Chapitre 51 : Le piège - (2/2)
Le négrier devint brutalement intéressé. Une mission pour le compte du palais. Voilà qui pouvait rapporter gros. Et pas seulement sur le plan financier.
— Quel type de message ? Pour quelle personne ?
— La nature, tu n’as pas besoin de la connaître. Le destinataire, le pentarque Wotan, à Imoteiv.
Pendant un instant, Biluan resta muet sous la surprise. Brusquement, il éclata de rire.
— Tu ne parles pas sérieusement, dit-il.
— Au contraire. Je suis tout ce qu’il y a de plus sérieuse.
— Tu sais qu’en tant que marchand d’esclaves, dès que j’aurai posé le pied sur le territoire de l’Helaria, je serai aussitôt mis aux arrêts, peut-être exécuté.
— C’est un risque à courir en effet.
— Un risque que moi je ne suis pas prêt à courir. Et tu as pensé, si je meurs, comment pourrais-je transmettre le message ?
— Tu n’as pas besoin d’être vivant ça, intervint la Samborren.
Deirane posa la main sur le bras de Nëjya pour la calmer.
— N’écoute pas mon amie, elle vient du Sambor. Je peux te garantir que les pentarques ne te toucheront pas. Tu quitteras l’Helaria dans le même état que tu y arriveras.
Le négrier regarda la jeune femme, se demandant à quel point elle disait la vérité.
— J’en fais la promesse, ajouta-t-elle.
— Et tu crois que je vais me pointer en Helaria, aller frapper à la porte de la Résidence et qu’ils vont m’ouvrir comme ça, sur ma bonne mine.
— Bien sûr que non. Je ne suis pas sûre que tu entreras dans la Résidence. Mais les pentarques prêteront au message toute l’attention qu’il mérite.
— Comment peux-tu te montrer aussi affirmative ?
— Tu vas voir, tu seras surpris.
— Je n’aime pas les surprises, répliqua Biluan.
Deirane ne répondit pas. À la place, elle commença à délacer sa cape. Elle la laissa tomber. En dessous, elle portait une tenue en soie dorée qui lui couvrait à peine la poitrine. Et dire qu’il devait la forcer pour s’habiller ainsi quand elle se trouvait sous sa surveillance. Cela n’était pas sans l’inquiéter. Elle préparait quelque chose.
— Dursun ?
Elle tendit la main à la plus exotique de ses amies. Celle-ci lui passa quelque chose de cylindrique.
— Tu te souviens de ça ? demanda-t-elle en lui montrant l’objet.
C’était une matraque électrique. Celle qu’on lui avait volée quelques douzains plus tôt. Que faisait-elle ici ?
— Tu comptes m’obliger en me menaçant avec ça ? Tu n’as pas la force.
— Moi, non.
Il remarqua alors une nouvelle arrivante. Une femme également. Mais celle-là était grande. Bien plus que lui. Avec sa musculature, elle devait être capable de le briser en deux d’une main.
— D’accord, elle, elle l’a, constata-t-il. Mais tu crois vraiment que vous allez m’obliger à faire quoique ce soit comme ça ?
— Mais qu’est-ce qui te dit qu’on va te forcer à faire quelque chose ?
Elle lui passa la matraque sous le nez.
— Tu prenais ton pied avec ça avant. Ça ne te manque pas ?
Biluan ne répondit pas. Brutalement, elle lui tendit l’arme.
— En souvenir du bon vieux temps. Et pour sceller notre accord. Fais-toi plaisir. Je suis à peine habillée, tu n’as que l’embarras du choix.
Soudain, un souvenir remonta à la surface.
— Mais je te connais. Tu es l’esclave en fuite que j’ai croisé à Kushan. Je vois que le roi a pu te rattraper.
— Je n’étais pas en fuite, répondit Naim. J’étais une espionne pour le compte du Seigneur lumineux. Et tu as brisé ma couverture.
Le sourire que Biluan arborait sur le visage depuis son arrivée disparut. Il venait de comprendre quelque chose.
— Le roi est-il au courant de ma présence ? C’est bien lui le commanditaire de toute cette opération ?
S’il était entraîné dans un complot au sein du harem, elles pourraient bien l’éliminer pour garder leur secret. Et vu ce qu’il avait infligé à Deirane, il était sûr qu’elle ne manifesterait aucune pitié.
— Prends cette matraque et sers-t’en.
— Et me faire surprendre à torturer une concubine. Tu es folle. Je tiens à ma vie.
— Prends-la ! cria-t-elle, prends-la, et utilise-la !
Il recula pour se mettre hors de portée de la jeune femme.
