36.Réveil en blanc
Lorsque je reprends connaissance, la tête me tourne, j’ai une désagréable impression de roulis, le monde tangue et je me balance d’avant en arrière, allongé sur un matelas fin qui sent le moisi. Madame Dumonteil me caresse la joue. Elle a l’air livide, au bord de la nausée, à ses côtés, son mari tapote sa main libre, le visage plein de compassion. Leur chat m’observe, les yeux grand ouverts et les pupilles dilatées.
Mes oreilles bourdonnent, un bruit grave dont les vibrations pénètrent au plus profond de mon corps. Je rassemble mes idées et comprends enfin que nous sommes dans un bateau.
« Vous êtes réveillée, ma pauvre enfant dit la vieille dame en réprimant son mal de mer. »
Comme mon regard cherche une trace d’Antarès autour de moi, la vieille dame reprend.
« Vous cherchez votre ami, mais il a disparu avant d’embarquer, ma pauvre chérie, comme c’est dur de ne pas pouvoir compter sur ses proches. »
Monsieur Dumonteil continue de lui tapoter la main, alors qu’elle regarde au large. Je me redresse, nous sommes dans la cabine d’un petit bateau, outre le moisi elle dégage une odeur d’huile pour moteur et d’essence. Sur la plateforme arrière, un grand dadais conduit, je reconnais le gars qui accompagnait Pierre en patrouille. Derrière lui, Silvio et Gabriela discutent.
Notre embarcation ralentit et nous abordons sur un quai. Gabriela entre, constate que je suis maintenant assise, me sourit.
« Nous sommes à l’Ospedale, des médecins vont vous examiner, vous avez subi un choc et nous voulons être sûrs que vous allez bien. »
Au regard que me lance Silvio derrière son épaule, je comprends qu’il s’inquiète, c’est très mignon, mais un peu flippant.
Dès la descente du bateau, des infirmiers nous prennent en charge avec des fauteuils roulants. Je tente de protester, mais mes jambes ont le dernier mot, je m’écroule sur le siège. C’est un grand noir en blouse blanche qui s’occupe de moi, il me fait passer un premier examen à même l’embarcadère. Il regarde mes yeux puis pousse un soupir de soulagement.
« En route, mademoiselle, je vais vous amener à un médecin, dit-il dans un Français mâtiné d’accent sénégalais. »
Mes esprits reviennent au fur et à mesure, un médecin s’occupe de moi, l’infirmier lui sert d’interprète. J’apprends au passage qu’il s’appelle Anatole et que je n’ai rien, juste un évanouissement dû au choc consécutif à une agression.
On me laisse enfin tranquille, dans une chambre blanche, Anatole me dit de rester au calme pendant qu’ils remplissent les papiers. J’hésite à me rendormir, mais je n’ai pas sommeil et en plus, on ne m’en donne pas l’occasion, on frappe déjà à la porte. Elle s’entrouvre avant que je n’aie le temps de répondre.
La jolie figure de Gabriela apparaît. De la pommade brunâtre enduit ses bleus et bosses, elle ressemble un peu à un zombi, comme ça.
« On peut entrer ?
— Oui, oui, je suis décente, dis-je, avant de vérifier précipitamment que c’est bien le cas.
— Nous avons quelques questions à vous poser. »
Elle rentre dans la chambre, suivie de Silvio. Il a l’air penaud, un beau coquard grandit sous son œil et ses doigts sont couverts de sparadraps.
Il s’approche de moi, réprime son envie de me prendre la main et me regarde avec inquiétude et une pointe de tendresse.
« Humm ! intervient Gabriela. Madame et Monsieur Dumonteil vont bien, ils disent ne pas savoir qui sont cette femme et ces hommes, au cimetière. Je les crois sincères. Quant à vous, avez-vous une idée ?
— Non, pas du tout, réponds-je en adoptant une attitude surprise.
Mais j’ai l’impression qu’elle n’est pas dupe. Je me revois en sixième, quand je n’avais pas fait mes devoirs et que j’inventais une histoire pour la prof. Et bien, la prof avait exactement la même expression que celle de Gabriela à cet instant.
Silvio se tourne vers elle. S’ensuit une conversation rapide et décousue dans laquelle je ne capte que quelques mots, mais je saisis vaguement les échanges : Gabriela semble soutenir que je mens, Silvio que je devrais aller me reposer. Plus le jeune homme m’appuyer, plus sa collègue répète qu’ils devraient me surveiller. Dans ce match de ping-pong, je comprends que ma liberté se joue dans ce dialogue, mais comme je n’aime pas qu’on décide à ma place je finis par les interrompre en me levant.
Heureusement, je parviens à ne pas tituber, je prends mes affaires.
“Si vous n’avez pas besoin de moi, j’aimerais rentrer à ma pension.
— Nous allons vous raccompagner, répond Gabriela en coupant l’herbe sous le pied de Silvio qui s’apprêtait apparemment à me soutenir.”
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