S17

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— Et puis, Aurélie est arrivée. Ça, je l’ai dit, tout le monde est tombé amoureux d’elle, peut-être bien également des filles. Elle ne laissait pas indifférente et elle attirait la sympathie, au minimum ! Ce que je n’avais pas perçu, c’est qu’elle m’avait choisi, moi ! Je savais que j’étais privilégié, mais pas à ce point.

— Samuel est tombé fou amoureux. Comme moi, il ne savait qualifier ce sentiment qui l’emportait. Contrairement à moi, il s’est immédiatement dit qu’elle était trop bien pour lui, que jamais une fille de cette qualité ne pourrait s’intéresser à un garçon comme lui. Il a décidé de tenter de devenir son ami, d’être à son service sans rien demander. Elle ne parlait pas beaucoup, mais c’est à lui qu’elle s’est confiée dans ses moments de faiblesse. J’étais à côté d’elle, et je n’ai rien vu… Elle m’avait choisi, mais c’était Sam, son confident. C’est compliqué…

— Ça a débuté par un accident, deux ou trois mois après son arrivée. Nous étions déjà ensemble. Elle devait passer le weekend en famille et Samuel l’a croisée avec un de nos camarades de classe. Le lundi, alors qu’il ne demandait rien, elle lui a raconté ses pulsions soudaines qui la poussaient dans les bras d’un quasi-inconnu et auquel elle s’offrait, pour le regretter ensuite. Elle avait deviné et trouvé en Samuel cette capacité d’écoute et cette absence totale de jugement. Elle en a fait son confident, comme il était le mien. Il en savait plus sur notre relation que nous ! Il en était heureux, puisqu’il nous adorait tous les deux et qu’il se sentait incapable de nous aimer l’un ou l’autre. Il dit qu’il a vécu par procuration. Alors que nous étions si maladroits…

— Il l’écoutait, mais il n’a jamais compris son fonctionnement. Comme moi, il ne s’expliquait pas cette alternance de phases euphoriques, gaies, détendues, entrecoupées de périodes de tristesses. Souvent, son physique variait en même temps, elle grossissait beaucoup, avant de maigrir fortement. Au plus fort, elle avait besoin de se perdre dans des souleries ou des drogues. Lui savait, moi, je ne percevais que la surface de ces crises, incapable de lui prendre la main pour l’accompagner ou la retenir. Cela me dépassait.

— Et puis, ce fut la fin, mon départ. Samuel savait. Aurélie aussi, bien que je ne lui avais rien dit. Samuel affirme qu’il ne lui a rien dit, mais elle lui en a parlé, juste avant la boum. C’était donc joué d’avance. Elle ne voulait pas me l’entendre dire, ou elle était dans une de ses crises de destruction, je ne sais pas. Samuel a assisté de loin au spectacle, à nos défonces respectives et à notre impossibilité de nous dire adieu.

— J’ai tourné le dos. Je lui ai tourné le dos, incapable de gérer ce qui me dépassait. Elle l’a très mal vécu. C’est là où la vérité est apparue. Le lendemain, elle était doublement effondrée, de s’être laissée emporter par ses pulsions de sexe, de m’avoir fui pour ne pas m’entendre. Samuel dit qu’elle n’avait pas encore évacué ce qu’elle avait absorbé, sinon, elle ne lui aurait pas parlé du viol.

— Elle avait treize ans, donc trois ans avant notre rencontre. C’était son cousin, vingt ans, qui l’a forcée. Plusieurs fois. Déjà, auparavant, elle avait eu des cycles de déprime et d’euphorie, mais cela les a aggravés. Paul-Henri, le cousin, avait fait du chantage au silence. Apparemment, il s’agissait d’affaires de famille. Elle avait mis six mois avant d’en parler à sa mère, bien que sa santé se soit fortement dégradée, sans inquiéter plus que ça ses parents. Sa mère l’avait emmenée à la gendarmerie, pour déposer plainte. Puis elle lui avait trouvé un psy, avant, finalement, d’en parler au père. Incompréhension, rejet… Les deux femmes se sont retrouvées isolées. L’été, le retour du cousin, une nouvelle attaque, des cris, le silence. Aurélie a fait une tentative de suicide. Ils sont venus s’installer ici.

