S14
— J’ai ressassé cette histoire. Je suis persuadé qu’il faut aller au bout, affronter le monstre, quitte à être tué, plutôt que vivre recroquevillé par sa crainte, car c’est aussi ne plus vivre. J’ai compris, en parlant ici, que partager ses souvenirs, c’est en même temps les alléger. Ma famille ne craint rien. Il ne s’agit que de nous trois, Samuel, Antoine et moi. Quand je nous vois, il est évident qu’il faut que nous terminions cette histoire.
— Ce sont les arguments que j’ai exposés et développés devant Antoine. Plusieurs fois, et sans le souler cette fois ! Il refuse de poursuivre, mais il accepte chacun de mes rendez-vous. Marion dit qu’il veut, lui aussi, en finir, mais qu’il n’a pas le courage, ou la force, de le faire. J’ai mis plusieurs semaines pour qu’il me donne l’adresse de Samuel. Par approches successives. Il n’a pas son téléphone. De toute façon, la meilleure solution est le face-à-face.
— J’ai repris mes pratiques de gendarme. Je fais des planques, pour savoir le maximum de choses sur lui. Je sais que je n’ai droit qu’à une fois. Je veux l’aborder, lui dire deux mots. Il faut qu’il craque immédiatement, qu’il accepte de continuer à me parler. Je n’aurais pas de seconde chance.
— Marion m’a aidé, en me soutenant et en réfléchissant avec moi sur la stratégie et la tactique d’approche. Samuel vit seul, un studio en bas d’une tour, avec les volets fermés. Il travaille par intermittence, comme magasinier dans un entrepôt, avec des horaires de nuit. Il vit dans le noir, dans l’obscurité. Le plus dur est qu’il a l’air d’être vieux.
— Je suis prêt à y aller, mais je n’y arrive pas. C’est comme la première fois que vous plongez. Vous savez que ça va bien se passer, mais se lancer dans le vide et faire confiance, c’est difficile. Je vous ai dit, j’ai pris un métier où tout doit être sous contrôle, en permanence. Ce n’est pas un hasard.
— En fait, j’ai peur de reprendre contact avec lui. Nous étions très proches, puisque nous avions même…
— Mais, en même temps, nous étions très distants. Nous n’avons jamais parlé de nous, de nous deux, je veux dire. Parce que nous étions trop jeunes ? Parce que nous étions deux garçons ? Par pudeur ? On ne met pas de mots sur une telle relation.
— Pourtant, je crois que sans lui, ma vie aurait été différente. Il m’a tellement apporté, directement ou indirectement. Cela aurait pu continuer. C’est vraiment dommage. Je n’ai pas été à la hauteur, je n’ai pas été un vrai ami.
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