Chapitre 16: La porte de l'Enfer

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Stacy

Les Enfers portaient bien leur nom. Ce pallier n'avait absolument rien à voir avec les étages marchands. Il manquait de couleur et de lumière, était terne et lugubre. Les bâtiments avaient l'air beaucoup plus vieux, tombaient en ruine. Là où les rues des zones supérieures étaient parfaitement ordonnées, l'emplacement des maisons ici n'avait aucun sens, comme si les résidents avaient décidé de construire chacun son habitation là où il restait de la place. Les allées étaient ainsi étroites, et bifurquaient continuellement sans raison apparente. Seule, la jeune femme se serait sûrement perdue.

L'odeur, elle, était insoutenable. Des relents de transpiration, de poussière, voire même de selles empestaient l'espace environnant. L'air était âcre, difficile à respirer. Cet endroit rappelait douloureusement l'étage secret à Stacy, à la différence près que ses habitants semblaient plus vivants.

Certes, ils étaient sales, semblaient mal en point ou blessés. La jeune fille apercevait sur la peau de certains des cicatrices blanchâtres, infectées. Nombreux étaient ceux qui ne portaient que des haillons par dessus leurs corps chétifs. Quelques uns avaient même des membres en moins, remplacés par des prothèses en bois, ou dont les moignons étaient cachés sous une bande de tissu. Ils se tenaient le long de la rue, certains assis à même le sol, d'autres s'aidant de béquilles pour tenir debout, et ils dévisageaient l'étrange cortège que formait le trio avec une certaine forme de peur ou de respect, sans doute synonymes dans un milieu tel que celui-ci. Néanmoins, à l'inverse de leurs corps affaiblis, leurs yeux brillaient d'une vivacité furieuse difficilement contenue.

A la façon dont eux la regardaient, Stacy comprit rapidement que si elles s'était aventurée seule en ces lieux, c'en aurait été fini d'elle. Elle se voyait déjà agonisant dans une de ces ruelles, laissée pour morte après avoir été dépouillée. Un léger frisson la parcourut. Quelque part, la présence de Danny et de son maître la protégeait. Réduite au rôle de proie, elle se trouvait désormais entre deux prédateurs affamés, et pour le meilleur ou pour le pire l'un deux semblait avoir l'ascendant sur l'autre.

Ils marchèrent peu, mais rapidement. Mal à l'aise face au regard des autochtones, Stacy se surprit à espérer qu'ils puissent arriver bientôt à destination. Au fur et à mesure qu'elle avançait, la pression tout autour d'elle semblait monter, mais son ravisseur n'y prêtait pas attention, continuant d'avancer de son pas vif. Néanmoins, ses prières furent finalement exaucées.

Au bout d'un moment qui lui semblait interminable, ils se retrouvèrent dans une ruelle plus espacée que les autres. Là, un bâtiment délabré, qui rappelait un entrepôt, siégeait tel le coeur de la ville. Quelques part, cela rassurait la jeune femme. Puisse-t-il être dangereux, cet endroit restait la place forte de l'étage. Elle y serait plus en sécurité qu'à l'extérieur. Sans un mot, son guide ouvrit la porte et pénétra dans l'antre.

L'odeur y était immonde, mais bien plus supportable qu'à l'extérieur. On y sentait plus le moisi qu'autre chose. Ils se trouvaient dans une grande pièce au plafond élevé, faiblement illuminée par des néons clignotants. Plusieurs plaques de calcaire se détachaient des murs autrefois immaculés, contre lesquels des sacs étaient entreposés. Une plateforme en métal, accessible via un escalier, faisait le tour de la salle et donnait accès à un quelques pièces au deuxième étage. Une dizaine d'hommes et femmes allaient et venaient, les bras chargé, certains poussant même un chariot entier de ces mystérieux sacs. Plusieurs lui jetèrent des regards intrigués, méfiants, mais personne n'interrompit sa tâche. Sans un mot, son ravisseur fit signe à Danny de l'attendre en bas, tandis qu'il s'engageait dans l'escalier. Stacy comprit qu'elle devait sans doute le suivre, et s'exécuta sans prononcer un mot.

Ils pénétrèrent dans une pièce toute simple, avec une table et de chaise se faisant face pour tout mobilier. Debout dans la pénombre, deux individus les y attendaient. L'un était un colosse au crâne rasé, immense, bien plus imposant que le Modérateur moyen. Son débardeur blanc mettait en valeur ses biceps saillants, et ses yeux étaient cachés derrières une paire de lunettes noires. L'autre était une femme d'une vingtaine d'année sans doute. Très mince, les cheveux roux coupés courts, elle jouait nonchalamment avec la lame d'un couteau long d'une vingtaine de centimètres. Malgré sa petite taille qui contrastait fortement avec celle de son compère, elle n'avait pas l'air moins dangereuse.

