Chapitre 20 : Visite nocturne - (1/2)

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Naim avait revêtu un justaucorps noir pour sa mission nocturne. Elle avait longuement réfléchi avant de choisir cette tenue. Dans n’importe quel pays, elle aurait parfaitement convenu. Mais en Helaria, elle risquait d’attirer l’attention plus que la nudité. Cependant, elle avait grandi dans un lieu où les habitants cachaient leur corps. Et il n’était pas facile de passer outre à presque vingt ans d’éducation. Même si en l’occurrence, ce n’était qu’hypocrisie, avec ce qu’elle portait et son teint de peau, dans un endroit sombre cela n’aurait fait aucune différence. Ce qui l’avait finalement décidée était que si elle se faisait prendre, vu l’absence de pudeur qui caractérisait la population locale, il pouvait s’écouler du temps avant que quelqu’un pensât à lui donner de quoi se couvrir.

Elle arriva par la plage. Elle eut un peu de mal à trouver la bonne maison. Comme les immeubles se touchaient, elle dut compter les toits pour être sûre d’elle. Les fenêtres du rez-de-chaussée étaient protégées par des volets en bois. Mais elle ne décela pas d’autres protections. Elle surveilla un moment pour vérifier que personne ne risquait de la surprendre. Elle ne repéra aucun garde et les noctambules les plus tardifs étaient allés se coucher depuis longtemps.

Elle parcourut en courant les dernières perches. Les volets étaient maintenus fermés par une simple espagnolette. Elle hésita longuement. Elle allait entrer dans une maison par effraction. Tout son être se révoltait face à cette idée. En glissant la lame de son couteau entre les battants, elle eut l’impression de commettre un viol. Elle parvint malgré sa maladresse à la faire sauter. Pour la fenêtre, ce fut plus dur. Elle s’enveloppa la main dans un chiffon, puis elle cassa une vitre d’un coup de poing. C’était plus douloureux qu’elle le croyait. Mais au moins, elle ne s’était pas coupée. Elle resta un moment sur le seuil, augmentant le risque de se faire surprendre. Finalement, elle prit une grande respiration et entra. Avant tout, elle referma soigneusement derrière elle, puis alluma sa lampe sourde. Maintenant qu’elle était en sécurité, elle récita une prière à Deimos pour calmer le dieu afin qu’il ne l’envoie pas en enfer après sa mort. Elle put enfin examiner les lieux.

Elle se tenait dans ce qui ressemblait à un cabinet de travail, avec un bureau, un fauteuil, des étagères aux murs avec des livres et une carte du monde sur un mur. Elle finirait par cette pièce. Elle sortit pour visiter le reste de la maison. Elle commença par l’étage. Elle n’y trouva que des chambres et les salles de bains associées. Les penderies ne lui apprirent pas grand-chose, si ce n’est que les occupants ne venaient qu’occasionnellement. Elles étaient presque vides et elles ne contenaient que des tenues de fêtes. Une chambre la laissa circonspecte cependant, tout s’y trouvait en double, y compris les robes, et le lit était immense. Elle se demanda qui pouvait bien vivre là.

Son examen des lieux terminé, elle redescendit au rez-de-chaussée. Il ne comportait que peu de pièces. La cuisine était conçue pour faire face aux urgences, les occupants quand ils venaient devaient certainement sortir pour manger ou se faire livrer. La salle de jeu l’intrigua. Elle ne connaissait pas l’usage de la table percé. Elle apprit plus tard que cela s’appelait un « billard ». Le salon lui-même paraissait confortable, mais là non plus elle n’y décela rien d’extraordinaire. Il ne comportait aucun bibelot précieux qui aurait pu la renseigner sur la richesse des propriétaires.

Elle retourna finalement dans le bureau. C’était le seul endroit où elle avait une chance de trouver quelque chose d’intéressant. C’était pour cela qu’elle l’avait gardé pour la fin. Elle examina d’abord les livres. Elle n’y trouva que des ouvrages de référence. Elle feuilleta un atlas, découvrant avec surprise que même son village natal y figurait. Elle le reposa.

Puis elle se posta devant la carte, un peu en retrait pour en avoir une vue d’ensemble. Elle ne l’avait regardée que distraitement en entrant, elle avait eu tort. C’était un planisphère. Le continent d’Ectrasyc et le nord de Shacand étaient totalement représentés. L’Unster et son principal affluent, l’Onus, constituaient un point de repère évident et permettaient de situer les trois grands États qui organisaient le monde civilisé : l’Helaria, l’Yrian et la Nayt. Comme beaucoup avant elle, elle fut surprise de la faible distance, au regard de l’immensité du continent nord, qui les séparait. En fait, la civilisation actuelle s’épanouissait dans le seul espace sain entre deux territoires totalement ravagés. Certains pays, comme la Nayt, son pays natal, empiétaient même largement dessus. Sans l’Onus qui descendait des montagnes et nettoyait le sol sur son passage, elle n’aurait jamais pu naître. D’où elle se tenait, elle ne voyait pas les noms qui y figuraient. Elle s’approcha. Et ne les trouva pas. Elle était vierge, sauf au sud où se localisait l’Helaria et à l’est des montagnes de la Licorne. Alors, elle comprit. Cette carte ne représentait pas le monde d’aujourd’hui, mais tel qu’il existait autrefois, avant l’arrivée des feythas.

