fois, me susurrant qu’une telle ou une telle me regardait gentiment. Si elles me l’avaient demandé, j’aurais dit oui, mais je ne pouvais pas faire le premier pas.
— Avec Aurélie, c’était différent.
— Ah, c’est la première fois que je dis son nom ? Bon. Je n’ai pas de problème avec son nom…
— Oui, avec elle, c’était facile, car elle n’était pas notre petite amie, juste la quatrième. On faisait juste un peu attention à nos vannes. Antoine était plein de tacts, n’osant pas avancer, comme intimidé. Samuel était celui qui lui montrait le plus d’affection, mais avec retenue. Je dirais plutôt le plus de gentillesse. Moi, je me sentais bien près d’elle, évitant de le montrer, ayant peur, en le lui exprimant, qu’elle se recule.
— Elle paraissait être bien parmi nous, sans en demander plus. Elle ne nous faisait aucune avance. C’était juste comme si elle avait été une copine. Une bonne copine. Pourtant, tous les quatre, nous savions qu’il y avait autre chose. J’en suis sûr.
— C’est apparu petit à petit. C’est curieux. Ce n’était pas une relation à quatre, c’était nous trois, et elle avec chacun de nous.
— On n’a jamais parlé de notre relation. D’abord, il n’y avait pas de mots. C’était un ressenti. Et puis… il y avait autre chose. Ça aussi, on le savait.
— C’est flou, tout ce que je raconte, non ? Que des impressions. Pourtant, je vous jure que c’était fort.
— C’est bizarre, c’est la première fois que j’en parle.
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