Chapitre 18 - SACHA
le 27/02/2022 <3
Mais à quoi je pensais ?
Alexy sera de retour dans notre complexe, ou encore morte, dans peu de temps, mais les capitaines eux seront bien là à mon retour… Alors qu’est-ce qui m’a pris de parler de moi à coeur ouvert quand trois micros nous écoutent, relayant mes moindres paroles à leur six paires d’oreilles vicieuses ?
Ma dernière chance, c’est qu’ils croient à un mensonge pour gagner la confiance d’Alexy, mais dans tous les cas, je suis sûr que Willer ne manquera pas de me faire quelques remarques dessus à mon retour.
Car inexplicablement, tout ce que j’ai révélé à Alexy est vrai, et même si j’en payerai les conséquences après, je ne me sens pas particulièrement mal de l’avoir fait. Et puis quand elle m’a parlé d’elle, j’ai réalisé que nous avons tous les deux notre propre manière de comprendre les choses en profondeur : elle avec ses yeux et ses intuitions, moi avec mes crayons et mes pinceaux, mais quoi qu’il en soit, nous sommes tous deux irrémédiablement attirés par les apparences trompeuses.
D’un autre point de vue, ces révélations m’ont permis de bien mieux la cerner, et si ce talent se rajoute à tous ceux qu’elle collectionne déjà, je devrais me méfier d’elle encore plus. D’ailleurs, en y pensant, je m’étonne qu’elle ne m’ait pas encore démasqué avec ses capacités qui m’apparaissent assez redoutables, mais si elle ne fait cela que pour s’ancrer dans la réalité, peut-être ne me trouve-t-elle juste pas assez d’émotions qui lui correspondent ? Dans tous les cas, je devrai redoubler de prudence à l’avenir quand à mes moindres actions et paroles.
Comme une tornade sortie de nulle part, Allen manque de me rentrer dedans.
- Regarde devant toi, dis-je, emporté par mon élan, avant de me rendre compte qu’ici, je ne suis pas censé adopter de telles habitudes.
Heureusement pour moi, il est trop occupé à regarder Alexy sous toutes les coutures pour vérifier qu’elle ne présente aucune blessure. Nous voir revenir ensemble a dû attiser toute sa peur que je lui ai fait quelque chose, et je vois à son expression qu’il n’avait pas encore réalisé le départ d’Alexy quand il m’a permis de partir. Sinon, il n’aurait jamais commis une telle erreur. Je songe que si mon but était vraiment de récupérer notre évadée, j’aurais déjà eu mille occasions de le faire, voir même de la tuer, et cela éveille mes soupçons que l’Organisation soit si peu prudente. Les renforts devraient déjà être arrivés depuis qu’Allen a retrouvé leur arme secrète. A moins que tout ceci ne fasse partie d’un plan encore plus vaste, reconstruit sur les cendres du premier dans une fabuleuse contre-attaque.
Je perçois soudain une explosion d’angoisse qui me fait chanceler, et mon regard rencontre immédiatement celui d’Alexy, comme guidé vers elle, mais je suis totalement impuissant à en déterminer la cause. Je constate simplement qu’Allen, à à peine quelques centimètres d’elle, lui demande frénétiquement ce qui s’est passé et pourquoi elle a disparu aussi longtemps.
- Tout va bien… Allen. Tout va bien. Je suis juste tombée sur Sacha en rentrant.
Je note avec satisfaction qu’elle n’a mentionné ni la manière dont nous nous sommes vraiment rencontrés, ni ce qu’elle faisait vraiment dans la forêt, évitant ainsi une partie des questions d’Allen. C’est stupide de ma part, et je sais que Mr. Carren serait outré d’un tel sentiment, arguant qu’il me distrait de ma mission, mais je suis ravi de constater qu’Alexy me fait déjà plus confiance à moi qu’à l’agent de l’Organisation, alors que paradoxalement, de nous deux, c’est bien lui le seul à vouloir son bien. De plus, les dissensions que j’espère voir prendre prochainement une certaine ampleur entre eux ne font que me simplifier la tâche avec elle sans pour autant entraver le reste de la mission ; au vu de son attachement pour elle, Allen se confiera au bout d’un moment, qu’ils soient en bons termes ou non. Car je ne doute pas qu’un jour, Alexy sera fatiguée d’être maintenue dans l’ombre et exigera de son compagnon toutes les réponses qu’elle brûle d’obtenir.
Celui-ci finit d’ailleurs par se tourner vers moi d’un air méchant, mais plus pour maintenir son rôle qu’autre chose : au fond, il voit bien que je ne lui ai fait aucun mal, et commence sûrement à se demander si je ne suis pas véritablement digne de confiance. Le soulagement dans ses yeux me transperce.
Je juge cependant plus sage de ne rien dire, pas même une petite pointe d’humour pour détendre l’atmosphère et encore moins une remarque sarcastique sur son comportement excessif. Il ne se rend probablement pas compte d’à quel point il me paraît ridicule en ce moment. Je suis d’autant plus content de n’être attaché à personne de ce genre, qui est animé uniquement par des émotions si passagères. En ce sens, Alexy et lui se ressemblent beaucoup.
