S15

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— Encore une fois, je me suis trompé. Entre ce qu’on perçoit, ou veut percevoir, et la réalité, c’est tellement différent ! Je croyais avoir été discret. En fait, je n’ai jamais vraiment fait un travail d’enquêteur quand j’étais dans la gendarmerie.

— Je l’observais et il est venu simplement vers moi, me disant qu’il m’avait repéré, sans comprendre pourquoi je ne lui adressais pas la parole. Il m’a invité chez lui. C’était simple, mais propre et ordonné. En tant que célibataire, il n’avait droit qu’à un studio. Tous les studios sont en rez-de-chaussée. Avec la qualité des fermetures, il est obligé de maintenir les volets fermés. Cela fait des années qu’il cherche une autre solution. Il parlait toujours avec la même lenteur, cherchant le mot juste, l’idée précise. C’était assez troublant. Comme avec Antoine, nous nous retrouvions de plain-pied. Pourtant, nous savions que son abondance d’explications sur un sujet sans intérêt masquait notre difficulté et notre timidité dans ces retrouvailles. Le même besoin de continuité, de reprise, le même trou dans le temps.

— Nous nous sommes assis. Il s’est tu, laissant les cris des enfants à l’extérieur nous envahir. Il m’a fixé. Alors je lui ai raconté ma vie.

— Lui, il savait que je devais partir. Il avait suivi mes disputes et ma défaite. Je ne me souvenais pas en avoir parlé à quelqu’un d’autre, même pas à Antoine. J’avais déjà le projet de disparaître, de tout fuir, puisque je perdais Aurélie.

— Je lui dis que ma volonté initiale avait été de lui faire mes adieux à cette soirée, puis le fiasco complet, ma soulerie définitive.

— C’est lui et un autre camarade qui m’ont ramené à la maison. Je n’étais assez pas beau à voir !

— Il n’a pas compris pourquoi je n’étais pas repassé pendant les vacances, pourquoi j’avais disparu. Il en avait été malheureux. Surtout pour moi.

— Je ne sais plus ce qui s’est passé cet été-là. Le trou noir. Je ne me revois qu’à l’internat, dans l’enfoncement qui a suivi mon exil. Puis l’annonce à Noël de la liaison entre Aurélie et Antoine. Le revoir, lui, cela m’aurait obligé à renouer. La page était tournée. J’étais revenu, faute d’un autre point de chute, mais je n’étais plus présent, déjà ailleurs, loin.

— Quand il m’avait appris le drame, je n’étais plus là. Je lui ai tourné le dos, déjà parti, indifférent pour ne pas m’effondrer, m’étaler à terre.

— Je lui ai dit ma fuite, ma perte, ma reconstruction, Marion, ma salvatrice, mes deux garçons. Je me suis rendu compte alors que ma famille formait une île de granite, perdue dans un océan battu par les vents, mon havre, ma seule raison de vivre.

— Quand j’ai relevé mes yeux dans les siens, j’y ai lu la même chose que dans ceux de Marion. Je ne sais pas quoi faire avec ça. Cela m’effraie, car c’est trop douloureux. J’ai eu une impulsion, celle de me jeter dans ses bras, dans cet accueil, de m’oublier. Je me suis retenu, car je nous imaginais perdus dans des gestes inconnus et maladroits dont nous ne saurions nous défaire sans ridicule, perdus dans un sentiment ingérable.

— Il était tard. Marion devait prendre son service et j’avais plus de cent kilomètres à faire. Je suis parti très rapidement. En mettant le contact, je me suis aperçu que, à nouveau, j’avais parlé, je m’étais ouvert, alors que Samuel était resté silencieux. Je n’avais rien appris, je ne savais toujours rien de lui, du drame. Mais j’avais retrouvé une amitié, chaleureuse, bienveillante, sans parvenir à l’accepter complètement.

— Pendant la route, je me suis rendu compte du décalage entre ce que m’avait dit Antoine et la réalité. Pourquoi ? Qui mentait ?

— Décidément, c’est compliqué…

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