Chapitre 3-Par le petit bout de la lorgnette

Quelle râleuse cette Râleuse !

Le roi et la reine, ses parents, avaient beau lui jurer avoir autant d'amour pour elle que pour leurs autres enfants, Râleuse n'en croyait pas un traître mot.

— Je n'ai pas été désirée ! affirmait-elle. La preuve, je suis née la dernière quand on ne m'attendait plus et mon prénom n'en est pas un ! 

Sa gouvernante avait beau lui répéter qu'elle serait une merveilleuse et délicieuse demoiselle si elle n'était pas aussi grincheuse, elle ne la croyait pas le moins du monde.

— Je suis délaissée ! déclarait-elle. Je suis la cinquième roue du carrosse ! Le vilain petit canard de la famille !

Ses frères et sœurs avaient beau l'encourager et lui dire qu'elle était intelligente, mais qu'elle enfouissait ses talents sous des tonnes de grognements, des flots de larmoiements et des kilos de glapissements, elle haussait les épaules sans y croire une seule seconde.

— Je n'ai pas été voulue ! répliquait-elle. La preuve, c'est un laquais pleutre et incompétent qui m'a conduite au Roi, mon père !

Tous avaient beau lui parler pour qu'elle ouvre ENFIN les yeux et change son point de vue, elle ne faisait que fulminer et rabâcher : 

— Ce n'est pas vrai ! Ce n'est pas vrai ! La preuve, on me laisse dans un coin... On me laisse pousser toute seule... comme une herbe folle... Sans m'accorder d'attentions... Sans se soucier de moi...

Le temps passant, le phénomène de rejet s'accentua. De mois en mois, Râleuse devint encore plus négative, médisante, plaintive et renfrognée. Mais alors qu'elle était plutôt jolie, son visage se fit de plus en plus austère. De la sorte, à presque dix-sept ans, c'était une princesse morne, terne et terriblement aigrie, dont l'humeur maussade repoussait tout le monde.

Très affecté par la sinistrose de sa benjamine, le roi Salomontil le Sage, son père, réfléchissait à la situation. Et tandis qu'il marchait dans son bureau, le front plissé et les mains dans le dos, Il s'interrogea :

— Mais pourquoi donc, n'utilise-t-elle pas son intelligence pour distinguer le vrai du faux ? Ses pensées n'ont aucun sens et ses raisonnements sont totalement absurdes ! Ah ça, il lui faudrait une bonne leçon pour qu'elle cesse de pleurnicher !

Poursuivant sa réflexion, le roi connu pour sa très grande sagesse estima qu'il serait bon que Râleuse reconnaisse ENFIN ses privilèges et voit ENFIN clair dans le bout de sa lorgnette.

— Euréka, mais c'est bien sûr ! s'exclama-t-il en levant les bras en l'air. Lorgnette ! Bésicles ! C'est avec l'aide du docteur Bésicles que je vais tenter de la faire changer de lorgnette !