Au moins, si Mr. Carren est dur avec moi, je sais qu’il reste authentique, et me comprend à la perfection. Ce qui ramène à notre dernière conversation, dans la nuit juste avant que je ne parte en infiltration : depuis qu’il a approuvé ma théorie sur Alexy et sa perte de souvenirs, il ne m’a plus reproché un quelconque manque de progrès et m’a seulement encouragé tout le long de son enfermement à poursuivre sans jamais faiblir. Mais quand je lui ai annoncé que nous touchions enfin au but, et que j’allais bientôt abaisser la sécurité pour son évasion, il m’a brièvement laissé apercevoir toute sa joie et je n’en ai jamais été aussi comblé. Savoir que je suis la source de sa satisfaction m’a véritablement donné le regain d’énergie dont j’avais besoin, car je venais d’enchaîner ma deuxième nuit blanche à surveiller Alexy devant les caméras, et je sentais l’énergie me quitter petit à petit.
Mais depuis que je suis sur le terrain, si seulement quelques jours ce sont écoulés, sa voix, ses conseils, sa guidance, me manquent déjà terriblement.
M’abandonnant à mes réflexions, Allen et Alexy sont partis et commencent à faire réchauffer nos portions de nourriture avant la tombée de la nuit. Naïve, Alexy a probablement dû me lancer un regard désolé avant de s’éloigner à contrecoeur, comme si j’allais le remarquer et me laisser influencer par ce qu’elle pense de moi. Tant qu’elle me fait confiance, je ne peux cependant pas vraiment m’en plaindre.
Je les rejoins d’un pas traînant, sans chercher une seule fois à m’intégrer à leurs discussions, et quand le repas est terminé, je ne me fais pas prier pour me retirer dans ma tente, les laissant en tête à tête autour du radiachaleur.
Sur le point de m’endormir, je m’autorise enfin à ressasser, comme chaque fois, ce qui s’est passé tout au long de la journée, au cas où j’aurais raté quelque détail important. La matinée tout comme le début de l’après-midi me laissent indifférent, bien que satisfait d’avoir déjà abattu quelques barrières entre moi et eux, autant Alexy qu’Allen. Mais quand je parviens au moment où j’ai l’ai surprise dans l’eau, un malaise me frappe de plein fouet.
Dérangé, je me tortille, et finis même par me rasseoir. Je n’arrive pas à mettre le doigt sur sa cause exacte donc je repasse en boucle la scène dans ma tête, jusqu’à ce que mon esprit fasse enfin le focus sur ses cicatrices. Lorsque je suis arrivé, elle ne m’a effectivement pas remarqué avant plusieurs minutes, et j’ai donc pu observer à loisir son dos recouvert de marques boursouflées, pour certaines très clairement au bord de l’infection. Sur le moment, je me suis rappelé tout ce que j’ai pu observer à travers mes écrans, dans le complexe de la DFAO, puis les évènements se sont enchaînés très vite et je ne me suis pas plus attardé dessus… jusqu’à maintenant.
Et plus j’y pense, plus le malaise grandit, oppressant autant ma poitrine que mon ventre. J’ai presque envie de crier de frustration devant ces sensations que je ne suis pas du tout habitué à ressentir, presque envie de courir demander à n’importe qui à quoi cela correspond. Tout ce qui est nouveau me perturbe, car cela risque de fausser mes stratégies toujours préparées avec art et précision. Je n’aime pas laisser quoi que ce soit au hasard.
Aujourd’hui, je me suis retrouvé pour la première fois en face des conséquences de ce que j’ai ordonné, et je dois avouer que la réalité est bien différente. Lorsque j’étais tranquillement assis dans mon fauteuil, je pouvais presque considérer les évènements comme un film, et tout le monde sait que notre seuil de tolérance est toujours rehaussé dans les films : les choses nous choquent souvent d’une autre manière que si nous étions vraiment face à elles. Et s’il m’est arrivé quelques fois de regarder des interrogatoires comme ceux d’Alexy, ces dernières années, après mon accident, ont été plutôt calmes pour la DFAO. Je n’ai donc presque rien connu de la véritable opposition entre notre division et l’Organisation.
Rien, à part Alexy, ma seule et unique obsession
Alexy qui, à travers toute ma haine, a fait preuve de plus de profondeur et d’apparences trompeuses que tous les porcs avec qui je cohabite à la DFAO.
Moi qui ai toujours été pragmatique, je n’ai pas pour habitude de me mentir à moi-même. Alors aujourd’hui, je ne le fais pas plus qu’avant, et j’admets que malgré tout le mal qu’elle m’a fait, Alexy affiche bien plus de profondeur que je ne l’aurais cru au premier abord. Comme tout à l’heure au bord de la rivière, je réalise qu’elle est une personne à part entière, car seule une personne, et non simplement une image de haine comme je l’imagine depuis des années, aurait pu m’infliger ce qu’elle m’a infligé. Toute retorse et perverse qu’elle soit, je suis devenu probablement pire, et si cela n’atténue pas ma rage de la faire souffrir, elle m’apparaît à présent sous un angle tout nouveau : non plus une représentation vague d’un ennemi, mais un adversaire de chair et de sang parfaitement à ma taille.
C’est à ce moment là que je l’entends hurler.
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