— En fait, elle n’avait livré que des bribes. Samuel s’était retrouvé seul face à cette horreur et il avait senti que ces petites révélations apaisaient Aurélie. Quand elle ne se supportait plus, elle se livrait, devenait une bête de sexe pour se salir et s’anéantir dans une jouissance totale. D’où les drogues. Puis elle revenait, essayait de redevenir ce qu’elle était, avant de replonger. Je n’ai rien vu, je n’en savais rien…

— C’est là qu’elle a avoué à Samuel qu’elle était persuadée que, moi, je saurais la guérir, la sortir de son enfer. Vous vous rendez compte de ma responsabilité, du poids qu’elle avait mis sur mes épaules ? Et moi, j’étais perdu dans des émotions sur lesquelles je ne pouvais mettre de mots…

— Tout correspondait, tout s’expliquait. Pourtant, j’avais un doute. La différence de nos souvenirs sur notre relation s’appliquait-elle à la mémoire de cette histoire ? Samuel était-il un fabulateur réécrivant l’histoire pour la supporter ? Quelle était la suite ?

— Aurélie a eu beaucoup de mal à se remettre de notre séparation. Elle demandait en permanence de mes nouvelles à Samuel, aussi meurtri qu’elle par mon silence. Antoine avait trouvé une place, mal taillée, n’ayant ni les tenants ni les aboutissants. Samuel ne se sentait pas d’intervenir comme il l’avait fait entre Aurélie et moi. Antoine, c’était son grand pote, mais moi, j’étais son dieu. Il consolait Aurélie de nouvelles inventées, l’encourageant à m’écrire, ce qu’elle ne fit pas, ou n’osa pas les poster, comme moi…

— Tout était foireux. Tout semblait glisser vers une issue tragique, dont j’ai été un accélérateur.

— Quand je suis revenu à Noël, Samuel a essayé de me voir, mais, m’a-t-il dit, je l’ai fui. Encore une fois, ce n’est pas vrai ! Après avoir appris qu’Antoine et Aurélie « étaient ensemble », j’ai mis des guillemets, je me suis terré et je ne suis plus sorti de ma chambre. Jamais je n’ai aperçu son ombre.

— En mars, elle a été hospitalisée. Elle avait considérablement maigri et elle avait avalé une « saloperie », c’est ce qu’elle dira à Samuel. Elle est revenue, une semaine, a redisparu. Samuel et Antoine sont passés la voir. Elle était dans le coma. Elle avait à nouveau absorbé quelque chose, mais ils n’ont pu obtenir aucune information. Une semaine après…

— Aucun faire-part, aucune annonce. Ils n’ont pas pu aller à l’enterrement et ils ignoraient où elle avait été inhumée. Antoine s’est effondré. Samuel aussi, mais il ne l’a pas montré, ce qui leur a valu des disputes, des réconciliations. Antoine a eu son bac, Samuel a tout raté. D’après sa façon de le dire, je crois qu’il voulait faire une croix sur le reste de sa vie.

— Nous en étions là quand Marion et nos fils sont rentrés. Toute la journée, les garçons s’étaient montrés intrigués par ce monsieur qui avait accaparé leur père. Incapables de retenir leur curiosité, ils posèrent mille questions, qui obligèrent Samuel à rester dîner. J’ignorais sa capacité à captiver deux gamins sur n’importe quoi.

— En partant, nous eûmes une longue étreinte, ce que nous n’avions pas fait la première fois. C’était moins l’effacement de vingt-quatre ans, que l’expression d’une estime à un homme de qualité. Je me rassure en me disant qu’à l’époque, j’en avais eu l’intuition…

— La vieille histoire n’était pas terminée pour autant !

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