Sans un mot, on lui indiqua une chaise. Elle songea tout d'abord à décliner l'invitation. Certes, elle était épuisée d'avoir marché, et ne s'était d'ailleurs pas encore remise (physiquement et émotionnellement) de sa course-poursuite avec les Modérateurs. Malgré tout, par pur esprit de fierté, elle faillit rester debout, ignorant l'ordre à peine dissimulé. Elle n'était néanmoins pas en situation de force, aussi décida-t-elle finalement de prendre place, tandis que le jeune homme blond, dont elle ignorait toujours le nom, s'installa face à elle. Ils se toisèrent ainsi quelques secondes, jusqu'à ce qu'elle baisse les yeux, frustrée.

-Stacy Grimmsworth.

Il avait parlé tout naturellement, comme si leur escapade n'avait jamais eu lieu. Comme si elle était encore en liberté. La jeune fille aurait voulu hurler une nouvelle fois, laisser ses nerfs se relâcher, mais cette assurance froide dans la voix de son vis-à-vis continuait de la mettre mal à l'aise.

-Il me semble te l'avoir déjà dit, mais tu es ici en sécurité. Je sais que tu meurs d'envie de te barrer mais penses-y deux fois, tu ferais pas deux pas dehors sans te faire étriper.

Il marquait un bon point. Elle frissonna en pensant aux regards avides qui l'attendaient à l'extérieur du bâtiment.

-Qui êtes-vous ?

Le jeune homme ouvrit la bouche, puis la referma, songeur.

-Mes hommes m'appellent Evan, mais tu me connais sans doute sous le nom de "Voyageur".

Elle ne pipa mot. Ce surnom, elle l'avait entendu oui. Dans les bars, dans les rues, il se murmurait sur toutes les lèvres. Elle ne connaissait pas les détails, mais elle savait que cet homme était dangereux. Elle tenta de dissimuler sa peur et prit son courage à deux main.

-Pourquoi m'avez-vous amenée ici ? Demanda-t-elle la voix tremblante.

-Eh bien... Tout d'abord pour t'offrir ma protection.

-Je n'ai pas d'argent à vous donner, hésita-t-elle.

-L'argent ne m'intéresse pas. Non, disons qu'il y a une chose que tu possèdes dont j'ai grandement besoin.

Il se tut un instant, la fixant droit dans les yeux.

-Ce morceau de papier que tu te trimbale depuis les étages supérieurs. Donne-le moi.

-Pardon ?

-Tu m'as bien entendu.

Stacy se redressa. Elle avait toujours peur, certes, mais il s'agissait là de la dernière volonté de Théo. Elle ne pouvait pas céder.

-Hors de question. Je dois le remettre à l'Insaisissable. Plutôt mourir

-Mourir ? Je pense que tu saisis pas.

Jusqu'ici passifs, ses deux acolytes s'approchèrent. Evan les stoppa cependant d'un geste.

-Y a pas que ton père qui te poursuis. Hormis ses objectifs politiques, il en a rien à faire de toi. Mais le fait est que non seulement il déploie toutes ses forces pour te retrouver, mais en plus les deux autres Administrateurs sont sur le coup. Et si les trois ont décidé d'agir ensemble, c'est qu'il s'agit d'un ordre de l'Eglise.

Evidemment, ça se tenait. Ce bout de papier devait être d'une importance capitale pour qu'elle doive le livrer en main propre à l'Insaisissable, elle l'avait toujours su quelque part. Elle tenta une nouvelle tactique, qu'elle avait lu autrefois dans un livre.

-Vous avez encore besoin de moi. Vous pourriez me tuer et récupérer le papier rapidement mais vous ne le faites pas pour une raison que j'ignore.

Evan sourit d'un air amusé. Ou du moins, semblait amusé. Ses yeux, eux, ne trahissaient aucune émotion.

-Futée la petite.

Il s'étira un instant avec souplesse.

-Voilà ce que je te propose. Tu me recopies l'intégralité du brouillon sur une feuille propre. Jack ici présent vérifiera qu'il n'y a pas d'entourloupe. Je récupères la feuille bien évidemment. En échange, tu bénéficieras de ma protection partout sur mon territoire, autant de temps que tu le souhaites.

-Mais encore ?

-D'ici une dizaine de jours, on lancera un raid dans les étages supérieurs, pour un assassinat. Et tu vas nous guider dans la demeure de notre cible.

Stacy ouvrit la bouche, incrédule.

-Et qui est la cible ?

-Je te le dirai si tu acceptes le deal. Si tout se déroule bien, je te mettrai en contact direct avec l'Insaisissable. Alors, deal ?

La jeune fille hésita. Elle avait fait tout ce chemin depuis les étages supérieurs... Pour y retourner ?

-Rien ne m'oblige réellement à accomplir cette deuxième tâche n'est-ce pas ?

Evan la toisa un instant, comme s'il la jaugeait pour voir si elle avait les épaules pour ce qui allait s'annoncer.

-Détrompes-toi. Tu pourrais errer toute ta vie dans la Tour sans jamais trouver la moindre trace de l'Insaisissable. Sans moi, ta quête est vouée à l'échec.

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