Par curiosité, elle regarda la zone actuellement habitée. L’empire Ocarian en occupait la majeure partie. L’Yrian existait, sous la forme d’une simple province. Mais il était si au sud, alors qu’aujourd’hui il marquait la limite nord des territoires habitables. L’archipel helarieal était divisé entre plusieurs pays. Et l’Orvbel était là. À l’époque, il pratiquait déjà le trafic d’esclave. Mais c’était des stoltzt qui le contrôlaient. Un instant, elle se demanda ce que les humains avaient fait des anciens occupants en s’emparant de la ville. Ils n’avaient pas pu tous les éliminer, pas avec l’Helaria qui supervisait l’opération.

Elle remarqua alors que la carte n’était maintenue que par des pitons passés dans des œillets. Cela la rendait très facile à décrocher du mur et à la remettre en place. Elle la retourna pour voir ce qu’il y avait de l’autre côté. Elle découvrit une grande surface vierge de toute inscription. Voilà qui était surprenant. Dans le contexte de pénurie actuel, laisser une aussi telle quantité de papier inutilisée, était incongru, surtout en un endroit comme l’Helaria. Si la maison avait été occupée par des edorians, elle aurait arrêté là son investigation. Mais elle avait appris que la propriétaire était une stoltzin. Et cela changeait tout. Les stoltzt pouvaient voir des couleurs supplémentaires, invisibles aux sens humains. Il était plus raisonnable de penser que quelque chose était imprimé sur cette face vierge. Quelque chose de suffisamment important pour le cacher ainsi. Malheureusement, elle ne saurait jamais quoi. Il n’existait pas de moyens connus pour révéler ces couleurs cachées. Elle remit la carte en place pour s’occuper de la suite.

Elle s’attaqua enfin au bureau. Les tiroirs étaient verrouillés. Elle en força un avec son couteau. Un éclat de bois sauta, mais il s’ouvrit. Dedans, elle ne trouva presque rien, juste un nécessaire d’écriture traditionnel. Il se présentait sous la forme d’une boîte divisée en une trentaine de compartiments contenant les perles dont chacune constituait une lettre. Il était accompagné d’une bobine de fil et d’aiguilles ainsi que quelques plaques d’authentification vierges et un poinçon pour les graver. Ce genre de matériel devait être très commun dans le pays. Elle le rangea dans son sac et entama la fouille.

Elle allait forcer un second tiroir quand elle remarqua une boulette dans la corbeille à papier. Elle la déplia soigneusement, la lissant du mieux qu’elle put pour pouvoir la lire. Une tache d’encre assez conséquente expliquait pourquoi son auteur l’avait jetée. Il avait dû la réécrire. Mais hormis les mots cachés, elle était lisible. C’était une missive privée, une lettre comme en envoient des amis qui n’ont pas souvent l’occasion de se voir. Puis elle arriva à la signature. Aussitôt, elle se mit à trembler. Les jambes se dérobèrent sous elle, l’obligeant à s’asseoir.

— Peffen, murmura-t-elle, la pentarque tierce, elle habite ici.

Peffen, et certainement l’ensemble des pentarques. Ternine avait été vu en compagnie d’une très belle stoltzin blonde. Ça collait avec Vespef, la pentarque prime. Sauf que cette dernière ne se serait jamais acoquinée avec un rabatteur. Et elle avait entendu dire qu’elle ne laissait pas beaucoup de monde la toucher. Mais elle avait une fille, blonde comme elle. Elle ne se souvenait plus de son nom. Wotan avait eu trois filles avec ses sœurs. Une avec Wuq. Elle suivait les traces de sa mère, elle avait embrassé la carrière militaire. Encore jeune, ayant à peine le grade d’apprentie, elle ne ressemblait pas du tout à l’accompagnatrice de Ternine. Une autre avec Peffen. Comme sa mère, on avait tendance à oublier son existence. Mais la dernière était plus âgée. Elle était née peu de temps avant l’invasion feytha. Naim n’avait eu jamais l’occasion d’entendre parler d’elle. Elle semblait avoir disparu. Et pourtant. Si elle possédait à peine le douzième du talent diplomatique de sa mère, elle devrait se trouver continuellement sous les feux de la rampe. Où se cachait-elle ?

Malgré la discrétion de la fille de Vespef – même son nom lui échappait –, elle était sûre que c’était elle qui avait accompagné Ternine lors de cette fête. Si elle ne se trompait pas, la situation de Brun était pire que ce qu’il imaginait.

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