CHAPITRE 27 - ALEXY
le 24/04/2020 & le 17/02/2022
Je lâche un grognement, plus exaspérée et déterminée à éliminer la menace que vraiment effrayée, avant de me reprendre et de courir jusqu'à la voiture. Fébrile, je bondis sur le siège conducteur, un main sur le contact et une autre qui saisit déjà le pistolet à ma ceinture. Des trois que j'ai subtilisés pendant ma fuite, deux restent sur moi à toute heure du jour ou de la nuit et le dernier est caché dans la voiture blindée, au cas où j'aurais besoin d'une botte secrète. Un endroit facilement accessible, mais suffisamment dissimulé pour que je sois la seule à pouvoir le trouver.
Je sens mes yeux dilatés par l’appréhension de ce qui va suivre, tandis que je scrute autour de moi. Le craquement venait de buissons à ma droite qui marquaient la séparation entre la route et un petit parc. Au final, me cacher ici n'était peut-être pas la meilleure solution : je n'ai aucune porte de sortie et je suis visible en premier plan. Les patrouilles qui ont sans doute été envoyées à ma recherche n'auront aucun mal à m'immobiliser.
Mon seul espoir : mes armes, que j'ai déjà à moitié vidées pendant mon évasion. Les quelques balles que je garde en réserve, volées elles aussi, ne suffiront pas à me défendre bien longtemps. J'aurais dû m'enfuir, abandonner le rover, et au lieu de ça, je me suis piégée moi-même. Sans mes réserves de nourriture, j'aurais eu du mal à survivre, mais j'aurais été libre. Je préfère mourir de faim que de me laisser ramener là-bas.
Tandis que mes pensées tournoient dans ma tête, que je comprends à quel point je suis dans une situation précaire, je continue de scruter au-dehors. Je n'entends pas un bruit à travers la fenêtre légèrement ouverte, et le buisson ne bouche pas d'un millimètre. Petit à petit, mes épaules se décrispent, mais mon angoisse, qui persiste d’ailleurs toujours, ne provient pas cette fois seulement de la petite Alexy.
Une simple fausse alerte ? Je ne crois pas, car il y a longtemps que j’ai mis de côté la paranoïa qui me guidait dans les Résidences. Un frémissement nerveux secoue mon corps.
Je me retourne pour ouvrir la portière, incapable de soutenir la tension de rester ainsi, quand mon coeur s'arrête.
Un hurlement incontrôlé m'échappe.
Devant moi, un jeune homme à la mine ébahie colle son visage à la vitre, comme pour mieux me voir.
Je me recule si précipitamment sur le siège passager, le plus loin possible du garçon, que ma tête cogne douloureusement le verre blindé, m'assommant à moitié. Devant moi, serré entre mes deux mains, je pointe mon arme droit sur sa tête. Je vois son visage se décomposer, mais il ne fait pas mine de bouger. Il me regarde seulement avec... tristesse ?
Je sursaute comme en continu, absolument pas dans les bonnes conditions pour analyser quoi que ce soit de lui et la pensée qu'il n'est sûrement pas seul me traverse. Bien que mon hurlement ait cessé aussitôt que je l’ai laissé s’échapper, d’autres tout aussi puissants résonnent dans mon crâne à l’idée qu'un autre homme se tient peut-être derrière moi à cet instant précis. Je suis cernée.
Mon cerveau en ébullition imagine déjà les pires scénarios et je me sens déraper, perdre le contrôle, car si je suis douée de certaines capacités et si ma détermination m’a amenée jusqu’ici, sans objectif et avec seulement l’ombre d’un ennemi à combattre, je suis désemparée. Des flashs aveuglants inondent déjà mon esprit : je me vois me débattre de toutes mes forces entre quatre hommes me maintenant fermement à terre, tandis que je laisse enfin s’exprimer mon horreur à retourner là-bas.
Puis les images changent et cette fois je suis dans ma cellule, en face du capitaine Willer, avec son corps massif et ses lèvres répugnantes luisantes de sueur. Je ne l’ai jamais revu depuis que je lui ai tiré dessus, mais son souvenir reste intact dans ma mémoire. Il lâche un ricanement sadique, me tourne le dos comme si je n'étais rien et claque la porte derrière lui dans un vacarme assourdissant.
