— Nous n’avions rien prévu avec Samuel. Vous imaginez ma surprise quand il débarqua un dimanche matin ! C’est Marion qui lui ouvrit la porte. Avant que je comprenne, ils avaient fait connaissance et paraissaient déjà s’apprécier. Nous avions prévu une randonnée en vélo, tous les quatre. Aussitôt, Marion réorganisa la journée, expliquant aux garçons, intrigués, que papa devait passer la journée avec un ami. Ils sont donc partis et je suis resté la journée avec Samuel. J’aurais dû être énervé, car je me faisais une joie de ce moment partagé avec mes fils, mais c’était une évidence.

— Dès que le café fut servi, il m’embarqua dans une histoire fantastique, dont j’ignorais tout : la mienne. Les nôtres, plus exactement.

— Il repartit du début, de ce premier jour de 6e, quand il me vit pour la première fois. Il me dit qu’il tomba sous mon charme immédiatement, moi qui me sentais si mal à l’aise et intimidé. Le soir, il me suivit et le lendemain, il m’attendait, craignant un refus de ma part. J’avais l’air réservé, ce qui lui allait bien, mais je paraissais doté d’une grande force, de savoir ce que je voulais. Comment pouvais-je dégager cela, moi le garçon perdu, isolé, rejeté ? J’avais construit une coquille dans laquelle je me recroquevillais, un refuge où je pouvais rêver d’un monde gentil. Elle devait être solide pour laisser croire que j’étais fort et déterminé ! Il décida que je serai son ami, pour toujours ! Je vous ai dit, pour moi, il est entré dans ma vie pleinement, sans que je me pose de questions. Il était le frère, le vrai frère, celui que je n’avais jamais eu.

— Toutes ces années, il m’a voué une véritable dévotion, et je n’ai rien vu, rien senti. Il ne me l’a pas dit, mais j’ai ressenti ce qu’il avait vécu. Je n’ai jamais pensé à lui donner, à lui rendre. J’appréciais son amitié, sa présence, c’est tout. J’ai profité de la plus belle chose du monde sans m’en rendre compte. Comment peut-on être aussi insensible ? Ne rien voir, ne rien comprendre ? Pendant tant d’années ?

— Je ne comprends pas la différence colossale entre nos souvenirs. J’ai parlé de ce périple pendant les vacances, l’été avant l’arrivée d’Aurélie. Pour moi, il s’est passé une chose, très agréable, une fois, entre Samuel et moi. Il m’a dit garder un souvenir grandiose de cet été là. Il rougissait encore en en parlant. Nous partagions la même tente, c’est vrai. Il paraît que, dès les premiers jours, nous nous sommes enlacés et caressés. Je ne me souviens absolument pas de l’avoir embrassé ! Jamais ! Pas chaque soir… C’est incroyable, cette divergence. Quand il parlait, il le revivait et parvenait à me faire partager ses souvenirs. Alors que je suis sûr de moi. Il affirme que nous nous sommes donné du plaisir plusieurs fois. Je suis persuadé d’une seule fois et de la frustration de ne pas être allés plus loin. Maintenant, j’ai un doute complet sur mes souvenirs et sur ce que j’ai raconté ici. Tout cela est peut-être faux. Je vais mal pour des choses que j’ai peut-être construites dans ma tête. C’est effrayant.

— Car il y en a d’autres. J’ai toujours trouvé curieuse son amitié avec Antoine. Ils sont tellement différents, mais ils étaient tellement complices. Parfois, j’étais jaloux de leur relation, me sentant exclu de cette proximité. En fait, selon lui, c’est Antoine qui s’accrochait à lui. Antoine, pour qui tout semblait simple et facile, dépendait de lui, car sans arrêt dans la crainte de s’écrouler.

— C’est le monde à l’envers. Samuel se sentait plus proche de moi, car nous partagions, selon lui, les mêmes failles. J’étais le seul à pouvoir le comprendre, alors qu’il ne me disait rien. Antoine était dans l’incertitude, moi dans la « force tranquille », selon ses mots. Je n’ai pas vécu ça !