— Ton désir de vengeance doit être bien grand pour que tu envisages un tel moyen.
Elle se calma.
— Bien, moi mort, comment pourrais-je transmettre ton message au pentarque ?
— Imbécile, répondit-elle, le message c’est toi.
Elle rendit l’arme à Dursun. Contre toute attente, cette dernière la mit en route.
— Ou plutôt ton cadavre, ajouta-t-elle.
Elle se raidit, comme quand elle se préparait à une correction.
Avec répulsion, Dursun appuya les pointes métalliques de la matraque contre la peau nue de son amie, en haut de la poitrine. Deirane poussa un cri et s’écarta.
— Vous êtes folles toutes les deux, s’écria-t-il, arrêtez ça.
Dursun, au lieu d’obéir, se rapprocha de Deirane. La Samborren retint la petite Yriani pour qu’elle ne s’enfuît pas à nouveau. L’arme s’appliqua une nouvelle fois contre le corps de la jeune femme, sur la cuisse, qui, ce coup-ci, supporta la décharge électrique. Elle cria sous la douleur. Ce fut Dursun qui se retira. C’était de toute évidence aussi pénible pour elle que pour Deirane. Au troisième choc, à nouveau sur la poitrine, Biluan s’interposa.
— Vous allez me faire tuer, espèce d’imbéciles, hurla-t-il.
Il projeta Dursun au sol. Comme elle revenait à la charge, il la frappa d’un coup de point. Elle ne se releva pas. La géante intervint alors, elle immobilisa le négrier. Elle était tellement musclée que c’est tout juste s’il parvenait à bouger.
— Lâche-moi, la somma-t-il d’un ton hargneux.
— La ferme, répliqua-t-elle de même.
Elle affermit sa prise sur Biluan avant de tourner la tête vers la domestique.
— Appelle à l’aide, ordonna-t-elle.
Loumäi se précipita vers le temple. Elle n’y resta pas longtemps. Naim força Biluan à s’asseoir par terre, toujours en lui maintenant solidement les bras.
Au bout d’un moment, un piétinement se fit entendre sur le chemin. La garde du harem arrivait. Ils n’étaient que quatre, mais c’était suffisant. D’un coup d’œil, ils apprécièrent la scène : une femme au sol, recroquevillée sur elle même, en train de trembler, une autre comme assommée et une troisième au bord de la crise d’hystérie. Et cette géante, dont ils n’avaient jamais compris l’acquisition. Maintenant, ils savaient pourquoi le roi l’avait achetée. Elle immobilisait un homme. Un homme dans le harem.
— Que se passe-t-il ? demanda l’eunuque.
Sa petite voix délicate contrastait avec la corpulence du garde. Sur un individu normal, elle aurait prêté à rire. Mais dans la situation actuelle, Biluan n’éprouvait pas un tel sentiment.
— Cet homme s’est introduit dans le harem, il nous a agressées.
— Cette salope a essayé de me tendre un piège, répondit le négrier. Mais j’ai réussi à le déjouer.
— Que faites-vous ici ? Aucun homme entier n’est autorisé dans le harem, sauf le roi.
— Je ne savais pas que j’étais dans le harem ?
— Comment peut-on y entrer sans s’en apercevoir ?
— Il le savait très bien au contraire, le contredit Naim, il nous l’a confirmé dans ses paroles.
— C’est elle qui m’a amené ! En passant par les couloirs de service !
Il chercha Loumäi du regard, mais la domestique avait disparu.
— Impossible, répondit l’eunuque, seul le roi peut ouvrir les portes aux inconnus. Nous éclaircirons tout cela plus tard.
Il baissa son attention sur Deirane. Elle s’était ressaisie. Elle s’était précipitée vers son amie, toujours inerte, et l’avait prise dans ses bras. Le visage juvénile s’ornait d’un énorme hématome autour de l’œil. Un étranger avait pénétré dans le harem et avait frappé une concubine alors qu’il était de garde. Voilà qui allait entacher ses états de service.
— Vous savez pourquoi il s’est introduit ici. C’est un bien grand risque pour une simple rencontre.
— Il parlait de me revendre. Il aurait trouvé un acheteur prêt à offrir une belle somme. Il estime que le prix que le seigneur lumineux l’a payé est insuffisant pour une femme telle que moi.
— Menteuse, s’écria Biluan ! C’est un mensonge ! C’est moi qui ai été attiré à l’intérieur. C’est un complot contre moi.
Naim lui plaqua la main contre la bouche pour le faire taire. L’eunuque ignora ses paroles. Il se tourna vers Nëjya.
