S8

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— Je ne voulais pas continuer, mais à force d’en parler, j’ai voulu savoir, pour être sûr de bien enterrer. J’ai mis un message à Antoine. Cela fait deux mois que nous nous sommes croisés par hasard. Il a répondu dans les cinq minutes, me disant qu’il l’attendait, car lui n’avait pas eu le courage de me joindre.

— C’est stupide, surtout avec mon métier, mais j’ai peur. Alors, je suis revenu, pour me préparer.

— Antoine, ce n’est pas n’importe qui. Il a été mon ami et, je dois le reconnaître, mon modèle. J’ai toujours envié sa facilité dans les relations, sa jovialité. Il était à l’aise avec tout le monde. Il habitait dans le quartier des aviateurs, un quartier chic et neuf. Son père était ingénieur, un cadre de l’usine. Tout l’opposé de Sam et de moi. Pourtant, je n’ai jamais senti de différence. En plus, il était beau gosse et bien foutu. Sa famille était sympa, son père, sa mère, ses deux petites sœurs, et c’est chez lui que nous faisions les boums.

— Ce que je n’aimais pas chez lui, c’est son côté tactile. Il vous touchait le bras, la main, vous entourait les épaules, ou achevait sa blague d’une bourrade. Ce que je détestais le plus, c’était, quand nous venions de marquer un point, son geste d’ébouriffement de mes cheveux. J’étais sa mascotte, me disait-il en tant que capitaine de l’équipe de hand. Je détestais, mais j’attendais son geste.

— Je détestais, car j’ignorais ce qu’ils voulaient dire et comment y répondre. Je savais qu’il n’y avait que de l’affection dedans, mais c’était bizarre. Ce n’est qu’après, avec Marion, que j’ai découvert le contact physique. Avec Aurélie, il y en avait eu très peu. Elle avait essayé, mais trop troublé, cela m’avait statufié. Littéralement ! Je devenais de la pierre, incapable de bouger mon corps et de sentir quoi que ce soit. Ce sont les enfants qui m’ont appris, avec leurs demandes de câlins, de jeux. Quand j’étais petit, il n’y avait rien de cela.

— J’étais un tout petit peu meilleur qu’Antoine en classe. C’était un challenge permanent qui nous amusait, et qui m’a stimulé, car sinon, personne ne m’aurait poussé.

— Avec Samuel, c’était différent. Je pense que nous avions des points communs. Mais, vous savez, entre garçons, on ne parle pas de soi ! Par exemple, il a fallu attendre trois ans pour que Samuel m’invite chez lui. Je m’en souviens très bien. Encore une fois, comme toujours avec lui, c’était une grande marque de confiance. Il m’a demandé si je voulais bien. J’ai dit oui, pensant qu’après, je serais obligé de l’inviter à mon tour. Ce qui me gênait profondément, car s’il voyait ma chambre, ou plutôt le minuscule espace qui m’était alloué, il comprendrait tout ! J’avais réussi à éviter toutes les questions, à dissimuler ma situation. C’était tellement nul…

— Mais, c’est là où je dis que Samuel était un ami et qu’il m’a fait confiance. L’appartement était comme le nôtre, mais inversé dans la distribution des pièces. Ce qui étonnait, quand on entrait, c’était le désordre et la saleté. Un vrai taudis. Il se taisait, se faufilait en me disant de le suivre. Sa chambre était fermée à clé. Elle était impeccable, bien rangée, propre. Nous sommes restés à parler sur le lit, sauf de l’appartement, puis nous sommes ressortis. Il avait voulu me montrer. Je ne savais pas quoi lui dire, s’il attendait une réaction. C’était un terrible secret ! Je lui ai juste dit que je l’inviterai à mon tour.

— Le problème était que Thierry ne travaillait pas à cette époque. Thierry, c’était le mec de ma mère, le père de mes demi-frères. J’ai attendu un mois, car il fallait aussi que Fred ne soit pas là. Je lui ai montré mes livres, rangés au-dessus de mon lit. Nous ne sommes pas restés. C’était comme ça, avec Samuel, des trucs forts, sans paroles. Je crois que nous nous faisions un peu peur. Une envie d’être très amis, mais la crainte de quelque chose, ou un empêchement. Nous étions quand même souvent tous les deux, quand Antoine ne nous tirait pas vers les autres. Être avec lui me rassurait.

— C’est la première chose que je vais demander à Antoine, s’il a des nouvelles de Samuel. J’ai cherché son nom, mais je n’ai rien trouvé.

— Je ne crois pas que ce soit une bonne idée de revoir Antoine et de remuer tout ça.

— En fait, j’ai tout enfoui et j’ai fui. J’ignore tout de ce qui s’est passé. Avec Aurélie, notre relation était profonde, même si elle n’avait rien de physique. La boum, mon départ, puis l’annonce de sa mort, bien après. Je n’ai rien voulu savoir. La question est de savoir si, maintenant, je veux savoir. Qu’est-ce que cela va m’apporter ? Tout ça est de ma faute. Je suis sûr qu’elle savait que j’allais partir. Elle m’a jeté, c’est normal. Antoine n’a eu aucun mal à la conquérir. Je crois qu’il n’osait pas à cause de moi. Mais pourquoi s’est-elle tuée six mois plus tard ? Si j’avais repris contact… Antoine, je ne voulais pas le perdre non plus. J’aurais pu… Je n’avais personne à qui parler. Mon Dieu, si vous saviez comme c’est dur d’être seul.

— Tout était par terre. La petite vie que j’avais construite avec eux n’existait plus. Seule Aurélie m’apportait un peu de calme et de bonheur. Je n’ai pas su le lui dire. Je suis le seul responsable. C’est comme avec Lafleur, j’ai vu le malheur arrivé et je n’ai pas bougé. Je sais que depuis, j’ai choisi ce métier pour me rattraper, mais ça ne sert à rien.

— J’ai peur de rencontrer Antoine.

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