Aveuglée par les visions et les illusions qui m’assaillent, je ne distingue presque plus le visage de mon ennemi. Et pour cause, il s'est éloigné et ses mains sont à présent levées en l'air comme si... comme s'il se rendait. Je vois ses lèvres s'agiter, mais mes oreilles sont bouchées, je ne perçois plus les sons. Enfin, après de longues secondes, le bruit me rattrape enfin, et j'entends des paroles criées d'une voix grave me percer les oreilles :
- Alexy, lâche ce flingue, je ne te veux aucun mal. Je suis seul!
Comment connaît-il mon prénom ? C'est eux, c'est sûr, personne d'autre ne peut savoir ni comment je m'appelle ni où je me trouve. Ils m'ont suivie et ont attendu que je baisse ma garde pour me piéger. Je ne peux rien faire, je suis coincée.
Quoique ?
Ca n'a sûrement aucune chance de marcher, mais n'est-ce pas simplement mieux que de ne rien faire ? Je prends ma décision en un quart de seconde. Toujours immobile en apparence, je me redresse très lentement tout en soutenant le regard du jeune homme pour retrouver mon équilibre.
Puis tout va très vite.
Je tire trois coups dans la vitre blindée, sachant très bien que les balles n'arriveront de toute manière pas à traverser le verre. Mais la diversion semble marcher et le soldat se baisse précipitamment comme pour éviter l'attaque.
J'en profite pour bondir dans le coffre, ouvrir la porte arrière et me ruer dehors. Je me précipite de toute la force de mes faibles jambes derrière la maison. Depuis ce matin, j'ai eu l’occasion de bien repérer les lieux, et je sais que de l'autre côté, la haie est assez basse pour que je puisse sauter. Avec un peu de chance, j'arriverai à le semer dans les rues. S'il est seul. Ce qui est très, très improbable.
Mais mon début de rémission doit être plus fragile que je ne le pensais et la diversion bien trop courte, car j'ai à peine le temps de faire dix mètres que, déjà, il me rattrape et me ceinture la taille. Je gigote dans tous les sens en faisant le parallèle avec le jour de mon kidnapping. Comme la dernière fois, il m'apparaît clairement que je n'ai aucune chance, sauf que je ne compte pas me rendre aussi facilement que l’autre Alexy. Je pense au chien-loup, à ses yeux de nuit qui reflètent si bien mes propres sentiments, et comme si j’avais lancé une prière qui vient d’être exaucée, un grognement féroce retentit suivit d’un cri de douleur.
Je titube et tombe en arrière, simple spectatrice du déchaînement qui suit, et totalement incapable de m’enfuir à l’idée de laisser mon sauveur entre les mains de l’homme. Pour une raison inexpliquée, le chien-loup est effectivement en train d’agresser le jeune homme, tous crocs dehors, mordant sauvagement chaque morceau de chair osant s’approcher trop près de sa gueule dégoulinante. Dressé sur ses pattes arrière pour tenter de renverser son adversaire, il lutte ainsi pendant de longues minutes et si ç’avait été moi en face de lui, je crois que sa férocité m’aurait déjà fait abandonner le combat. Mais tout comme moi, il n’en reste pas moins chétif, affaibli, et ralenti par sa blessure à la patte : s’il aurait peut-être gagné en temps normal, notre agresseur finit par prendre l’avantage et lui assène un coup sévère sur la nuque.
Ma gorge se serre à l’idée qu’il l’ait tué, mais le jappement qui échappe au chien-loup lorsqu’il s’affale par terre me rassure, sentiment qui se retrouve bien vite balayé quand je me rends compte que plus rien ne me sépare désormais de lui.
C'est alors qu'une chose étrange se produit : le soldat se baisse, et au lieu de me menacer, il me prend par les épaules de manière à ce que nous soyons parfaitement face à face puis me plaque contre son torse. Il m'arrache le pistolet que je tenais toujours à la main et je me maudis de ne pas avoir pensé à m'en servir avant, toute à mes préoccupations pour mon compagnon canin.
L’homme hurle alors quelques mots, d'une voix qui exprime un tel désespoir que je cesse tout mouvement :
- Astrid, je ne suis pas ton ennemi! Je fais partie de l'Organisation!
FIN DE LA PARTIE I
Annotations