— Vous avez besoin d’aide ? demanda-t-il.
— Ça ira, répondit Nëjya.
Finalement, cette dernière avait réussi à maîtriser ses nerfs et à ne pas craquer.
— Parle pour toi, répliqua Deirane, jamais je n’arriverais à la porter à l’intérieur. Et toi non plus, tu n’es pas plus forte que moi.
— Je m’en chargerai, proposa Naim.
La Naytaine avait abandonné son prisonnier à la garde du harem.
— Nous nous reverrons, menaça Biluan.
Deirane leva la tête vers lui, sans lâcher son amie inconsciente.
— Chez le porteur de lumière, lui renvoya-t-elle.
Biluan éprouva un choc. Il ne partageait pas les croyances de la jeune femme. Mais il les connaissait. Il savait la signification qu’elle apportait à ces paroles. C’était une malédiction qu’elle lui lançait. Elle le condamnait aux tourments éternels de l’enfer. L’eunuque aussi le comprit, parce son visage s’éclaira d’un sourire mauvais.
— Je vais veiller à ce qu’il le rencontre, dit-il.
— Salope ! lâcha Biluan.
Deirane se leva, laissant Dursun aux soins de Nëjya. Elle se plaça face au prisonnier.
— J’ai eu un bon professeur.
Elle s’éloigna de son ancien tortionnaire, sans plus lui accorder aucune attention.
— Peut-être devriez-vous le fouiller, suggéra-t-elle.
L’eunuque hocha la tête, reconnaissant le bien-fondé de ces paroles. Il mit aussitôt ce conseil à exécution. Biluan le laissa faire, il ne portait rien de compromettant sur lui.
Naim prit Dursun dans ses bras pour la ramener à l’intérieur. Elle commençait à reprendre connaissance. Mais elle n’aurait jamais pu marcher jusqu’à sa chambre.
— Mais qu’est-ce que c’est que ça ?
La voix de Biluan reflétait sa panique. Devant lui, l’officier tenait entre deux doigts ce qui ressemblait à une lettre.
— À vous de me le dire.
— Mais ce n’est pas à moi !
— Je l’ai sorti de votre poche.
— C’est elle qui l’y ont glissée.
Il essaya de la saisir, l’eunuque se contenta de lever le bras pour la mettre hors de sa portée. Puis il recula et l’examina. Il accorda une grande attention au cachet de cire bleu brisé avant de la lire.
— Je crois que son contenu intéressera beaucoup le Seigneur lumineux, dit-il enfin.
— Mais elle n’est pas à moi !
— Pourtant, elle vous est adressée.
Il replia soigneusement la lettre et la rangea dans une poche de son uniforme.
— Emmenez-le ! ordonna-t-il à ses hommes.
Puis il se tourna vers les concubines.
— Aurez-vous besoin d’aide pour rentrer ? demanda-t-il.
— Moi ça ira, répondit Deirane. Après tout, je n’ai été que torturée à l’électricité. J’ai bénéficié d’un bon entraînement dans cette pratique, grâce à lui d’ailleurs. Nëjya ?
— Ça ira aussi, ajouta l’intéressée.
Le chef des eunuques prit la tête de sa troupe et donna le signal du retour.
Il restait un dernier point à régler. Quand tout le monde lui tourna le dos, Deirane sortit de son corsage un petit sachet de papier. Elle l’ouvrit, il recelait une poudre qu’elle aspira. Elle connaissait l’existence de drogue absorbée de cette manière. Mais comment faisaient-ils pour la consommer tant l’effet lui parut désagréable ? C’était comme de respirer de la farine. Elle fit disparaître le contenant dans un buisson. Elle comptait sur l’immensité du parc et l’aspect volontairement semi-sauvage de cette forêt pour que personne ne le trouvât. Et la prochaine pluie le dissoudrait.
Ils atteignaient le pied de l’escalier qui menait au harem, quand elle poussa un cri. Elle s’effondra en se tenant le ventre.
— Que lui arrive-t-il encore ? s’écria Biluan, mais vous ne voyez pas que c’est du cinéma.
— Gardez votre voix pour plus tard. Vous en aurez besoin quand on vous interrogera.
La menace coupa court à toute les interventions du négrier. Il venait de comprendre qu’il allait souffrir. Et peut-être mourir. Il lança un regard de haine à Deirane. Mais seule Nëjya le remarqua.
Le chef de la troupe envoya son collègue découvrir ce qui se passait. Ce dernier s’accroupit devant la jeune femme qui se tordait de douleur. Il l’examina rapidement. Puis il la souleva dans ses bras pour la ramener à l’intérieur.
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